Une star surexposée et jugée
Selena Gomez, la renaissance d'une idole pour ados

Propulsée très jeune sur le devant de la scène, la chanteuse et actrice est devenue le symbole des enfants stars chaperonnés par Disney qui finissent par prendre leur envol. Un parcours long et douloureux. Son nouvel album signe sa renaissance.
Publié: 09:31 heures
Avec son nouvel album, Selena Gomez est en pleine renaissance.
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Le 6 novembre 2014 est une triste journée dans le monde de la musique. Les fans de folk pleurent la mort du bassiste Rick Rosas, l’un des musiciens les plus recherchés de Los Angeles, collaborateur notamment de Neil Young. Ceux qui préfèrent la musique tzigane se réveillent avec l’annonce du décès dans la nuit de Manitas de Plata, guitariste français d’origine gitane, qui reste aujourd’hui celui ayant vendu le plus d’albums dans ce style au monde. Et les selenators, eux, découvrent le visage de leur idole barré de larmes. Selena Gomez, chanteuse américaine pop ultra-populaire, sort par surprise un nouveau titre, «The heart wants what it wants», accompagné d’un clip en noir et blanc dans lequel on la voit pleurer à en faire fondre son maquillage.

Dans la chanson, Selena Gomez «espère qu’après cette fièvre, [elle] va pouvoir survivre». Il est bien évidemment question d’une relation amoureuse toxique, comme il en existe des dizaines qui semblent avoir pour but premier de nourrir des albums à travers le monde. Mais on peut aussi y voir une métaphore de la carrière entière de celle qui, longtemps, a été catégorisée comme teen idol sans grand talent.

La relation entre Selena Gomez et Benny Blanco est régulièrement sous le feu des critiques. En cause notamment: le physique du producteur.
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Propulsée très jeune par Disney, poursuivie par des hordes de fans, scrutée de toute part au moins autant pour ses histoires sentimentales que ses œuvres, la Texane vient de sortir un nouvel album, «I said I love you first», qui sonne comme une résurrection personnelle et artistique. Car cet opus a été concocté en duo avec Benny Blanco, compositeur américain habitué des tubes du crépuscule des années 2000 («TikTok», de Kesha, ou encore «I Kissed a Girl» de Katy Perry). Et les deux y racontent en long, en large et en travers leur rencontre et leur histoire d’amour. Ils préparent actuellement leur mariage.

Premiers castings à sept ans

Il est loin le temps où la jeune Selena devait mendier quelques centimes à des automobilistes sur les stations services pour permettre à sa mère, qui l’a eue à 16 ans et s’est retrouvée seule avec sa fille à 21, de faire le plein. Loin le temps où l’essentiel de leurs repas était constitué de macaroni au fromage. Plus que cette enfance modeste, que Selena Gomez a longuement racontée à la fin de son adolescence, c’est son admiration pour sa mère qui la pousse rapidement à vouloir devenir actrice. Mandy Teefey monte souvent sur les planches et sa fille s’entraîne avec elle à retenir des répliques. A sept ans, elle patiente pour la première fois pendant des heures pour passer un casting, avec des centaines d’autres jeunes filles, sous le soleil de plomb du Texas.

Et cela fonctionne. D’abord dans «Barney», une émission pour enfants qui lui permet d’être repérée par Disney. La firme américaine l’embarque ensuite dans ses feuilletons à succès: elle est la rivale de Miley Cyrus dans «Hannah Montana», puis la star des «Sorciers de Waverly Place». Selena Gomez n’a alors que 14 ans et la célébrité la submerge. Très rapidement, la jeune femme joue dans des superproductions calibrées au cinéma et, comme beaucoup de bébés Disney, se met à la chanson pour vendre des disques en parallèle des séries.

