Tchernobyl, une vraie cocotte minute
Blick s'est rendu dans l'endroit le plus irradié au monde

Les occupants russes sont partis, mais le danger radioactif est resté. Tchernobyl n'a pas échappé à la guerre. Le site pourrait à tout moment redevenir un champ de bataille nucléaire. Reportage.
Publié: 16.12.2023 à 12:22 heures
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Dernière mise à jour: 16.12.2023 à 12:25 heures
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Un sarcophage de béton de 36'000 tonnes surplombe le réacteur 4 qui a explosé à Tchernobyl.
Photo: Samuel Schumacher
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Samuel Schumacher

Depuis l'accident nucléaire du 26 avril 1986, Tchernobyl est l'endroit le plus irradié du monde. Un site dangereux qui l'est devenu encore plus le 24 février 2022 lorsque des soldats russes l'ont envahi. Blick s'est aventuré à proximité des ruines pour rendre compte de la vie dans ce lieu si spécial.

Invisible et inodore, la radioactivité scintille dans cette zone fantomatique... pour des millénaires encore. Un sarcophage de béton de 36'000 tonnes recouvre le réacteur explosé. Toute une armée de spécialistes du nucléaire est à pied d'œuvre 24 heures sur 24.

Un siège de 45 jours

Les employés n'en ont pas cru leurs yeux quand ils ont vu le comportement des soldats russes le premier jour après leur invasion dans la tristement célèbre «forêt rouge» de Tchernobyl. «Sur mes écrans, cela ressemblait à une attaque de fourmis géantes», raconte Ludmilla Kozak, responsable de la sécurité de la centrale désaffectée.

Ludmilla Kozak est la cheffe de la sécurité du site nucléaire.
Photo: Samuel Schumacher

Les Russes les auraient pris en otage et auraient tout cassé. «Ils n'avaient aucune idée de l'endroit où ils avaient atterri.» Aucune idée du danger que représenterait leur pillage du site nucléaire. Le siège de Tchernobyl par les Russes a duré 45 jours.

Ludmilla Kozak et ses collaborateurs se sont retrouvés pris au piège: surveillance 24 heures sur 24, maximum trois heures de sommeil d'affilée, la même nourriture tous les jours, presque jamais de linge propre et trois pauses pipi par équipe de travail. Le mot d'ordre était de «toujours continuer».

«Ils vomissaient et avaient le visage tuméfié»

La «forêt rouge» est la zone la plus contaminée des 4000km2 de la zone d'exclusion. C'est ici que la plupart des cendres nucléaires ont atterri après la catastrophe de 1986 et que les pluies acides se sont infiltrées. On peut y rester au maximum cinq minutes à condition de ne pas quitter sa voiture et de ne rien toucher.

«Mais les Russes ont creusé des tranchées et installé leur camp ici pendant plusieurs semaines», s'exclame Ludmilla Kozak en secouant la tête, incrédule. «Leurs visages étaient gonflés et tout rouges.» Elle ajoute qu'ils vomissaient tout le temps. «Je parie que beaucoup d'entre eux ne sont plus en vie aujourd'hui.»

La «forêt rouge» est particulièrement dangereuse.
Photo: Samuel Schumacher

Le 10 mars 2022, on n'est pas passé loin d'une nouvelle catastrophe nucléaire. L'alimentation électrique s'est effondrée. Et sans électricité, pas de refroidissement des barres de combustible. Heureusement, les soldats ont pu compter sur des générateurs électriques, mais le carburant a rapidement commencé à se faire rare. Le danger était alors imminent. «Nous avons désespérément essayé d'expliquer aux Russes l'ampleur du problème» souligne Ludmila Kozak. 

«Nous avons finalement convaincu les soldats de nous donner du diesel de leurs véhicules militaires» explique la responsable de la sécurité. «Au lieu d'utiliser leurs réservoirs de diesel pour l'assaut prévu sur Kiev, ils les ont utilisés pour les groupes électrogènes de secours», ajoute-t-elle. C'est une double victoire: Tchernobyl a été sécurisée et en plus la colonne militaire russe s'est arrêtée. 

