Vladimir Poutine a fait des heureux. Personne ne l'avouera à Paris, Bruxelles, Rome ou Varsovie, mais l'industrie européenne de l'armement entend bien engranger les tragiques bénéfices de la guerre en Ukraine. Ainsi va le monde lorsqu'il entre dans une période de convulsions et de fracas. Les démocraties vacillent. Les dirigeants politiques s'interrogent et prennent des paris sur l'avenir. Les diplomates moulinent les scénarios. Seuls les marchands d'armes, eux, se frottent les mains. La peur est toujours le meilleur moyen de convaincre les acheteurs de passer en urgence de nouvelles commandes.
Retour des dépenses militaires incompressibles
Cet engrenage n'est pas glorieux. Il est même terrible, car il dit l'inquiétude ambiante et le retour des dépenses militaires incompressibles, certes pourvoyeuses d'emplois industriels, mais guère productives et peu compatibles avec l'indispensable transition énergétique. Scrutez bien pourtant, ce jeudi 14 juillet, le traditionnel défilé militaire français, sur les Champs-Elysées. Vous y verrez défiler différentes unités européennes, toutes issues de pays membres de l'OTAN, cette Alliance atlantique redevenue le pilier sur lequel tout le continent est adossé face à Moscou. L'Allemagne, si pacifique, a bien montré, avec le déblocage de 100 milliards d'euros pour moderniser la Bundeswehr, que la page est tournée. L'importance prise, en France, par le camouflet infligé au constructeur Naval Group par l'Australie, finalement désireuse d'acquérir des sous-marins nucléaires américains, l'a aussi prouvé.
Dis-moi comment tu es armé
Dis-moi comment tu es armé et je te dirai qui tu es. Telle est, au fond, la nouvelle doctrine de la «défense européenne», sans cesse mise en avant comme concept, mais d'abord assurée par la modernisation des arsenaux: canons, blindés, missiles, drones... Le grand marché européen des engins destinés à semer la mort ne s'est jamais aussi bien porté.
La Suisse, dans ce contexte, doit commencer à réfléchir en termes sonnants et trébuchants. Vexés par la décision de Berne d'acheter 36 chasseurs américains F-35 (coût annoncé: cinq milliards de francs) et cinq systèmes de défense anti-missiles Patriot – eux aussi «Made in USA» – les partenaires européens de la Confédération, à commencer par la France, jugent indispensable que l'armée helvétique n'oublie pas de sonner à leurs guichets. Logique. Une grande partie de la sécurité du pays est, de facto, assurée par ses voisins et par l'OTAN. Les militaires suisses ont d'ailleurs, chaque année, l'occasion de participer à des exercices conjoints avec les forces européennes. Or, qui dit nouvelle donne stratégique pour l'Europe, dit nouveaux programmes industriels et besoin d'innovation technologique en matière de défense. Cela induit aussi des investissements accrus de la part d'industriels vers lesquels les gouvernements se tournent, sans avoir les moyens budgétaires nationaux de financer seuls cet effort de guerre qui ne dit pas son nom.
Les preuves valent mieux que les promesses
Il n'y a pas qu'en amour que les preuves valent mieux que les promesses. La guerre ne se prépare pas à coups de conférences, de réflexions ou de partenariats. Elle exige des actes, des systèmes d'armes compatibles en cas d'agression, des coopérations coûteuses. La décision d'acheter des F-35 – tout le monde l'a compris – n'était pas seulement le résultat d'évaluations techniques, même si Viola Amherd continue de prétendre le contraire. Les Etats-Unis ne sont pas un partenaire qu'il convient de négliger. Soit. Admettons que ces avions controversés rempliront leur mission de façon adéquate une fois livrés à partir de ....2027, si le calendrier est tenu, alors que Lockheed Martin croule sous les commandes. Reste une longue liste d'armements à moderniser, renouveler ou reconditionner.
Le défilé militaire français du 14 juillet est une tradition républicaine qui, vu de l'étranger, peut paraître bien plus incongrue que les bals populaires. Mais il a le mérite d'écrire sur les pavés parisiens, et sur la place de la Concorde, une évidence: seule une Europe en armes bien défendue, par tous ceux qui la peuplent, pourra rester demain un grand marché et un espace démocratique de libre-circulation au bénéfice de tous. Y compris de la Suisse neutre.