Lancer un nouveau média, ça prend du temps et il n’existe pas de «tuto» sur YouTube. Lorsque nous commencions à conceptualiser ce qui allait devenir la version francophone de Blick, l’idée de devoir attendre jusqu’en juin 2021 pour se lancer nous refroidissait, tant nous étions impatients. Nous étions loin d’imaginer toutes les étapes du travail titanesque qui nous attendait, ni que sa matérialisation arriverait à toute vitesse.
Une seule conviction allait nous porter depuis le début de cette aventure: la Suisse romande allait s'enrichir grâce au lancement sur ses terres d'un monument du journalisme. Blick, c'est 62 ans d'histoire, une réputation parfois sulfureuse, mais très puissant en matière d’actu, de politique, de sport et de société. Blick s’est toujours illustré par son courage journalistique, la clarté de son propos, sa proximité avec les lectrices et les lecteurs et désormais, sa grande capacité à innover dans le domaine du numérique.
Pour défendre l’héritage de notre grand cousin alémanique, pour être à la hauteur de sa science des questions directes et pointues, de sa capacité à publier des histoires exclusives, nous sommes prêts à tout donner. Notre équipe de 20 personnes est prête à déplacer des montagnes.
En dehors d’une couverture exhaustive et inédite de l’actualité romande, nous serons par ailleurs en mesure d’offrir à notre audience quelque chose de précieux: une image plus précise et plus juste de la Suisse, grâce au travail journalistique commun que nous réaliserons en tandem avec nos 250 consœurs et confrères alémaniques.
En clair, nous sommes portés par l’ambition de devenir un vrai média national. Avec une mission: vous procurer des clés de lecture enrichissantes afin de saisir un peu mieux les enjeux qui jalonnent notre pays d’une grande et belle complexité culturelle. Une tâche complexe que nous abordons avec modestie, mais beaucoup d’enthousiasme.
Ce projet romand est également considéré par notre éditeur comme une excellente opportunité de tester de nouvelles pratiques journalistiques et de nouveaux formats, loin de tous les impératifs de l’imprimé, avant d’importer le fruit de nos expériences dans le reste du groupe. Une attention et une considération qui nous honorent.
Pour célébrer notre arrivée, nous vous racontons cette année très particulière, telle que nous l’avons vécue. Ce n’est toujours pas un «tuto» sur YouTube, mais qui sait, peut-être que certains y grappilleront quelques idées (à cet effet, ne manquez pas notre to-do list en fin d’article).
Partie 1: Naissance du projet «baguette magique»
Michel Jeanneret: L’aventure de Blick en Suisse romande a commencé un peu par hasard le 21 novembre 2019, aux alentours de 18h. J’étais alors encore rédacteur en chef de L’illustré et j’avais été invité à visiter une usine de capsules située dans la Glâne fribourgeoise. Au début du tour qui allait me réserver son lot de caféine, je suis tombé sur Christian Dorer, rédacteur en chef du groupe Blick.
Je connaissais bien Christian. Nous avions été tous les deux correspondants parlementaires, il y a presque 15 ans. Tout content de le croiser, je l’ai un peu chambré sur Blick TV, la télévision numérique dont il venait d’annoncer le futur lancement à Zurich. Je me souviens de lui avoir glissé que, même si, vue de Zurich, la Suisse romande ressemblait un peu à un village gaulois, l’iconique marque de média Blick risquait fort de se provincialiser, toute seule de l’autre côté du Röstigraben, si elle ne se lançait jamais chez les Welsches. Un Blick romand? Ça tombait bien, Christian en rêvait également.
Je n’allais plus entendre parler de Christian pendant les sept mois qui ont suivi cette première rencontre. Ayant déjà tenté par deux fois de lancer Blick en Suisse romande, je ne m’attendais pas forcément à ce qu’une troisième tentative soit possible, et surtout que ce soit la bonne.
Le 10 juin 2020, le rédacteur en chef du groupe Blick m'a pourtant rendu une visite surprise à Lausanne avec Max Buder, qui allait devenir le grand coordinateur de notre aventure. Il nous a fallu une petite heure pour identifier les besoins de la Suisse romande: un média populaire, pourvoyeur d’enquêtes exclusives dans les domaines de l’actu, la politique, le sport et la pop culture. Mais également un média national, capable d’enrichir la scène médiatique d’un regard «suisse» sur l’actu. L’idée était en effet de monter une nouvelle rédaction en Suisse romande, tout en s’appuyant sur les nombreuses histoires publiées par Blick depuis Zurich pour enrichir notre inventaire. Le projet «Baguette magique», qui allait devenir plus tard «Blick Suisse romande», était né.
