Stéphane Bancel, CEO de Moderna, en interview
«L'espérance de vie augmentera sensiblement grâce à la technologie à ARNm»

Moderna est l'une des rares entreprises au monde à produire le vaccin Covid en utilisant la technologie à ARNm. Le CEO Stéphane Bancel est donc un homme recherché. Dans cette grande interview, le Français souligne le potentiel de cette technologie pour l'humanité.
Publié: 23.09.2021 à 05:48 heures
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Dernière mise à jour: 23.09.2021 à 08:23 heures
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Stéphane Bancel (49 ans) est PDG de Moderna. Il est convaincu de la technologie de l'ARNm : "L'espérance de vie moyenne augmentera sensiblement".
Photo: STEFAN BOHRER
Interview: Christian Dorer, Jessica Chautems (adaptation)

Il y a encore peu, Stéphane Bancel était le CEO d’une start-up inconnue. Presque du jour au lendemain, celle-ci est devenue une entreprise d’importance mondiale, et lui-même plusieurs fois milliardaire. Moderna est l’une des rares entreprises à produire le vaccin contre Covid en se basant sur les dernières avancées en termes de technologie à ARNm, contribuant ainsi de manière décisive à débarrasser le monde de la pandémie.

En 2020, Stéphane Bancel n’a pas eu un seul jour de congé. Cet été, il a au moins pu prendre une semaine de congé pour célébrer son 20e anniversaire de mariage avec sa femme. Les chefs d’État du monde entier l’appellent sur son téléphone portable – même la veille de Noël! – pour faire pression pour davantage de doses.

Chaque jour, Stéphane Bancel reçoit des centaines de lettres du monde entier, par exemple de grands-parents qui le remercient de pouvoir revoir leurs petits-enfants. Dans un même temps, sa maison doit être protégée 24 heures sur 24, conséquence des menaces des militants opposés à la vaccination.

Stéphane Bancel travaille au siège de Moderna dans le Massachusetts (USA). En début de semaine, il a visité le siège européen de la compagnie à Bâle. L’occasion d’une interview où Stéphane Bancel parle de la pandémie, du vaccin et des raisons pour lesquelles il considère la technologie de l’ARNm comme «la plus grande révolution en médecine depuis l’invention de l’aspirine».

1. Ce que chaque personne vaccinée doit savoir

Quand la troisième dose de vaccin sera-t-elle nécessaire?
Cela dépend du vaccin. Moderna offre une bonne protection jusqu’à huit à douze mois après la deuxième dose, même contre le variant Delta, plus agressif. Pour les personnes âgées, cette durée est un peu réduite.

Quand les enfants de 6 ans et plus pourront-ils être vaccinés?
Actuellement, la limite d’âge est de 12 ans. Les premières homologations pour les vaccinations à partir de 6 ans devraient arriver à la fin de l’année.

Pourquoi cela est-il nécessaire?
Il y a toujours davantage d’enfants qui doivent aller à l’hôpital à cause du variant Delta. De plus, les grands-parents qui n’ont pas encore reçu une troisième dose pourraient également être infectés par leurs petits-enfants.

Devrons-nous désormais nous faire vacciner contre le Covid chaque année?
Probablement. Ce qui est toutefois révolutionnaire avec la technologie à ARNm, c’est qu’en une seule injection, vous pouvez combiner le Covid, la grippe et d’autres vaccins. Une seule piqûre et vous êtes vacciné contre plusieurs virus!

2. Ce que le CEO de Moderna dit aux vaccino-sceptiques

Pourquoi les taux de vaccination varient-ils autant d’un pays à l’autre?
Cela dépend de plusieurs facteurs. D’abord de la confiance que les gens accordent à la science ou à leur gouvernement, de leur façon de s’informer et pour finir de leur niveau d’éducation. Dans les villes portées sur la science, comme Boston où je vis, le taux de vaccination est très élevé.

Que dites-vous aux vaccino-sceptiques?
Que leurs peurs ne sont pas fondées. Lors d’une vaccination traditionnelle, une petite quantité du virus est administrée, ce qui les effraie. Certaines personnes craignent maintenant que les nouveaux vaccins à ARNm interfèrent avec l’ADN. Les études cliniques montrent toutefois clairement que ce n’est pas le cas.

