Recherché par le gouvernement pour des accusations de corruption, l'ex-président albanais Ilir Meta a été arrêté lundi après une course-poursuite sur l'autoroute, scène digne d'un film d'action.
Interpellé alors qu'il se rendait à son bureau, il est accusé de blanchiment d'argent, de corruption et de fausses déclarations d'actifs. Son arrestation fait suite à celles d'autres hommes politiques d'opposition recherchés cette année par le gouvernement albanais. Qu'est-ce qui se cache donc derrière ces opérations?
Arrestations en série
Depuis le début des années 1990, Ilir Meta a marqué la politique albanaise – en tant que ministre des Affaires étrangères, Premier ministre, président du Parlement et, plus récemment, président de l'Albanie. Pendant de nombreuses années, il a été un homme politique de premier plan du parti socialiste au pouvoir, auquel appartient aussi le président actuel, Edi Rama. En 2004, Ilir Meta a quitté les socialistes pour fonder le «Mouvement socialiste pour l'intégration», qui s'appelle aujourd'hui le «Parti de la liberté».
Ilir Meta n'est pas le premier politicien d'opposition à avoir été arrêté par les agents du «Parquet spécial contre le crime organisé et la corruption». Ce week-end, Jurgis Cyrbja, ancien député du parti socialiste, a également été arrêté. L'ex-ministre des Finances socialiste, Arben Ahmetaj, a fui en Suisse en février. En septembre, le président du Parti démocrate (opposition), Sali Berisha, a été inculpé pour des accusations de corruption.
Des incidents ont par ailleurs eu lieu au sein du propre parti d'Edi Rama, les socialistes: un ministre a été condamné à une peine de prison pour corruption, un autre a été arrêté et attend toujours son procès.
Le Premier ministre visé par diverses accusations
L'Albanie a-t-elle donc enfin déclaré la guerre à la corruption? Après tout, ce thème figure en bonne place dans l'agenda du gouvernement albanais – le pays souhaite en effet adhérer à l'UE d'ici 2030. L'Albanie a reçu plus d'aide internationale que tout autre pays d'Europe centrale et orientale pour lutter contre la corruption, développer une société civile et des médias indépendants, ainsi que renforcer sa bonne gouvernance. C'est ce qu'a rapporté la plateforme Balkan Insight en juillet.
Pourtant, à l'été 2024, le département d'État américain a rendu un verdict sévère dans un rapport: la corruption reste «très répandue» dans les marchés publics, selon le rapport qui cite des investisseurs faisant état de «cas de corruption d'État qui retardent et empêchent les investissements en Albanie». Pire encore, «la corruption était présente dans tous les domaines et à tous les niveaux du gouvernement» selon le rapport. A tous les niveaux, c'est-à-dire également au sommet?
Les adversaires politiques d'Edi Rama affirment en effet que le Premier ministre de longue date a transformé le pays en une autocratie gangrenée par l'argent de la drogue. On lui reproche d'avoir toléré la montée du crime organisé.
Edi Rama rejette ces accusations. Sali Berisha et Ilir Meta demandent depuis plus d'un an la démission du gouvernement et l'accusent de corruption, de liens avec le crime organisé et d'une mauvaise politique économique.
Edi Rama reste le chouchou de l'UE
Comment Edi Rama voit-il toute cette affaire? En juin, un journaliste italien a demandé au président albanais comment il était possible que les membres de son cercle proche, dont plusieurs ministres, soient arrêtés les uns après les autres pour corruption, mais qu'il soit toujours en poste. Le Premier ministre albanais a répondu froidement: «Il y a des cochons dans chaque forêt.»
Mais il y a une autre réponse qui permettrait d'expliquer pourquoi il n'a pas encore été mis en cause: il est le chouchou de l'UE. En janvier, il était l'invité d'honneur du sommet de la CSU en Bavière. En mai, il s'est exprimé à Aix-la-Chapelle avec le ministre allemand de l'Economie Robert Habeck. La Première ministre italienne Giorgia Meloni a pu y passer ses vacances en famille dans sa villa privée. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s'adresse à Edi Rama en l'appelant «cher Edi».
Frauke Seebass, experte des Balkans à la Fondation Science et Politique, a déclaré au «Spiegel»: «Il faut voir le phénomène Rama dans un contexte plus large. Du point de vue de l'UE, il s'agit d'une approche commerciale pour stabiliser les Balkans occidentaux. Contrairement à Aleksandar Vucic en Serbie par exemple, Rama n'est pas considéré comme anti-européen et est beaucoup plus facile à gérer. Elle ajoute: C'est pourquoi on a décidé de fermer les yeux.»