Il y a deux manières de lire la réforme de l’assurance-chômage qui vient d’être, jeudi 17 novembre, adoptée définitivement par le Parlement français.
La première est de se concentrer sur les modifications, et sur la révision à la baisse des indemnisations. Désormais, l’assurance chômage – ouverte à tout salarié français ayant plus de six mois d’ancienneté, licencié ou privé d’emploi à la suite d’une rupture conventionnelle (démission négociée avec l’employeur) – ne sera plus calculée selon un barème fixe donnant droit à des indemnités pour une période maximale de deux ans. Un critère de flexibilité lié à la situation du marché du travail va être introduit. Il permettra de diminuer le montant des allocations «quand trop d’emplois sont non pourvus», et de l’augmenter «quand le chômage est élevé». Le but est d’inciter à la reprise d’un travail, pour atteindre l’objectif de «plein-emploi» fixé durant sa campagne présidentielle par Emmanuel Macron.
Regarder les faits en face
La seconde façon de juger cette réforme, destinée encore une fois à pousser les chômeurs à rechercher un travail, est de regarder les faits en face. Même modifié, même «flexibilisé», le système d’assurance chômage en vigueur en France demeure l’un des plus généreux au monde. Le ministre du Travail Olivier Dussopt, porteur du projet de loi adopté jeudi, l’a dit et redit. Et il a raison. Certes, un pays comme la Belgique indemnise encore mieux ses demandeurs d’emploi. Mais comparé à ce qui prévaut en Suisse, la France est un État social particulièrement protecteur, d’autant que les conditions de licenciement y sont aussi beaucoup plus réglementées.
La durée d’indemnisation de 6 à 24 mois vaut pour les moins de 53 ans. Au-delà, cette durée va jusqu’à 36 mois, soit trois ans. Autre critère inchangé avec la nouvelle réforme: il suffit de 130 jours travaillés sur une période de 24 mois pour être éligible aux prestations de l’assurance chômage, contre 12 mois au cours des deux dernières années pour le système helvétique. Rappelons aussi les chiffres: 3 164 000 demandeurs d’emploi en France à l’été 2022 pour une population active de 29 millions, soit environ 10%. 159’399 personnes inscrites au chômage en septembre dernier en Suisse, soit autour de 2%.
Faut-il féliciter le gouvernement?
Faut-il, alors, féliciter le gouvernement de la Première ministre Elisabeth Borne pour cette réforme, votée grâce au soutien de la droite? Fallait-il saisir l'occasion d'une embellie sur le front de l'emploi (l'emploi salarié dans le secteur privé en France, qui avait déjà augmenté de 0,4 % au premier trimestre et de 0,5 % au deuxième, a encore progressé de 0,4 % entre juin et septembre, avec 89 400 créations nettes d'emplois) pour réformer une fois encore l'assurance chômage ? A voir. Du coté des obligations, le curseur est nettement à la hausse. Exemple: le refus à deux reprises en un an d’un contrat à durée indéterminée après un contrat à durée déterminée ou un contrat d’intérim sur le même poste, le même lieu et avec la même rémunération, entraînera la perte de l’indemnisation chômage. L’objectif est d’éviter les «nomades» du chômage qui intercalent des périodes d’indemnisation et des périodes de travail.
Autre contrainte nouvelle: l’abandon de poste, sans justification d’absence, sera désormais assimilé à une démission, pour limiter l’accès à l’assurance-chômage. La rupture conventionnelle, qui permet à un salarié démissionnaire, en accord avec son employeur, de percevoir des indemnités chômage malgré son départ volontaire, est en revanche maintenue. Or ce dispositif, crée sous la présidence Sarkozy en 2008 pour faciliter les changements d’emploi, est très critiqué par certains économistes, dont le prix Nobel Jean Tirole, car il fait payer à l’État un accord privé intervenu entre l’employeur et l’employé. Ce dernier s’est toutefois félicité d’une nouvelle disposition, dite «bonus-malus» qui fera davantage payer les entreprises qui ont le plus recours aux contrats courts.
Flexibilité des indemnités
L’élément plus discutable encore est celui de la flexibilité des indemnités selon le marché du travail, fixée par l’article 1 de la nouvelle loi sur l’assurance chômage. L’idée, qui devra être précisée après consultation des partenaires sociaux, est de réduire la durée d’indemnisation en fonction des opportunités d’emploi. Sauf que pour aboutir à l’effet espéré, ces amputations d’assurance devront être très importantes. Quelques semaines d’indemnisations en moins, affirment les experts, ne changeront pas vraiment la donne.
Autre sujet: faut-il prendre les emplois par catégories (l’indemnisation d’un ex-chauffeur routier dépendra des offres d’emploi dans son secteur) ou le taux d’emploi en général, partant du principe que le salarié licencié doit de toute façon retravailler? Sur ce plan, l’opacité règne. «Emmanuel Macron voulait un effet d’annonce, il l’a obtenu» peste un haut fonctionnaire.
Un organisme paritaire: l’Unedic
Ce débat est, en plus, lesté de problèmes de gestion de l’assurance chômage, confiée à un organisme paritaire: l’Unedic. L’endettement de celui-ci atteint aujourd’hui 63 milliards d’euros, deux fois plus qu’en 2019. La crise sanitaire du Covid est bien sûr passée par là, avec le recours massif à l’activité partielle, mais la Cour des comptes s’est inquiétée de graves dysfonctionnements dans son rapport annuel 2021.
«Pour pouvoir jouer son rôle d’amortisseur conjoncturel sans risque pour le système lui-même, le régime d’assurance chômage doit être structurellement à l’équilibre. Or, comme la Cour l’avait déjà souligné dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2017, tel n’est plus le cas», peut-on lire. Le régime d’assurance chômage apparaît ainsi profondément bouleversé: son endettement atteint un niveau historiquement haut, la structure de ses dépenses et de ses recettes a évolué et les partenaires sociaux ne sont plus décisionnaires de l’essentiel de ses règles de fonctionnement».
En clair: alors qu’il prétend aujourd’hui remettre de l’ordre, avec cette nouvelle réforme, dans l’indemnisation des chômeurs en vue d’atteindre le plein-emploi, l’État français est, dans les faits, largement responsable des dérives de ce système aussi généreux que mal piloté.