«
Je viens du monde Disney et je ne suis pas prise au sérieux
»

Son image est alors celle d’une adolescente sympathique et, surtout, raisonnable. L’Unicef en fait même l’une de ses plus jeunes ambassadrices. La «selenamania» s’empare des selenators, principalement des jeunes filles qui lui vouent un véritable culte. «Elle incarne un mélange d’accessibilité et de sophistication», analyse à l’époque auprès de «The Ledger» Erin Siminoff, producteur du film «Bienvenue à Monte-Carlo», dans lequel Selena Gomez tient l’un des rôles principaux. «Les filles s’identifient à elle, veulent être elle.»

Le carcan Disney

La chanteuse ne fait pas partie de celles qui renient ces années Disney. «Mon rythme comique, mes capacités d’improvisation… tout ce que j’ai connu à ce moment-là ont fait de moi une meilleure actrice», confie-t-elle à «Allure» en 2020. Mais dès 2011, déjà, la jeune femme prend conscience que son statut l’enferme aussi. «Je viens du monde Disney et je ne suis pas prise au sérieux», dit-elle à «The Ledger». «Ça ne fait pas plaisir d’être rejetée, d’entendre dire que les réalisateurs ne veulent pas d’une Disney girl… quelqu’un qui surréagit probablement, n’a aucune sincérité, et envisage le jeu comme un travail plutôt que comme un art.»

L'époque où Selena Gomez sortait avec Justin Bieber. C'était le couple glamour de l'époque.
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Quelqu’un, aussi, qui fait la une des tabloïds pour autre chose que ses talents. Sa relation ultra-médiatisée avec une autre bébé-star, Justin Bieber, attise le feu de la célébrité. Le Canadien méché et la latina – Selena Gomez a des origines mexicaines par son père – font vendre des couvertures de magazines par millions. Nous sommes au début des années 2010 et de nouveaux réseaux sociaux, Twitter puis Instagram, font leur apparition. Très vite, Selena Gomez y est traquée en permanence. «Ma vie privée était étalée partout», regrettera l’artiste dans les colonnes du magazine «Allure». «Je me suis sentie complètement piégée.»

L’écurie aux oreilles de Mickey est un tremplin. C’est aussi une prison dorée. Longtemps, Selena Gomez a chanté des chansons formatées qui suivent bêtement les tendances. «J’ai dû découvrir ce qui allait marcher pour moi», analysera-t-elle des années plus tard auprès du «Time». «Parce qu’il y a eu des moments dans ma carrière où j’ai chanté des choses qui n’étaient pas moi, qui n’étaient pas pour moi. Et d’ailleurs, vous pouvez l’entendre dans ma voix.» L’adolescente au visage poupon encadré de cheveux bruns lissés sait qu’elle doit prendre des risques si elle veut durer. Mais la prise de risque ressemblera, chez elle, à une opération de dynamitage.

Maturité et sexualisation

En 2013, le monde entier la découvre comme il ne l’a jamais vue: en bikini aux couleurs acidulés, dansant lascivement ou menaçant des innocents une kalachnikov à la main. Dans «Spring breakers», du réalisateur indé Harmony Korine, elle incarne une étudiante venue fêter le «spring break» en Floride et entraînée dans une spirale de drogue, d’alcool et de violence. Le film suscite des débats passionnés et divise profondément entre d’un côté ceux qui y voient une avalanche de vulgarité, de l’autre ceux qui célèbrent le geste pop de son réalisateur. Quoi qu’il en soit, Selena Gomez a remisé ses tenues de gentille petite fille au placard.

«
J’ai fait des choses qui ne me ressemblaient pas. Il y avait une pression pour faire plus adulte...
»

Vient alors l’année 2014, celle du grand chambardement. Avant la sortie de «The heart wants what it wants» et son clip plein de larmes, la pop star enchaîne les ruptures. D’abord avec son label Hollywood Records, celui de Disney. Ensuite, elle vire sa mère et son beau-père des postes de managers qu’ils occupaient depuis sept ans. Enfin, elle se sépare de Justin Bieber, après des années de relation tumultueuse. L’album qui sort l’année suivante porte un titre éloquent: «Revival», «renouveau» ou «réveil» en français. Sur la pochette, Selena Gomez est nue, comme débarrassée de son ancienne vie. Nous sommes bel et bien «après la fièvre» et il va falloir «survivre».