J’ai commencé ma carrière dans la presse locale, au journal La Côte, j’ai couvert les faits divers et la politique pour Le Matin, fait de l’enquête pour Le Matin Dimanche et dirigé pendant dix ans L'illustré. Mais je me suis très vite rendu compte que j’étais «seulement» journaliste et que pour lancer un pure player, c’est-à-dire un média purement numérique, créer des bons contenus constituait seulement 50% du chemin, l’autre moitié étant de choisir les formats les plus adaptés (vidéos, newsletters, podcasts…) et de savoir comment les distribuer sur les plateformes web, ce dont je n’avais sincèrement que peu d’idée. Alors je me suis tourné vers Thomas. Avec lui, nous allions constituer un duo tellement complémentaire que je finirais par lui demander de co-diriger cette aventure avec moi, à 50-50. Comme la partie du chemin réalisée par chacun.
Partie 2: Penser la structure d’un média 100% numérique
Thomas Deléchat: La première fois que Michel m’a approché pour me parler de Blick, je me suis dit qu’il ne fallait pas avoir froid aux yeux pour lancer un journal papier en 2021. Ce n’est qu’après que j’ai compris qu’il voulait faire de Blick en Suisse romande un pure player. Venant du média Le Temps, dont je co-dirigeais la Digital Factory, je savais combien la coexistence de l’imprimé et du numérique était un casse-tête structurel, qui pouvait rapidement devenir un frein à l’innovation. Pouvoir mettre sur pied une structure en partant de rien, avec une finalité purement numérique... L’opportunité était trop belle. J’ai bien sûr sauté dans le projet à pieds joints.
Je connaissais très bien Michel, qui avait été mon rédacteur en chef à L’illustré cinq ans auparavant. Déjà à l’époque, le fait qu’il me recrute avait fait réagir. Et pour cause: je ne suis pas journaliste. Avec un bagage en communication, j’ai toujours estimé être meilleur pour valoriser les contenus que pour les produire. D’où notre complémentarité. Mais si nous ne faisons pas le même métier, nous partageons la même passion pour les médias (et les apéros). Notre excellente entente a d’ailleurs été primordiale: lorsque j’ai rejoint le projet, en août 2020, nous avions moins d’un mois pour proposer notre vision à Zurich. Un mois, ça fait beaucoup de cafés.
Avec une rédaction de seulement 20 personnes, nous savions que nos ressources seraient limitées en comparaison des géants médiatiques romands. C’est pourquoi nous avons imaginé une structure inédite, qui allait nous permettre d’être très agiles, tout en proposant un contenu de qualité. À commencer par notre duo: un rédacteur en chef et un Product Owner (vous commencez à comprendre que j’ai un faible pour les anglicismes barbares). Mais derrière ce terme qui sent bon la start-up sur LinkedIn se cache surtout l’intégration de la pensée du produit au cœur de la rédaction. Fini les scissions entre éditorial, marketing et technologie. Désormais, tout est pensé en cohérence. Parce qu’à la fin, ce sont toutes ces composantes qui forgent la perception des lectrices et des lecteurs sur un média.
Nous avons ensuite imaginé notre rédaction à l’image de notre duo: composée à la fois de journalistes et de spécialistes du numérique et de la création. Au lieu de découper notre équipe en rubriques, comme une rédaction classique, nous l’avons séparée en trois «labs». L’Investigative Lab, qui réunit les journalistes qui amèneront les contenus exclusifs romands. L’Editing Lab, qui traduit, adapte les contenus de Blick alémanique et traite les dépêches des agences. Et le Creative Lab, qui amène le zeste de yuzu à l’ensemble des productions: cinq spécialistes du numérique, des réseaux sociaux et de la vidéo. Ces derniers et ces dernières sont pour la plupart issus d’autres secteurs et arrivent avec des codes nouveaux (et donc enrichissants) pour un média. Nous avions donc la structure de notre rédaction. Il ne manquait plus que les talents pour la remplir.
Partie 3: Recruter une rédaction en pleine deuxième vague du Coronavirus
Michel Jeanneret: 20’000 pas par jour, par tous les temps. C’est en moyenne ce que nous avons fait avec Thomas au moment des recrutements. Car la pandémie nous a forcés à organiser toutes nos rencontres à l’extérieur. Une manière certes informelle, mais plutôt originale et assez révélatrice de faire connaissance.
Quels journalistes fallait-il engager? Face à une telle question, dans un premier temps, on tente spontanément de se rassurer en contactant une personne très solide avec laquelle on a déjà travaillé. Premier refus. Difficile de convaincre un vieux renard rusé de prendre des risques en se lançant dans ce qui est quand même une sacrée aventure. Qu’à cela ne tienne.
