Visas Schengen
Boycotter les touristes russes, un piège pour les Européens

La décision de limiter la délivrance des visas Schengen aux touristes russes sera examinée le 31 août par les 27 États membres de l'Union européenne. La Suisse sera concernée.
Publié: 22.08.2022 à 17:24 heures
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Dernière mise à jour: 23.08.2022 à 08:22 heures
L'Estonie est, avec la Finlande, l'un des pays de l'Union européenne les plus résolus à interdire l'accès à son territoire aux touristes russes.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Sur le papier, la décision peut paraître justifiée. Peut-on continuer d’accepter, sur le sol de l’Union européenne (UE), des touristes en provenance d’un pays dont le gouvernement menace, par la guerre qu’il a déclenchée en Ukraine, de déstabiliser l’UE et l’espace Schengen qui lui est associé?

L’appel au boycott des touristes russes, brandi ces jours-ci par l’Estonie ou la Finlande, a donc toute sa place parmi les discussions des ministres des Affaires étrangères des 27, qui se réuniront à Prague pour un conseil informel le 31 août. Toute décision concernant la délivrance, ou l’annulation de visas Schengen, sera bien sûr soumise à l’ensemble des pays concernés, y compris la Norvège et la Suisse, non-membres de l’UE.

Une discussion trop tardive

Le problème est que cette discussion vient tard, bien tard. Et qu’à ce stade du conflit en Ukraine, elle pourrait devenir un piège pour l’UE. Traiter de la même façon les visiteurs russes qui débarquent en Estonie, en Finlande, en Lituanie ou en Lettonie, trois pays très mobilisés en faveur du boycott, et ceux (très peu nombreux cette année) qui se rendent en Suisse, en Italie, en Espagne ou en France, a aussi de quoi interroger.

Dans le cas des pays baltes ou de la Finlande, les arrivées par voie terrestre sont en effet nombreuses, et la présence dans certains cas de minorités russophones visées par la propagande du Kremlin peut justifier des mesures coercitives.

Ailleurs, la donne est différente. Frontaliers de la Serbie, où de nombreux Russes ont afflué depuis le début de la guerre pour des raisons économiques, la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie sont tous des pays de l’UE non-membres de l’espace Schengen de libre circulation.

Le reste des arrivées de citoyens russes sur le sol de l’UE se fait donc par avion, ce qui rend bien plus faciles les contrôles et le suivi des individus. La logique voudrait dès lors que des mesures différenciées soient prises selon les pays, comme cela fut le cas durant la pandémie de Covid-19. C’est ce qu’a d’ailleurs fait l’Estonie qui, depuis le 18 août, n’autorise plus l'entrée des citoyens russes munis de visas estoniens touristiques ou commerciaux.

Éviter le piège de l’hypocrisie

L’autre piège à éviter est celui de l’hypocrisie. Jusque-là, les sanctions mises en œuvre par les 27 ont toujours eu pour but de mettre à genoux l’appareil économique et financier du pays, et de cibler une liste de personnalités liées au pouvoir en place. «Nous faisons une différence claire entre le peuple russe et le régime russe. Le régime de Poutine est une chose, le peuple russe en est une autre. La Russie est un grand pays et ce qui se passe est une tragédie pour les Ukrainiens, mais aussi pour les Russes» a répété plusieurs fois le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères, Josep Borrell.

Le 22 juillet dernier, celui-ci réitérait cette différence en ces termes: «Parmi les personnes figurant sur notre liste de personnes sanctionnées figurent des membres de haut rang de l’establishment politique ou culturel, tels que des membres de l’État et des provinces, des hommes politiques locaux comme le maire de Moscou. On y trouve également des chefs et des personnels militaires de haut rang, des hommes politiques nommés dans les territoires ukrainiens envahis par la Russie, des membres des 'Loups de la nuit' un club de motards nationalistes, des propagandistes et des hommes d’affaires de premier plan.» Bref, toujours le même discours: les Russes sont en partie otages de leur gouvernement. Ne les solidarisons pas davantage en les jetant dans les bras de Vladimir Poutine.

Pas d’affluence estivale de touristes russes

Dernier élément d’appréciation enfin: la période estivale. Celle-ci sera bientôt terminée. Le gros de l’affluence touristique russe sera derrière nous, et les pays d’ordinaire les plus concernés, comme la Grèce ou Chypre, ont de toute façon déjà vu cette catégorie de visiteurs disparaître… au profit de la Turquie. En 2019, 800'000 touristes russes avaient visité Chypre. Presque autant s’étaient rendus cette année-là en Grèce, après un record d’1,3 millions en 2013.

La pandémie de Covid a ensuite asséché les arrivées. La situation en 2022? «Leur nombre cette année est proche de zéro. C’est statistiquement sans importance» juge, à Athènes, Georges Drakopoulos, ancien haut responsable de la Fédération touristique hellénique (SETE).

Une mesure «cosmétique»

Bannir les touristes Russes? «C’est cosmétique. C’est de la communication tempère une ancienne ministre Française. La surveillance des biens des oligarques, et leur gel effectif, est bien plus importante en termes de levier sur Poutine.» Le ministère français des finances tient à jour une liste des propriétés concernées, pour la plupart sur la Côte d’Azur. Elle comporte aujourd’hui plus d’une centaine d’adresses.

Autre idée, évoquée récemment lors d’une rencontre entre le ministère français des Affaires étrangères et des Organisations de défense des droits de l’homme: distribuer à tous les Russes débarquant en France par avion (pour la plupart de Turquie, des pays du Golfe ou de Serbie, puisqu’il n’y a plus de vols directs) une brochure dans leur langue récapitulant les sanctions européennes et les raisons de celles-ci. Le conseil des ministres des 27, à Prague, pourrait discuter d’une telle initiative.

Cibler et mieux communiquer, plutôt que boycotter, malgré les appels de l’Ukraine à stopper toutes les arrivées de ressortissants: l’UE apprend aussi la guerre psychologique.

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