Trump et ses mesures tarifaires
«Buycotter» les Etats-Unis? Pas si simple!

Les esprits s’échauffent en raison des mesures protectionnistes, des menaces et des insultes proférées à Washington contre le monde entier – à l’exception de la Russie. Faut-il boycotter les produits made in USA en espérant calmer ainsi l’arrogance de Trump? Synthèse.
Publié: 12.04.2025 à 10:01 heures
«Buycotter» les Etats-Unis n'est peut-être pas la meilleure solution pour esquiver les mesures protectionnistes de Donald Trump.
Photo: Getty Images

Face aux affronts, face aux menaces d’annexion de territoires par la force, face aux infractions répétées des codes de la diplomatie et face aux sanctions économiques aussi brutales qu’unilatérales de la nouvelle administration américaine, une volonté de boycotter le made in USA émerge spontanément dans le monde démocratique, sondages à l’appui.

Mais dans une économie mondialisée, pratiquer un «buycott» (c’est-à-dire une consommation sélective) ciblé est un vrai casse-tête, même pour les consommatrices et consommateurs les mieux informés. Tentons quand même ici une synthèse pratique à partir des innombrables avis d’experts qui s’expriment ces temps dans les médias.

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L’option boycott est-elle d’abord justifiée?

Mettre à l’index des produits (plus ou moins) américains tout en achetant le cœur léger du made in China fabriqué peut-être par des prisonniers politiques ou ethniques, ouïghours ou tibétains, est-ce bien cohérent, rappellent systématiquement la plupart des économistes interrogés. Il est important, insistent la majorité de ces experts, que le «consommacteur» clarifie dans un premier temps ses priorités éthiques avant de foncer tête baissée sous le coup de la colère. Et est-il vraiment pertinent de pénaliser aveuglément tous les Américains alors que seule une moitié d’entre eux a voté pour Trump et qu’une partie de ceux-ci désapprouvent déjà certaines décisions de leur président, voire regrettent carrément leur choix?

Les associations européennes de défense de consommateurs restent d’ailleurs discrètes dans cette fâcherie. La secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs (FRC), Sophie Michaud Gigon, estime que le débat actuel a en tout cas le mérite de rappeler un besoin fondamental: «La provenance est un des éléments légaux clés qui doivent apparaître sur l’emballage et être lisibles. La FRC le rappelle régulièrement, car il permet justement aux consommateurs d’exercer leur choix et leur pouvoir économique. Et ce pouvoir économique peut orienter le marché si les tendances sont suffisamment fortes et durables. On avait pu le vérifier à l’époque avec le boycott des pommes granny-smith d’Afrique du Sud en pleine période d’apartheid.»

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La quête presque impossible du vrai méchant produit

En effet, identifier l’origine d’un produit et être certain de savoir à qui sa vente profite est plus difficile que jamais. Une grande partie des biens de consommation et des services sont en quelque sorte apatrides. Le vagabondage planétaire des matières premières, la dissémination géographique des sous-traitants et l’opacité financière globale ont dénationalisé aussi bien les produits que les profits.

On pourrait presque décrire le monde marchand du XXIe siècle comme une planète composée seulement de deux nations sans drapeau: celle, peu peuplée, des riches et celle, surpeuplée, réunissant des classes moyennes déclinantes et des pauvres toujours plus misérables. Or en boycottant le Coca-Cola ou en ne fréquentant plus McDonald’s en Suisse ou en Europe, qui pénalise-t-on le plus? La planète des riches ou la planète des pauvres? Est-ce que ce sont bien à des oligarques yankees finançant leur copain Trump que l’on fait du tort ou bien à des employés et des fournisseurs locaux de ces marques et de ces enseignes désormais plus mondiales que seulement américaines?

Autre dilemme: faut-il boycotter par exemple «notre» bon vieux Toblerone, non seulement parce que ces triangles de chocolat sont désormais fabriqués en Slovénie, mais aussi et surtout parce que la marque est en mains américaines depuis plus de trente ans? De toute manière, pour que ce tamisage de marques soit possible sans y passer une heure par jour, il faudrait une application de smartphone fonctionnant à l’intelligence artificielle et nourrie par une masse énorme de données fiables. Nous avons cherché sur les magasins d’applications en ligne, mais nous n’avons pas trouvé le moindre outil convaincant.

