Lorsque leur porte-parole, «Caesar», rencontre des journalistes, il les emmène généralement devant les ruines d'un monastère orthodoxe à Dolina, dans une zone reprise par l'armée ukrainienne à l'automne.
La coupole dorée fracassée, le lion en stuc au milieu des gravats, les icônes religieuses éparpillées, offrent le décor idéal pour «montrer au monde quelles sont les valeurs de Poutine».
«Caesar», belle gueule au regard bleu acier, déclame des phrases qui font mouche, en russe et parfois en anglais. «Je ne me bats pas contre la mère patrie, je me bats contre le régime de Poutine, contre la tyrannie». «Je ne suis pas un traître. Je suis un vrai patriote russe», répète-t-il.
Créée au début de la guerre, la légion des combattants russes, dont l’emblème est un poing fermé surmonté des mots «Liberté» et «Russie», fait partie du corps des volontaires internationaux au sein de l'armée ukrainienne.
Elle compte, selon «Caesar», «plusieurs centaines» de Russes, qui, après avoir reçu un entraînement de deux mois, se sont déployés à partir de mai dans le Donbass, cette région minière de l'est de l'Ukraine que Moscou essaye de totalement conquérir.
Ses hommes sont notamment déployés à Bakhmout, l'un des points les plus chauds du front de l'est, théâtre depuis plusieurs mois de combats acharnés entre les troupes russes et ukrainiennes.
Engagés essentiellement dans l'artillerie, ils sont sous le commandement d'officiers ukrainiens.
«Ce sont des combattants motivés et professionnels, ils effectuent parfaitement leur tâche», assure un officier ukrainien sous couvert de l'anonymat. Les recrues ont été soumises à de nombreux entretiens, des tests psychologiques, et même au détecteur de mensonge afin d'éviter tout risque d'infiltration, explique-t-il.
Importance politique
Sur les réseaux sociaux – Telegram, Twitter, Instagram... – , la légion «Liberté de la Russie» poste essentiellement des vidéos de propagande et clame avoir reçu des milliers de candidatures.
«Ils prennent part à la guerre mais n'ont pas un impact important, en raison de leur petit nombre», estime l'expert militaire ukrainien Oleg Jdanov. «Leur importance est plus politique. C'est bien pour l'Ukraine de pouvoir montrer qu'il y a des Russes qui soutiennent la démocratie et la liberté, et qui combattent du bon côté», résume-t-il.
Difficile de savoir qui sont exactement les «patriotes russes» qui composent la légion et leurs motivations. Pour Tikhiy, un ouvrier originaire de Togliatti, capitale de l'automobile russe à 800 kilomètres au sud est de Moscou, elles semblent davantage personnelles que politiques.
Ce quadragénaire au visage rond est issu d'une famille mixte. Sa femme, rencontrée en Russie, est ukrainienne.
«Elle n'aurait pas compris que nous restions en Russie», dit ce père de deux enfants qui était en visite en famille à Kiev au moment de l'invasion. Ils ne sont jamais rentrés en Russie, et il s'est engagé dans l'armée ukrainienne au sein de la légion.
Il n'a presque plus aucun contact avec sa famille restée en Russie, qui ne comprend pas son choix. «On leur a un peu lavé le cerveau. Mais je sais qu'ils sont inquiets pour moi».
Et il a rompu avec ses amis. «Ils sont assis sur leur canapé en Russie et répètent: on va libérer l'Ukraine», ironise-t-il.
Sans regret, sans état d'âme, il dit considérer les soldats russes comme des «ennemis» et se fera «sauter avec une grenade plutôt que d'être capturé» par les forces de Moscou.
Tikhiy a demandé la nationalité ukrainienne, mais il ne pourra l'obtenir qu'une fois la guerre finie. «Pour le moment, j'ai toujours le passeport de l'ennemi».
«Nationaliste de droite»
«Caesar», le porte-parole, est pour sa part originaire de Saint-Pétersbourg où il était kinésithérapeute. Lui affirme avoir des motivations politiques, se présentant comme «un nationaliste de droite» qui pense que le régime de Vladimir Poutine ne peut être renversé que par la force.
Il n'a aucune confiance dans les opposants – «tous des marionnettes» selon lui – et estime que ses compatriotes «ne veulent rien voir ni entendre».
L'homme s'anime brusquement: «La Russie est en train de mourir. Allez dans les villages, vous verrez des ivrognes, des drogués, des criminels. Le peuple souffre», lance-t-il.
«C'est le résultat de 20 ans de Poutine. Son système, son gouvernement, ses députés, c'est de la merde. Ce sont des losers, des corrompus, des voleurs, qui ne pensent qu'à vivre dans l'argent et le plaisir. Ce n'est pas une façon de diriger un pays», fustige-t-il.
L'invasion russe de l'Ukraine en le 24 février a été le déclencheur, il a emmené sa femme et ses quatre enfants à Kiev. «Eux aussi vivent dans la peur des bombardements et dans le froid, mais ils sont d'accord avec mes choix», déclare «Caesar», qui s'exprime à visage découvert puisque sa famille est désormais «à l'abri» en Ukraine.
(AFP)