Aya Nakamura peut-elle chanter Edith Piaf lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques? La chanteuse franco-malienne, dont la chaîne YouTube est suivie par 7,3 millions de fans, peut-elle incarner le métissage sportif de l’Olympisme, comme la cantatrice noire américaine Jessie Norman l’avait fait en hommage à la révolution, le 14 juillet 1789, lors de la célébration du bicentenaire de la prise de la Bastille, en chantant «La Marseillaise» sous l’Arc de Triomphe?
A lire aussi sur les Jeux Olympiques
Pour la droite nationale-populiste et pour les réactionnaires de tous bords, la réponse est non. Basta Aya! Les reproches? Elle ne chante pas français et elle n’incarne pas la France. Refrain connu. Et tant pis s’il ne s’agit pas, en la matière, de célébrer la République ou la Nation, mais l’Olympisme né en Grèce et réhabilité, voici un siècle, par le baron Pierre de Coubertin.
Aya Nakamura, et ses refrains rythmés ne sonnent, il est vrai, pas tout à fait comme le clairon de la Garde républicaine. «Y’a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako!» résumait ces jours-ci une banderole accrochée le long de la Seine, là où se déroulera la cérémonie à ciel ouvert, sur une centaine de barges et de péniches remplies d’athlètes porteurs des drapeaux du monde entier.
Polémique sordide
Le plus triste est que cette polémique sordide, à relents ouvertement racistes, ne repose pour l’heure sur rien d’autre qu’une information confidentielle parue dans un magazine, selon laquelle Emmanuel Macron aurait évoqué cette possibilité avec la chanteuse. Sans aucune confirmation officielle.
Or depuis, l’avalanche n’a pas cessé. Les réseaux sociaux sont saturés. Des animateurs d’émissions populaires comme Pascal Praud se sont emparés du sujet. Avec cette question simple: peut-on incarner la France et l’Olympisme, lorsque les paroles d’un de vos tubes se lisent ainsi: «Oh Djadja. Y’a pas moyen Djadja. J’suis pas ta catin Djadja genre. En Catchana baby tu dead ça. Oh Djadja.»
La réponse? Une tornade politique instrumentalisée. Lorsque Pascal Praud poursuit, dans son émission d’Europe 1, la lecture de «Ho Djadja» (vu plus de 900 millions de fois sur YouTube) le ton est plutôt badin. Tout en rigolant, l’intéressé, habitué aux polémiques et récemment auditionné par l’Assemblée nationale sur les supposées dérives de la chaîne CNews, ne moque pas la chanteuse.
Il fredonne en lisant: «Tu penses à moi, je pense à faire de l’argent/J’suis pas ta daronne, j’te ferais pas la morale/Tu parles sur moi, y’a R/Craches encore, y’a R […] Le jour où on se croise, faut pas tchouffer. Tu jouais le grand frère pour me salir/Tu cherches des problèmes sans faire exprès/Putain mais tu déconnes/C’est pas comme ça qu’on fait les choses.»
Pour Marion Maréchal, c’est non
Rien de tel, en revanche, chez Marion Maréchal, tête de liste du parti Reconquête! d’Eric Zemmour aux élections européennes du 9 juin. Pour elle, c’est non. Un non justifié par un sondage selon lequel 63% des personnes interrogées préféreraient un autre symbole. Un non alimenté aussi par la suppression, sur l’affiche choisie pour les JO, de la suppression de la croix présente sur le Dôme des Invalides: «A chaque fois que le monde nous regarde, on n’assume pas ce qu’on est, a expliqué l’ancienne députée sur BFM TV. On n’assume pas d’être un pays aux racines chrétiennes.»
Et de saluer a contrario l’américaine Joséphine Baker, entrée au Panthéon en novembre 2021: «Aya Nakamura, à l’inverse de Joséphine Baker, ne représente pas la langue française. Est-ce qu’on peut être sensible aux arguments des Français qui ne veulent pas être représentés par elle?» Des huées avaient déjà surgi à l’évocation de l’artiste dimanche, lors d’un premier grand meeting de campagne des élections européennes de Reconquête!, le parti d’extrême droite d’Eric Zemmour, au Dôme de Paris.
Artiste française la plus écoutée dans le monde, Aya Nakamura a vivement réagi sur les réseaux sociaux, en accusant ses détracteurs d'être «racistes». «Je deviens un sujet d'état numéro 1» et c'est ça «qui vous fait mal», a-t-elle lancé, avant de conclure: «Je vous dois quoi en vrai? Kedal.» Le comité d’organisation des JO de Paris a, lui, exprimé son total soutien à l’artiste. La ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, a également apporté son soutien à la chanteuse: «Chère @AyaNakamura, foutez-vous du monde entier. Avec vous.»