On attendait un bulldozer. Élisabeth Borne a opté pour la petite cuillère. Pour combler le trou du régime général des retraites, la Première ministre française vient d’annoncer un plan avant tout axé sur le… calendrier. Objectif: lisser toutes les mesures annoncées jusqu’à 2030, date à laquelle l’âge légal de départ à la retraite passera à 64 ans, contre 62 depuis 2010.
Un plan sur huit ans. Ce qui reporte la conclusion de cette réforme au-delà de la fin du second mandat présidentiel d’Emmanuel Macron, en 2027. En 2030, si tout va bien, les 13,5 milliards d’euros de déficit du régime général des retraites seront résorbés. En lieu et place, grâce aux nouvelles mesures: un excédent budgétaire de 17,7 milliards, soit 4,2 milliards d’excédents disponibles pour financer, entre autres, l’augmentation des retraites les plus modestes.
Retrouvez le discours d’Elisabeth Borne:
Petite cuillère? L’expression est peut-être exagérée. Mais elle correspond assez bien à ce que la cheffe du gouvernement a présenté mardi 10 janvier et soumettra en conseil des ministres le 23 janvier. Pas de mesures choc. Un relèvement de l’âge légal qui demeure inférieur à ce qu’ont fait la plupart des pays européens. Exemple type de ces demi-mesures: l’âge légal de départ à la retraite en 2027, date de la fin du quinquennat actuel, sera de 63 ans et trois mois. Idem pour les années de cotisations. Le nombre de trimestres cotisés requis augmentera progressivement pour atteindre 43 ans en 2027.
Objectif numéro 1? Temporiser au maximum pour éviter l’explosion sociale, alors qu’un Français sur cinq partira à la retraite dans les prochaines années, qu'un mot d'ordre de grève générale est lancé par tous les syndicats pour le 19 janvier et que la gauche, dérrière Jean-luc Mélenchon, prévoit de manifester le 21 janvier. Objectif numéro 2? Permettre à la soixantaine de députés des Républicains (droite traditionnelle) de rallier la majorité présidentielle sur ce texte, sans fâcher leur électorat. Le débat au parlement aura lieu au printemps.
Tous les engagements pris par Élisabeth Borne s’intègrent dans ce tortueux slalom social et politique. En 2020, le projet de réforme des retraites porté par Emmanuel Macron affichait deux intentions claires: le report de l’âge légal de départ à 65 ans, et la création d’un régime à points pour tous, sur le modèle scandinave.
Trois ans plus tard, la Première ministre âgée de 61 ans veut avant tout éviter de percuter les poteaux sur la piste sociale plus que glissante de ce début de mandat présidentiel. Exemple pour les régimes de retraites spéciaux, en particulier ceux des fonctionnaires: la «plupart» seront supprimés (sauf pour les policiers, les militaires et les aides-soignants) mais seulement pour les nouveaux embauchés, une fois la réforme adoptée et entrée en vigueur. Pas de changements pour tous les employés actuels de l'administration.
Autre exemple de surplace: l’âge de départ à la retraite qui permet de bénéficier d’une pension pleine, même avec des cotisations insuffisantes. Il sera maintenu à 67 ans. Fait étonnant dans cette présentation justifiée par le besoin de rétablir l’équilibre budgétaire: la cheffe du gouvernement n’a d'ailleurs jamais mentionné le montant des retraites. Il est aujourd’hui, en moyenne, équivalent à 74% du dernier salaire. Le seul chiffre donné a été une garantie: 1200 euros seront, une fois la réforme adoptée, la retraite minimale.
Faire travailler davantage les «seniors»
Dernier argument politique mis sur la table pour éteindre l'embrasement social que les syndicats ont bien l'intention d'allumer: la promesse du gouvernement de tout faire pour lutter contre les licenciements des personnes âgées de plus de 55 ans, dont le taux d’emploi en France est l’un des plus bas d’Europe, à 56% (contre 70% en Allemagne et en Suède). Sauf que, dans l’opinion française, ce «travailler plus pour gagner plus» adressé aux seniors n’est pas du tout sûr de convaincre. Licenciés, discriminés, mis de côté, beaucoup de salariés âgés souffrent de cette exclusion, mais en profitent aussi pour redémarrer une deuxième vie si leurs revenus le leur permettent. Pas sûr que l’opportunité de travailler plus longtemps les réjouisse.
Aux deux-tiers des Français convaincus que cette réforme met en cause de manière injustifiée un acquis social essentiel, Élisabeth Borne a, au fond, promis une opération chirurgicale sans douleur. Sauf qu’à force d’attendre et de différer les échéances, le risque de ne jamais guérir vraiment plane toujours sur le système de retraite français par répartition.