Fin mars 2022, les Russes ont quitté les lieux. Aujourd'hui, les soldats ukrainiens ont repris le contrôle des routes et des bâtiments de la zone. Chaque photo prise par Blick est vérifiée par les services secrets pour veiller à ne pas révéler de positions militaires.

Une équipe de dix jours dans la zone de radiation nucléaire

Blick rencontre la cheffe de la sécurité et deux de ses collaborateurs à Slavoutytch, à 50 kilomètres à peine du site nucléaire. La ville a été créée pour accueillir la population ayant quitté Tchernobyl. Aujourd'hui, tous les habitants ont un emploi dans la zone radioactive.

Avant la guerre, il était possible aux travailleurs d'aller à Tchernobyl en moins d'une heure. Aujourd'hui, ils doivent faire un grand détour par Kiev. Le trajet en bus dure six heures et il n'y a pas d'alternative. Les ponts ferroviaires ont été détruits. La frontière biélorusse, par laquelle le train traversait Tchernobyl est fermée. 

Oleksander Cherepanov est un spécialiste des déchets nucléaires à Tchernobyl.
Photo: Samuel Schumacher

Alors, au lieu de rentrer chez eux le soir comme avant, Oleksander Cherepanov et ses collègues doivent maintenant rester dix jours à Tchernobyl. Le spécialiste des déchets radioactifs est attristé par cette situation: «Ce rythme de travail a détruit ma famille.» «Moi absent dix jours, puis ma femme dix jours, ça ne marchait pas», ajoute-t-il.

Il se souvient très bien des Russes qui l'ont retenu prisonnier pendant 45 jours. «Un jour, ils ont tourné un clip de propagande pour leur chaîne de télévision et se sont déguisés en employés de Tchernobyl, explique en riant Oleksander Cherepanov. Ils ont presque éclaté dans leurs combinaisons de protection qui étaient trop serrées.»

Le spécialiste des déchets radioactif s'est également amusé d'eux lorsque les Russes sont tombés sur les comprimés d'iode utiles pour les urgences nucléaires. Ils ont demandé ce que c'était et il leur a répondu: «Des pilules pour l'érection! Il faut absolument que vous les essayiez.»

«Nous avons des rapports sexuels tous les jours»

De l'autre côté de Tchernobyl, beaucoup de choses semblent être revenus à la normale, comme avant l'invasion russe. Le Prypiat, un fleuve contaminé, coule à nouveau paisiblement dans son canal. Les grues qui entourent le réacteur 5, dont la construction n'a d'ailleurs jamais été achevée, dirigent leurs bras rouillés en direction du ciel. Il y a tout de même une nouveauté: les épouvantails militaires. Ces mannequins menaçants se trouvent au bord et pointent leurs fausses armes dans le vide. 

Mais il n'y a plus personne à effrayer. Les Russes sont partis. «Heureusement», glisse Tamara Petrovic. Son mari Vasil et elle font partie des rares personnes qui, après l'accident nucléaire et malgré les avertissements du gouvernement, sont retournées dans leur petite maison avec un grand jardin au milieu de la zone d'exclusion. «La radioactivité ne nous dérange pas. J'ai 71 ans et nous continuons à faire l'amour tous les jours», plaisante son mari Vasil en offrant un pot de miel au journaliste du Blick. «Des abeilles de Tchernobyl, c'est délicieusement sucré !»

Tamara Petrovic est nostalgique de l'époque où les touristes venaient par milliers munis de leur compteur Geiger. «Ils étaient drôles. On espère qu'ils reviendront bientôt.» Ses mots sont plus durs quand elle parle des Russes: «Ils n'ont rien à faire ici, dans notre belle patrie».

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