Pas besoin de l’interroger pour savoir ce qu’elle préfère: Brigitte Macron a deux passions, à part bien sûr son président de mari! La première est la vie culturelle. L’actuelle ministre française de la Culture, Rima Abdul Malak, officiait d’ailleurs auparavant comme conseillère à l’Élysée, le palais présidentiel.
Autant dire que Brigitte et elle se connaissent, s’apprécient, et sont en relation constante. Sa seconde passion est celle qui a guidé sa vie professionnelle: l’école. Un sujet dont elle compte bien parler en Suisse, où le couple présidentiel français arrive mercredi 15 novembre pour une visite d’état de deux jours. Un sujet crucial dans un pays encore traumatisé par le meurtre, le 13 octobre dernier, d’un enseignant à Arras (Pas-de-Calais), par un jeune radicalisé passé par le lycée dans lequel il est revenu commettre son crime.
Engagée contre le harcèlement scolaire
Septuagénaire depuis le 13 avril, Brigitte Macron est une retraitée qui fait un drôle de rêve: retourner à l’école, du côté du tableau noir. Normal pour celle qui a passé toute sa vie à enseigner la langue française et la littérature dans de prestigieux lycées catholiques. D’abord à Amiens (Picardie), au lycée La-Providence où ses pas ont croisé ceux d’un élève nommé Emmanuel Macron. Puis à Paris, au très sélect lycée Saint-Louis-de-Gonzague.
Son dernier cheval de bataille? La lutte contre le harcèlement scolaire, ce drame tragiquement illustré, le 5 septembre, par le suicide d’un jeune ado à Poissy (Yvelines), près de Paris. Jeudi, la Première dame a déplacé la presse française pour lancer, dans un collège, la nouvelle campagne visant à sensibiliser les adultes pour mieux entendre la parole des victimes. La Première ministre Élisabeth Borne était au garde-à-vous. Même chose pour le nouveau ministre de l’Éducation, Gabriel Attal.
L’école française est un champ de bataille. Plus de 500 incidents ont eu lieu lors de la minute de silence en mémoire de l’enseignant d’Arras. Une centaine d’élèves se sont retrouvés devant le conseil de discipline. Crispation. Inquiétude. «Au moins, elle sait de quoi elle parle. Les gamins, elle en a géré des centaines au fil de sa carrière» se félicitait cette semaine sur place, au fond d’une des classes visitée par Brigitte Macron, une jeune enseignante.
Culte du diplôme
Demandez à n’importe quel père ou mère de famille suisse installée en France: l’un comme l’autre vous diront leur incompréhension, au mieux leur questionnement, devant le culte du diplôme, l’esprit de compétition scolaire poussé au maximum dans les meilleurs établissements, le peu de place laissé aux activités alternatives, sportives ou en plein air.
«L’école de la République», comme les politiciens aiment désigner le système éducatif français, vise bien plus à l’excellence qu’à l’épanouissement des élèves, et bien plus à leur inculquer des connaissances théoriques qu’une compétence future sur le marché du travail. «Ce pays a l’obsession des élites, se désole l’essayiste franco-suisse François Garçon. Être un élève normal, c’est presque inacceptable.»
«Manu» le surdoué
Or Brigitte, elle, pense le contraire. Sa façon d’enseigner a toujours empiété sur la vie. C’est lors d’un de ses cours de théâtre, à Amiens, que le jeune Emmanuel, 15 ans (24 ans de moins qu’elle), a croisé son chemin. «Manu» le surdoué n’était pas l’un de ses élèves. L’actuel président français était en revanche dans la même classe que Laurence Auzière, l’une des filles de l’actuelle première dame, qui a eu trois enfants de son premier mariage. «L’usine scolaire, ce n’était pas son truc du tout, écrit la journaliste Maëlle Brun dans sa biographie, «L’affranchie».
Un système à la «Suisse», avec plus de filières d’apprentissage au lieu de l’autoroute pour le baccalauréat, lui aurait sans doute plu: «Elle fait partie de ces générations de profs qui ont vu se transformer leurs classes, même si elle a toujours été dans des écoles bourgeoises, racontait la journaliste, lors d’un débat sur la radio RMC, au moment de la sortie de son ouvrage. Plus d’enfants de confession musulmane, plus d’échecs scolaires, plus d’inégalités sociales, plus de violence dans les cours de récréation…
Lorsque Macron est élu président en 2017, elle connaît bien mieux la France que lui. Son baromètre à elle, c’est aussi la désertion scolaire des familles.» L’histoire dit que la prof Brigitte Macron exigeait de voir tous les parents d’élèves en début d’année. Sans exception. Pas d’excuses possibles, même pour les plus occupés comme le milliardaire du luxe Bernard Arnaud, dont l’une des filles suivait ses cours de français à «Franklin», le surnom du lycée Saint-Louis-de-Gonzague.
Ministre bis de l’Éducation?
De là à voir, dans la première dame, une ministre bis de l’Éducation nationale? Pas faux. Et peut-être pas inutile, dans un pays où, de toute façon, tout remonte au président. «C’est vrai que quelquefois, j’ai envoyé un texto à Brigitte pour obtenir une réponse d’Emmanuel» confessait, avant son départ du gouvernement en 2022, l’ancien ministre Jean-Michel Blanquer.
Roselyne Bachelot, ex-ministre de la Culture et politicienne au franc-parler légendaire, nous le confirme et s’énerve à la fois. «Le bon côté, c’est son investissement dans les dossiers scolaires et culturels. Elle bosse Brigitte! L'apprentissage à la Suisse, ça va l'intéresser», nous racontait, lors d’un dîner à Genève, l’auteure de «682 jours», ses mémoires ministérielles durant la pandémie de Covid. «Ce qui est plus gênant, c’est que Brigitte a tendance à tous nous prendre pour ses élèves. Certaines de ses remarques passent moins bien avec des élèves comme moi, qui ont le même âge qu’elle!»
Bienvenue en Suisse!
Brigitte et Emmanuel: l’enseignante et l’élève. Ce raccourci fait par tous les Français et par les médias depuis leur arrivée à l’Élysée en mai 2017, la première dame le déteste. «On croit que je veille sur lui, mais c’est une erreur. Mes élèves n’étaient pas si dissipés!» s’était-elle esclaffée devant nous un jour de campagne, dans un train pour Strasbourg, en octobre 2016.
Pour son tout premier meeting électoral, le candidat Macron et elle se rendaient en TGV vers la métropole alsacienne. Nous nous étions retrouvés côte à côte. Dès la descente du train, les deux conjoints s’étaient d’ailleurs séparés. Lui, pour aller prendre un bain de foule puis pour monter sur scène. Elle, déjà, pour aller visiter une école et parler de la rentrée scolaire qui venait d’avoir lieu. Bienvenue en Suisse, Madame la professeure!