Tetiana attendait le son des bouteilles de champagne qui s'ouvrent pour son mariage, mais elle a été tirée du lit par une roquette russe tombée près de sa maison, dans le centre de l'Ukraine. «Au début, je pensais que c'était le tonnerre, mais le ciel était dégagé. J'ai compris qu'il s'agissait d'un bombardement», explique la designer de 31 ans.
Choqués par les destructions mais déterminés à poursuivre leurs noces, Tetiana et son fiancé Taras se sont mariés comme prévu, six heures plus tard. «Au départ, je pensais que nous devions annuler le mariage, mais mon fiancé m'a dit qu'il fallait aller de l'avant. La guerre n'a pas le droit de gâcher nos projets», poursuit Tetiana, qui a demandé qu'elle et son mari puissent utiliser des noms d'emprunt. «Nous avons le droit de créer notre famille et de vivre pleinement notre vie», ajoute-t-elle.
Le couple, qui s'est marié en juin à Krementchouk, ville industrielle à 250 kilomètres au sud-est de Kiev, fait partie d'une vague massive de mariages que connaît l'Ukraine depuis l'invasion par la Russie. Taras, qui était son voisin depuis l'âge de six ans, a demandé Tetiana en mariage l'année dernière, et ils avaient initialement envisagé une cérémonie au printemps.
«En mai, nous avons réalisé que la guerre pourrait durer longtemps et décidé de ne pas reporter la vie à plus tard car, comme cette guerre nous l'a montré, ce plus tard pourrait ne jamais arriver», poursuit Tetiana.
Huit fois plus de mariages
Dans leur région de Poltava, on compte 1600 mariages au cours des six premières semaines qui ont suivi l'invasion, contre 1300 pour toute l'année 2020. Dans la capitale, la hausse est encore plus prononcée avec 9120 mariages enregistrés en cinq mois, soit plus de huit fois plus que les 1110 cérémonies qui ont eu lieu au cours de la même période en 2021.
Un récent samedi ensoleillé à Kiev a vu plus de 40 jeunes couples se lancer dans leur vie commune dans un bureau d'état civil du centre-ville. «Se marier pendant la guerre est le pas le plus courageux et le plus difficile à faire, car on ne sait jamais ce qui va se passer», explique Vitali, 25 ans, sur le point d'épouser Anastassia, 22 ans, avant de partir au front.
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Le jeune couple avait depuis trois ans un vague désir d'officialiser leur union, mais ils n'ont décidé de sauter le pas qu'au dernier moment. «La guerre continue. C'est mieux de le faire maintenant», assure le marié.
Vitali Tcharnykh officie lors de cérémonies à la chaîne depuis mars, et considère son rôle comme une contribution à l'effort de guerre. «Je crois que je peux aider mon pays en soutenant les Ukrainiens sur le plan émotionnel», explique le jeune homme de 21 ans.
Le mariage de soldat, une tradition guerrière
Les guerres ont toujours été source de mariages. Au plus fort de la Deuxième guerre mondiale, en 1942, les États-Unis ont ainsi enregistré 1,8 million de mariages en 12 mois, soit une augmentation de 83% par rapport à la décennie précédente.
Vitali Tcharnykh dit avoir constaté en particulier une recrudescence des mariages de soldats. «En ces temps difficiles, les gens ne savent pas vraiment ce qu'il se passera demain, ils sont donc impatients de se marier le plus tôt possible», confirme-il.
Daria Stenioukova, 31 ans, professeure de yoga à Vinnytsia, préparait depuis des semaines son mariage avec Vitali Zavalniouk, 30 ans, mais à la veille de la cérémonie, un missile de croisière russe a dévasté la ville, faisant 26 morts, endommageant le bureau des mariages et détruisant son appartement. «Nous étions choqués mais déterminés à aller jusqu'au bout. Il était hors de question de renoncer. Ma maison a été détruite, mais pas notre vie», affirme Daria.
Ils ont été contraints de reporter la célébration avec leurs amis et leur famille – personne à Vinnytsia n'était d'humeur à faire la fête – mais ils ont tenu à se dire oui ce jour-là. Ils ont été mariés en trois minutes à peine, dans un autre lieu. Le couple a ensuite opté pour une séance photo dans l'appartement bombardé de Daria. «C'était un message de défi au monde entier, qui soulignait la force des Ukrainiens», dit-elle. «Nous sommes prêts à nous marier, même si des roquettes volent au-dessus de nos têtes».
(AFP)