C’est à Simone Veil que Rachida Dati rend régulièrement hommage. Sacré contraste. La nouvelle ministre de la culture française, 58 ans, est considérée aujourd’hui comme l’incarnation du mélange des genres entre «people», monde de l'argent et politique.
Depuis sa mairie du VIIe arrondissement de la capitale française – le quartier des ministères et de l’Ambassade de Suisse – cette protégée de Nicolas Sarkozy gère un réseau de contacts et d’influence sans pareils, qui font frémir le Tout-Paris et qui lui valent d'être mise en examen depuis 2021 pour «corruption passive» dans l'affaire de l'ex-PDG de Renault Carlos Ghosn.
Or sa référence n’est pas une icône «people», ou une célébrité du monde du luxe et de la mode, ce milieu qu’elle adore fréquenter. Cette ancienne juge voue au contraire une passion filiale à celle qui, la première, décela son talent politique: l’ancienne ministre et présidente du parlement européen Simone Veil, rescapée d’Auschwitz et grande conscience de la politique française, décédée le 30 juin 2017.
Produit de la méritocratie
Cette reconnaissance quasi filiale a une raison: Rachida Dati est à l’opposé du très jeune premier ministre Gabriel Attal qui vient de la nommer dans son gouvernement, plus de quinze ans après son poste de ministre de la Justice sous la présidence de Nicolas Sarkozy, entre 2007 et 2009. L’intéressée, d’origine marocaine, n’a pas du tout grandi dans la très cossue bourgeoisie parisienne, comme le chef du gouvernement de 34 ans.
C’est à Chalons sur Saône, en Saône-et-Loire, dans une cité difficile, qu’elle a fait ses armes. Une famille nombreuse. Un frère délinquant. Rachida Dati est un produit de la méritocratie républicaine française et de l'intégration, au point que de nombreuses jeunes filles issues de l’immigration lui vouent pour cela un véritable culte.
Colérique, intransigeante, peu regardante sur les moyens pour parvenir à ses fins, mais aussi capable d’étaler ses charmes et de faire preuve d’une exquise politesse, cette quinquagénaire est, pour sa trajectoire sociale, bien plus disruptive qu’Emmanuel Macron, fils d’un couple de médecins de Picardie. Et à l'opposé d'un Gabriel Attal, le jeune Premier ministre tout droit sorti des meilleurs quartiers de Paris.
Simone Veil, un modèle
Pour elle, Simone Veil, issue d’une famille de la bourgeoisie juive décimée par la guerre, fut donc un modèle. Les deux femmes partageaient le goût d’une mise en scène et d’une apparence vestimentaire parfaite. Rachida Dati y a ajouté un zeste de provocation et de gouaille.
Magistrate de formation, elle ne se sépare jamais de ses talons hauts durant ses visites officielles, et elle sait manier les «punchlines» méchantes avec brio. Ses aventures amoureuses, vraies ou fausses, ont longtemps fait la Une de la presse people. On dit que l’ancien président Nicolas Sarkozy, dont elle reste la protégée, n’était pas insensible à son charme. Elle fut l’une des lames de «la firme», le clan qui accompagna Sarkozy à l’Élysée après son élection en mai 2007.
Une lame, oui: car elle est impitoyable. Le père de sa fille Zohra, née le 2 janvier 2009, richissime entrepreneur de l’hôtellerie, a dû accepter un test ADN de paternité, alors que les journaux pensaient que Rachida Dati, alors ministre, était enceinte d’un émir du Moyen-Orient. Son credo: toujours avancer et ne rien lâcher. Et ce, malgré la pluie de critiques que lui ont par exemple valu ses années passées, en négligeant ouvertement son mandat, au Parlement européen.
Objectif: la mairie de Paris
Rachida Dati a un objectif: conquérir la mairie de Paris. Et elle a deux adversaires: la droite traditionnelle dont elle est issue, qui s’est toujours méfié d’elle, et l’actuelle maire de la capitale, Anne Hidalgo, qu’elle s’est promis de déboulonner (même si les deux femmes ne s’entendent pas si mal).
Alors, merci Emmanuel Macron et Gabriel Attal! En lui donnant la grande visibilité du ministère de la Culture, et donc l’ascendant sur le monde des lettres et des arts parisien qui ne la porte pas dans son cœur, mais qui a besoin d'argent public, le président et son Premier ministre lui font un superbe cadeau. Les prochaines élections municipales seront en 2026, à la fin du second mandat de Macron. La nouvelle ministre jure qu’elle a obtenu la garantie de pouvoir se présenter. Ses opposants peuvent commencer à frissonner.
Panique chez les Républicains
Ceux qui ont encore plus peur d’elle sont ses anciens amis des Républicains qui viennent de l’exclure. Rachida Dati connaît toutes leurs zones d’ombre. Dans ce gouvernement Attal qui penche nettement à droite, elle est celle dont la défection peut faire mal. Elle garde un lien direct avec leur ex-mentor Sarkozy. C’est elle, dit-on, qui contribua par des fuites dans la presse à faire tomber François Fillon, le candidat conservateur à la présidentielle de 2027.
Rachida Dati a du charisme à revendre. Elle parle aux femmes. Elle incarne la discipline et la volonté de s’en sortir coûte que coûte. Elle est de droite jusqu’au bout des ongles sur les valeurs, mais elle séduit à gauche pour sa pugnacité et ses origines sociales. Et comment ne pas voir en elle, à la Culture, une parfaite meneuse dans la lutte contre le Rassemblement national de Marine Le Pen, dont Emmanuel Macron fait la priorité de sa fin de mandat?
Et la culture?
Et la culture? Qu’importe. Rachida Dati, plus amatrice de luxe et de mode que d’art vivant, a les réseaux qu’il faut pour être respectée, écoutée et surtout redoutée.
Y compris à l’Élysée, où Brigitte Macron l’a plusieurs fois accueillie. Cette femme-là va tout dégommer sur son passage. Ça tombe bien. C’est exactement ce que le président français attend d’elle.