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Les cibles idéales: Tesla et X

Il est aussi utile, rappellent les économistes, d’avoir conscience que les sanctions économiques internationales font souffrir les populations des pays ciblés, plus particulièrement les classes défavorisées, mais rarement les élites des pays qu’on veut punir. Il y a quand même deux exceptions à cette règle dans la bagarre transatlantique en cours: Tesla et X.

Les outrances d’Elon Musk, désormais éminence grise de Donald Trump, contribuent sans doute à l’effondrement actuel des ventes, en Europe surtout, de la marque de voitures électriques qu’il avait fondée. Et depuis qu’il a racheté Twitter il y a trois ans pour le rebaptiser X et surtout en cessant pratiquement de modérer ses contenus, le réseau a perdu des millions d’inscrits. Avec ses dérives nauséabondes, Musk a provoqué un dégât d’image durable pour ces deux marques qui perdent des consommateurs et des utilisateurs aux Etats-Unis aussi.

Le dégoût, plus épidermique qu’idéologique, qu’il inspire a engendré un boycott spontané et en l’occurrence très bien ciblé. Ce flibustier commence d’ailleurs à s’émouvoir devant la perte de valeur boursière de Tesla. Il peut en revanche se consoler avec X, dont l’action a repris du poil de la bête depuis qu’il souffle dans l’oreille de son cher président.

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Facebook, Amazon et Cie: sans rivaux, ou presque

S’il y a bien un secteur d’activité, plus stratégique, plus puissant et plus prospère que jamais, qui s’est littéralement couché devant Sa Majesté Trump, ce sont les géants du numérique, pratiquement tous américains. Des géants qui génèrent d’énormes profits tout en échappant à l’impôt dans les pays qu’ils ont pourtant colonisés. Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook, Instagram, WhatsApp) et bien sûr l’ineffable Musk (X) forment le trio des courtisans high-tech les plus dévoués de Trump.

Les peuples d’Europe, du Canada, du Mexique et des autres pays en ayant marre de se faire humilier par Washington disposent donc, à priori, d’un levier potentiellement puissant et parfaitement ciblé. Une désinscription massive de ces plateformes serait synonyme de chute de leur valeur boursière et de leur attractivité pour les annonceurs et tempérerait peut-être le soutien de ces milliardaires à cette administration hostile envers le monde entier – sauf la Russie de Poutine et Israël. Mais les petits Européens sont bien obligés de constater leur degré d’inféodation à Amazon, WhatsApp, Facebook, Instagram, Google, Microsoft et compagnie.

Le monde démocratique hors USA s’est docilement laissé piéger par ces plateformes américaines qui ont réussi à bétonner leur domination sans partage. Une migration spontanée de masse vers d’autres services équivalents est très improbable, sauf si... la situation diplomatique dégénérait complètement et que les gouvernements européens les interdisaient par mesure de rétorsion. Un scénario de politique-fiction hautement improbable.

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Un exemple (suisse) de refuge numérique

Ces tentations de boycott ont quand même du bon. Elles motivent une bonne partie des citoyens à remettre en question leurs habitudes d’achat. Même dans le numérique grand public, il existe des produits européens et même suisses excellents et respectueux des données personnelles. Le nom Proton est par exemple régulièrement cité dans les débats actuels. Proton, c’est une messagerie, un VPN, un cloud ou encore un gestionnaire de mots de passe de très haute qualité et surtout qui garantissent une confidentialité absolue de vos données personnelles, ce qui n’est pas le cas des géants américains.

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Consommer local

La seule posture de consommation qui réconcilie, dans les débats contradictoires actuels, partisans et opposants au «buycott» des produits américains, c’est l’option du «consommer local». Simple à mettre en pratique (en apparence du moins), politiquement incontestable, qu’on soit de droite ou de gauche, écologiquement et socialement correcte, cette préférence a en outre l’avantage de ne pas apparaître comme une déclaration de guerre économique.

Plus généralement, il est pertinent de considérer cette guerre froide économique comme un problème avant tout politique. Ce sont les dirigeants des pays maltraités par Washington qui doivent répliquer, si possible de manière coordonnée, à la brutalité de la firme Trump and Co.

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