Une pression médiatique constante

Dix ans après cette renaissance, force est de constater que ce n’en était pas vraiment une. D’abord parce qu’à l’instar de beaucoup d’autres jeunes artistes, comme Miley Cyrus, Selena Gomez grandit d’un coup en suivant la voie de la sexualisation. Mais l’a-t-elle seulement vraiment choisie? Il est permis d’en douter en lisant ses regrets dans «Allure». «J’ai fait des choses qui ne me ressemblaient pas. Il y avait une pression pour faire plus adulte sur mon album ‘Revival’, j’ai senti la nécessité de montrer mon corps… je ne pense vraiment pas que j’étais cette personne.»

La pression médiatique qui pesait sur les épaules de la jeune femme pendant la période Disney ne faiblit pas. Après la séparation avec Justin Bieber, des milliers de fans éplorées les supplient de se remettre ensemble, jaugeant chaque commentaire sur les réseaux sociaux, chaque frémissement du côté des follows et unfollows. Cette obsession se retourne souvent contre Selena Gomez, que l’on pèse du regard, essayant d’estimer si elle a gagné ou perdu du poids, alors même que le diagnostic du lupus, une maladie auto-immune, la contraint à être médicamentée et hospitalisée plusieurs fois.

La santé mentale au premier plan

Selena Gomez apparaît également à l'écran. Ici à la première d'Emilia Pérez.
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Depuis dix ans, l’actrice est toujours victime d’autant de commentaires déplacés. Il suffit pour s’en convaincre de se souvenir de la tornade grossophobe qui s’est abattue sur elle en 2024, lors de son apparition à la cérémonie de prix des SAG Awards. En robe blanche moulante, elle laisse alors entrevoir un corps plus voluptueux. Un an plus tard, à la même cérémonie, désormais plus mince, la star est jugée… trop maigre.

Ces commentaires insultants sont balancés alors même que depuis sa fuite de chez Disney, Selena Gomez a mis l’accent sur un aspect de la vie d’artiste peu abordé avant elle: la santé mentale. En 2020, la chanteuse révèle dans un live Instagram être bipolaire. Et deux ans plus tard, le documentaire «My mind and me», disponible sur AppleTV+, fait l’effet d’une claque. On y voit la jeune femme s’effondrer, en larmes, au milieu de la tournée de «Revival». Répéter à l’envi qu’elle est nulle et n’arrivera à rien. Broyer du noir, sans qu’aucune issue franchement heureuse ne soit envisagée.

Certes, Selena Gomez ne s’est pas rasé la tête à la Britney Spears, n’a jamais totalement flanché, comme par exemple Lindsay Lohan, passée et repassée par des cures de désintoxication. L’ex protégée de Disney fait partie de ces popstars, finalement assez rares, qui ont maîtrisé les caméras de bout en bout, y compris sur les moments de lâcher-prise. Et qui remontent la pente coûte que coûte. En 2021, elle est à l’affiche d’«Only murders in the building», série policière faussement rétro de Disney+. C’est la première fois, depuis «Les sorciers de Waverly Place», que Selena Gomez occupe un rôle de premier plan dans un feuilleton.

Voilà donc le début de la réhabilitation. Celle dont les spécialistes moquaient le manque de tessiture obtient une véritable reconnaissance artistique avec la série, puis avec le film «Émilia Perez», sorti l’an dernier, dans lequel elle incarne une jeune épouse de narcotrafiquant mexicain. Son album «I said I love you first» n’est que le dernier clou, non du cercueil mais du nouveau pupitre. Celui qui confirme que la teen idol est définitivement devenue une chanteuse et actrice à part entière. «This is a modern fairytale», chantait-elle dans «The heart wants what it wants». C’est «un conte de fées moderne». «No happy endings»: «pas de fin heureuse». La fin n’est pas encore écrite. Mais quoi qu’il arrive, pour la première fois, Selena Gomez a véritablement le stylo entre ses mains.

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