Les sceptiques affirment que la technologie étant nouvelle, il est encore impossible de connaître les éventuels effets à long terme.
Aucun produit chimique n’est ajouté au vaccin. L’ARNm est composé de quatre acides nucléiques, tous biodégradables. Deux heures après l’injection déjà, les nanoparticules lipidiques ne sont plus détectables. La plateforme vaccinale à base d’ARNm fonctionne de fait en communion avec notre biologie humaine naturelle. Elle fournit le code, à l’instar d’un logiciel qui aiderait notre système immunitaire à combattre le virus.

Pourquoi tant de personnes craignent la vaccination?
La société est exposée à de nombreuses informations erronées sur Internet. Beaucoup de personnes doutent du vaccin à cause de la rapidité de son développement. Ils oublient que là réside l’avantage de nos produits. Il a fallu beaucoup de temps pour élaborer les processus et les machines nécessaires, mais ensuite nous avons pu réagir très rapidement.

Que se serait-il passé si le Covid-19 était apparu trois ans plus tôt?
Nous n’aurions pas été prêts, ne serait-ce que parce que nous avons ouvert notre premier site de production qu’en juillet 2018. Avant l’arrivée du coronavirus, nous produisions neuf autres vaccins et améliorions constamment la technologie. C’est pourquoi nous avons pu développer le vaccin contre le Covid-19 si rapidement.

3. Comment la technologie de l’ARNm va révolutionner la médecine

Quelles seront les utilisations futures de la technologie à ARNm?
Nous développons actuellement 18 vaccins contre différents virus. En outre, nous travaillons sur des traitements, notamment contre le cancer. Nous avons déjà collaboré avec Astrazeneca pour aider les personnes ayant subi une crise cardiaque grâce à la technologie ARNm. En ce moment même, une révolution est en train de se produire dans la médecine!

Pourquoi une révolution?
Pendant 150 ans, la médecine était analogique. Vous deviez combattre chaque maladie avec une combinaison chimique différente, vous deviez réinventer complètement chaque médicament et passer des années à le développer. Comme la base ARNm reste identique, il nous suffit de l’adapter à une maladie en particulier. Nous pouvons donc utiliser les mêmes machines dans les mêmes installations de production avec les mêmes employés pour chaque nouveau produit.

Où en êtes-vous dans la lutte contre le cancer?
Nous voulons renforcer le système immunitaire avec l’ARNm afin qu’il puisse vaincre lui-même le cancer. Le produit le plus prometteur dont nous disposons est un traitement personnalisé. Nous effectuons une biopsie de l’organe touché, puis nous prenons un échantillon de sang, nous séquençons les cellules et pour finir, nous élaborons un traitement individuel. Il s’agit d’un progrès considérable car il est efficace même si des métastases se sont déjà formées à différents endroits. Pour l’instant, le plus grand défi est que tous les patients ne répondent pas au traitement.

Pourrons-nous alors vivre plus longtemps?
C’est exact. Si la technologie à ARNm se répand, l’espérance de vie moyenne augmentera sensiblement.

4. Comment le monde peut vaincre le Covid-19

La demande en vaccins est supérieure à la capacité de production. Quels sont vos critères pour répartir les doses?
Nous nous basons strictement sur la réception de la commande. Toutefois, il aurait été contraire à l’éthique de livrer en une seule fois toutes les doses de vaccin pour l’ensemble de la population d’un pays. Les personnes qui avaient le plus grand risque de contracter la maladie devaient être protégées en premier.

Certains pays ont-ils fait pression sur vous pour obtenir le vaccin plus rapidement?
Parfois, j’ai passé mes week-ends au téléphone avec des présidents et des premiers ministres (rires). Ils voulaient accélérer le processus, mais ce n’était pas possible.

Le monde entier sera-t-il un jour vacciné?
Nous supposons qu’au second semestre 2022, pratiquement tout le monde aura été soit vacciné, soit infecté. C’est le seul scénario possible. Ceux qui ne se font pas vacciner seront infectés.

Comment le virus va-t-il muter?
Il peut devenir plus contagieux, mais sera par contre moins mortel. Un virus ne veut pas que son porteur en meure, car sinon il disparaît avec lui.