La suite s’est en quelque sorte passée comme un jeu de dominos. Nous avons commencé par Antoine Hürlimann, un «gamin» de tout juste 26 ans enragé de journalisme, cité parmi les 30 jeunes les plus prometteurs de Suisse. Convaincu par notre projet, Antoine m’a dirigé vers Amit, un autre «mort de faim» (selon ses propres termes) qui connaissait la suivante, qui elle-même connaissait le suivant... et ainsi de suite. Au final, nous avons engagé 18 personnes avec lesquelles je n’avais jamais travaillé. Autant de femmes que d’hommes qui, toutes et tous, partagent la même passion dévorante pour les médias et juraient vouloir lancer toutes leurs forces dans la bataille. Ce que nous avons eu l’occasion d’éprouver depuis.
À côté de cette équipe de journalistes, qui est certainement la plus forte parmi toutes celles avec lesquelles j’ai travaillé depuis le début de ma carrière, nous avons fait le pari d’engager deux vidéastes qui ne venaient pas du monde des médias mais allaient amener une signature visuelle qui répondait aux besoins de cohérence de Thomas autour de la marque Blick. L’occasion de s’enrichir d’un regard neuf sur la production de contenus journalistiques qui a très vite été payant dans l’étape qui allait suivre: un lancement anticipé de Blick sur les réseaux sociaux. Un pari un peu fou, relevé avec une toute petite équipe, mais riche en enseignements.
Nous avons commencé les recrutements mi-novembre. A Noël, la quasi-totalité des mercenaires avait signé pour monter à bord du bateau.
Partie 4: Un échauffement sur les réseaux sociaux
Thomas Deléchat: Nous planchions déjà depuis huit mois sur notre nouveau média et, pourtant, il était impossible de savoir comment notre audience réagirait à nos contenus. Nous savions que nous devrions faire des ajustements après les premières semaines et que l’on ne pouvait de loin pas être parfait dès le coup d’envoi. Cette raison, mêlée à notre envie de nous lancer, nous a poussés à proposer à notre direction un lancement anticipé de deux mois, sur les réseaux sociaux. D’ordinaire plutôt habitué aux «big bangs» lors des lancements, notre éditeur, Ringier, y a vu la perspective d’expérimenter de nouvelles méthodes, et a donc validé l’idée d’un «social launch» dès le 7 avril 2021.
Restait encore à savoir ce qu’on allait proposer sur les réseaux sociaux, alors que seul un tiers de notre rédaction nous avait rejoint à ce moment-là. Heureusement, parmi eux se trouvaient déjà nos deux vidéastes. Pierre Ballenegger et Gabrielle Savoy ont travaillé d’arrache-pied pour proposer trois formats récurrents: une série de témoignages sensibles (Story), un concept d’interviews au ton très direct (Boom) et un «explainer» hebdomadaire à retrouver en story Instagram, incarné par notre journaliste Valentina San Martin (Décortick). En visant en priorité les 25-45 ans, nous savions que la vidéo serait l’un des formats incontournables de notre média. Les premiers retours sur les réseaux sociaux l’ont vite confirmé.
La première vidéo que nous avons publiée le 7 avril, un témoignage de Sarah Briguet, a très vite atteint une large audience. Elle totalise désormais 450'000 vues. La plupart des vidéos qui ont suivi ont aussi rencontré un joli succès, pas seulement en termes de «vues» mais aussi de commentaires positifs, ce qui compte au moins autant. Mais, pour être honnête, ce n’est pas le cas de tous les contenus que nous avons publié. Et tant mieux, car c’était là la raison de notre lancement anticipé: mieux comprendre les sujets sur lesquels nos lectrices et lecteurs nous attendent. En plus de continuellement améliorer nos concepts, tant sur la forme que sur le fond, nous avons pu mieux cerner les thématiques qui seraient susceptibles de plaire une fois notre site internet en ligne.
Parmi les autres formats que nous avons expérimentés durant le «social launch», des threads Twitter pour raconter des histoires exclusives différemment, des interviews audio, également diffusées sur Twitter, un format visuel de fact-checking ainsi que des quiz politiques interactifs sur Instagram. Mixer le flair de notre journaliste Adrien Schnarrenberger aux talents de notre Digital & Audience Manager Céline Pétremand nous a aussi permis d’accoucher d’«Off Pol’», notre première newsletter hebdomadaire, qui compte déjà 700 abonnées et abonnés. Mais durant ces deux mois, notre attention n’était pas seulement portée sur les réseaux sociaux. En parallèle, il fallait préparer notre vrai lancement, le 1er juin.
Partie 5: Préparer le feu d’artifice du 1er juin
Michel Jeanneret: La page sur laquelle vous nous lisez à l’heure actuelle n'existerait pas si nos collègues de Zurich n’y avaient pas investi toute leur passion et un nombre d’heures incalculable. Dès la validation du projet par le conseil d’administration, le 5 octobre dernier, une équipe composée d’une trentaine de personnes de la technologie (IT), des ressources humaines, de la communication, du marketing, des finances, mais aussi de spécialistes produit et de la pub s’est mise en ordre de marche. Impressionnant. Nous avons noué avec celle-ci un dialogue constant. Ce projet doit énormément au fait qu’il n’est pas observé depuis Zurich avec une lointaine curiosité, mais qu’il est le fruit d’un engagement incroyable du groupe Blick.
En avril, nous avons commencé à présenter notre projet aux principaux annonceurs. Cinquante dates, comme une série de concerts. Un discours, une passion répétée chaque fois pendant une heure pour convaincre les entreprises d’investir dans notre projet. Un seul et unique tour de piste commercial, sachant que Ringier et le groupe Blick sont très attachés à l'indépendance rédactionnelle.
En mai, nous avons initié une autre tournée, politique, qui se poursuit encore à l’heure actuelle. L’objectif: rencontrer les 5 principaux partis de chaque canton romand pour se présenter comme les gens polis que nous sommes et expliquer le rôle que Blick sera amené à jouer dans l’espace public. L’occasion, aussi, d’avoir un échange franc et de leur glisser que notre média, national, représente pour eux l’occasion de se faire connaître au-delà de la Sarine, frontière difficilement franchissable pour les politiciennes et les politiciens de Suisse romande. Les collaborations entre Blick alémanique et romand ne seront pas à sens unique.
Parallèlement à cela, nous avons conclu des partenariats avec les producteurs du podcast animé par le footballeur Johan Djourou et, dans un autre domaine, avec la prestigieuse EPFL, qui nous enrichira de son regard expert sur la science.
Au fur et à mesure de l’arrivée des collaboratrices et des collaborateurs, nous avons lancé une série d’enquêtes. Certaines sont bien évidemment encore en cours. Vous les découvrirez les jours et les semaines qui suivent. Il faudra bien animer le sacré marathon que nous entamons dès à présent, à vos côtés tous les jours de l’année, de l’aube jusqu’à la nuit. Sans répit.
Si les personnes que vous découvrez dans la galerie ci-dessus promettent de mouiller le maillot, c’est pour vous, Romandes et Romands. Nous ne sommes pas et ne serons jamais parfaits. Alors entrons dans un débat constructif. Alors que nous porterons un nouveau regard sur la Suisse romande, nous avons besoin du vôtre pour grandir.
Bonus: La to-do list pour lancer son média
Nous ne nous attendions pas à tout cela, et pourtant… Voici une liste non exhaustive de ce que nous avons entrepris en marge de notre projet ces derniers mois:
- Faire l’ensemble du team building via l’application Slack, pour cause de Covid
- S’énerver contre la pénurie de bois (sujet!) qui nous contraint de commencer sans la grande table de six mètres quarante que nous avions prévue
- Boire une bouteille de Calamin avec Philippe Favre, le rédacteur en chef de 20Minutes et se réjouir de ce qui suit
- Chercher des sofas chez Emmaüs pour meubler notre espace lounge
- Peindre une incroyable fresque sur un mur de notre rédaction avec le talentueux artiste Michel FR
- Faire une présentation mensuelle à Zurich (ils aiment bien quand on met de jolies animations)
- Raconter devant 120 personnes (la moitié de nos collègues zurichois) deux fois par mois l’avancée du projet et être super touchés de voir qu’ils se réjouissent autant que nous
- Dessiner un plan stratégique, et refaire le même un mois après parce qu’on a oublié qu’on l'avait déjà fait
- Refaire pour L’illustré une série de photos historiques de Blick en Suisse alémanique
- Passer de nombreuses fois à la RTS (on remercie nos consœurs et confrères pour leur fair-play et leur immense gentillesse)
- Se réveiller la nuit et ne pas se rendormir car on est assailli par les pensées
- Presque rater le lancement de Blick parce qu'on se trompe de train à la gare de Nyon
Notre rubrique La Fabrick vous plonge dans les coulisses de notre rédaction. Nous y partageons avec vous les réflexions, les réussites, les échecs, et les grandes étapes qui jalonnent la vie de notre média.
Vous y découvrirez notamment:
- La genèse de l'arrivée de Blick en Suisse romande
- La manière dont Blick travaille en toute indépendance
- Notre bilan après un an en Suisse romande
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