Comment l’humanité va-t-elle s’en sortir?
Le virus ne disparaîtra jamais, il faudra toujours des rappels de vaccination. Toutefois, comme je l’ai déjà avancé, grâce à la nouvelle technologie à ARNm, une seule dose peut également renforcer tous les autres vaccins dans un même temps, comme par exemple celui contre la grippe. Par conséquent, moins de personnes tomberont malades de la grippe.

5. Comment Stéphane Bancel a tout quitté pour fonder Moderna

Vous aviez un poste important dans une société internationale. Pourquoi avez-vous démissionné à 37 ans pour prendre la tête d’une toute petite start-up?
Lorsque j’ai entendu parler de l’idée commerciale de Moderna, j’ai d’abord pensé: «Cela ne marchera jamais». Après m’être entretenu avec plusieurs scientifiques et lauréats du prix Nobel, j’ai réalisé ce que cela signifierait pour la science si cela devait fonctionner. J’ai immédiatement saisi que cette entreprise pouvait soit mener à un échec cuisant, soit révolutionner la médecine. Car si les recherches aboutissent, nous pourrons proposer de nombreux produits sur le marché, en contraste avec les produits pharmaceutiques traditionnels, où de nombreux essais sont nécessaires avant commercialisation.

Comment était ce nouveau départ il y a dix ans?
C’était difficile. Nous avions deux millions de dollars et aucune expérience. Les deux premières années, nous n’étions que vingt personnes, aujourd’hui nous sommes 1800.

N’avez-vous jamais douté de votre réussite?
Et comment! Ma femme s’est demandé si je n’étais pas atteint de troubles bipolaires: un soir, je rentrais à la maison ravi et désireux d’embrasser le monde, le lendemain, j’étais complètement déprimé et je pensais que ça ne marcherait jamais.

Le 2 mars 2020, vous et d’autres CEO de l’industrie pharmaceutique étiez invités par Donald Trump à la Maison Blanche. Vos concurrents estimaient que «plusieurs années» seraient nécessaires au développement d’un vaccin contre le Covid-19. Vous ne parliez que de «quelques mois». Comment le président américain a-t-il réagi?
Il a reconnu l’opportunité. Nous étions encore loin des essais cliniques. Toutefois, nous collaborions déjà étroitement avec Anthony Fauci, le conseiller principal de Trump en matière de pandémie.

Comment avez-vous convaincu Donald Trump d’investir un milliard de dollars?
A ce moment-là, il était impossible de savoir quel serait le meilleur vaccin. Le gouvernement américain a donc investi dans différentes entreprises. Nous avons obtenu un milliard de dollars, et cela a été crucial. Nous n’avons jamais pris de risques concernant la sécurité, mais des risques commerciaux, qui eux étaient couverts par cet argent. Si le développement d’un vaccin coûte 20 millions de dollars et qu’il ne fonctionne pas, ces 20 millions de dollars sont perdus.

Quelle importance a eu cette injection d’argent par le gouvernement américain?
C’était très généreux et essentiel pour le développement de notre produit. Le monde entier en bénéficie encore aujourd’hui.

6. Le rôle de la Suisse dans la production de vaccins

Quelle est l’importance de la production suisse chez Lonza à Viège?
La Suisse est fondamentale pour nous, puisqu’elle fournit 40% de notre production à près de la moitié du monde.

Envisagez-vous de produire en Suisse à long terme?
Oui.

Pourquoi votre siège européen se trouve-t-il à Bâle?
Il y a quatre raisons à cela. Premièrement, nous sommes depuis longtemps fortement soutenus par des investisseurs suisses. Ensuite, la Suisse bénéficie d’une situation centrale et ses entreprises pharmaceutiques regorgent de talents. Pour finir, notre producteur Lonza se trouve sur le territoire.

La Suisse a-t-elle été avantagée par rapport à d’autres pays?
La Suisse, avec le Canada et Singapour, a été parmi les trois premiers pays à commander le vaccin Moderna. À l’époque, elle acceptait de prendre de grands risques car il n’y avait que peu d’études. En cas de crise, cette stratégie est payante. Certaines grandes puissances économiques ne m’ont appelé que plus tardivement, vers Noël. Elles voulaient commander pour la semaine suivante, ce qui n’était évidemment pas possible.

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