Selon le politologue Hamed Abdel-Samad
«Le problème, ce sont les jeunes immigrés qui méprisent l'État allemand»

À Berlin, la nuit du Nouvel An, une foule a attaqué la police, les ambulanciers et les pompiers. Au total, 56 personnes en uniforme ont été blessées. L'État ne fournit pas les bonnes réponses, affirme le politologue Hamed Abdel-Samad dans une interview accordée à Blick.
Publié: 09.01.2023 à 13:26 heures
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Des émeutes ont eu lieu devant le Reichstag lors du Nouvel An à Berlin.
Photo: Keystone
Reza Rafi

Hamed Abdel-Samad est un politologue germano-égyptien. Il est principalement connu pour ses critiques envers les mouvements extrémistes fascistes et l'islamisme en Allemagne. Auteur de plusieurs ouvrages, il met en lumière les dérives du mouvement islamiste, notamment l'appel au meurtre et à la guerre, ou encore la déshumanisation de l'ennemi. Dans une interview accordée à Blick, il revient sur les événements violents qui se sont déroulés durant la nuit du Nouvel An à Berlin, en faisant un constat de la situation en Allemagne.

Pour rappel, la capitale a été le théâtre d'affrontements entre une foule, majoritairement composée de jeunes migrants, et les forces de l'ordre. Plus d'une cinquantaine de policiers ont été blessés.

Les politiques de tous bords se montrent horrifiés par les incidents de Berlin. Qu'en est-il pour vous? Avez-vous été surpris?
Pourquoi devrait-on être surpris? Nous avons connu quelque chose de similaire à Cologne il y a quelques années.

Vous parlez de la nuit du Nouvel An 2015-2016...
À l'époque, de jeunes migrants et réfugiés, qui n'étaient en Allemagne que depuis quelques mois, ont commis des violences sexuelles excessives. Ils ont célébré leur virilité, leur prétendue supériorité, en humiliant et en harcelant sexuellement des femmes.

À Berlin, il ne s'agissait pas de violence sexuelle. Où est le point commun?
Déjà à l'époque, l'État et les médias ont échoué. Au début, on ne voulait pas en parler, mais lorsque de plus en plus de victimes se sont manifestées, que les chiffres ont littéralement explosé, on y a été contraint. Six ans ont passé depuis, il y a eu près d'un millier de victimes, et je me demande: qu'en est-il des auteurs? Combien ont été punis? Quelqu'un a-t-il été expulsé? C'est ce qui nous met vraiment en colère. Aujourd'hui encore, on parle de dissuasion et de la nécessité d'éviter que cela ne se reproduise. Mais rien n'a été fait. La seule mesure prise après Cologne a été de renforcer les mesures de sécurité lors de grands rassemblements de personnes. Le problème de fond n'a même pas été effleuré.

Quel est donc le vrai problème?
Le problème, ce sont les jeunes hommes issus de l'immigration qui méprisent l'État allemand, qui n'acceptent aucune autorité en dehors de leur propre famille, de leur propre imam ou de leur clan arabe. Les événements de Berlin ne sont que la pointe de l'iceberg, il y a là un potentiel de colère qui ne peut être absorbé nulle part, et surtout pas dans la famille. C'est là, je l'affirme, que la haine contre l'Allemagne, contre cette société, est même attisée. Cette faible tolérance à la frustration cherche un exutoire. Et elle cherche les points faibles de la société et de la démocratie. Ces hommes ont très vite compris que l'État était édenté, qu'ils passeraient peut-être une journée au poste, mais qu'ils seraient ensuite libérés. Nous avons perdu le contrôle d'un groupe particulier.

Vous parlez de haine. D'où vient-elle?
Si je vis dans une société où je ne suis pas bien intégré, où je n'ai pas un bon travail et pas de perspectives, je me mets en colère. Cela vaut aussi pour les bénéficiaires de l'aide sociale. La main qui reçoit est souvent plus rebelle et insatisfaite que la main qui donne. Celui qui reçoit développe une mentalité d'exigence, mais aussi un sentiment d'impuissance qui débouche sur la frustration. Je ne veux pas exclure le fait que beaucoup de ces jeunes hommes vivent des discriminations au quotidien, c'est certainement aussi un facteur. Le mélange d'impuissance et de fantasmes de toute-puissance engendre la violence que nous avons vue à Berlin.

En d'autres termes: celui qui s'appelle Mohammed ou Abdullah a moins de chances de trouver un emploi que celui qui porte un nom d'Europe occidentale.
À cela s'ajoute le récit que ces personnes entendent chez elles sur l'Europe. Le problème des enfants d'immigrés issus des banlieues existe dans toute l'Europe. Comme à Paris en décembre, lorsque les banlieues se sont embrasées après un attentat contre trois Kurdes, ou à Bruxelles après la victoire du Maroc contre la Belgique lors de la Coupe du monde. On parle toujours ensuite de la violence des jeunes, mais pas un seul homme politique ne prononce le mot «enfants d'immigrés». La plupart des médias non plus.

Pourquoi en est-il ainsi?
Parce que sinon, ce serait du racisme. C'est l'erreur cruciale: comment peut-on résoudre un problème si on ne veut même pas le nommer?

Et quelle est votre solution?
Comme mentionné, il faut d'abord nommer le problème. Ensuite, il faut agir. Mais l'État n'a actuellement aucune possibilité d'action, car il s'est lié les mains.

Que voulez-vous dire?
On a très rapidement accordé des permis de séjour à durée indéterminée et même des passeports allemands, sans même s'assurer que ces personnes s'identifient à leur nouvelle patrie. Il y a des offres d'intégration, mais pas de commandements.

Ne réduisez-vous pas trop le problème? À Berlin aussi, de nombreux Allemands ont été arrêtés.
Je ne dis pas qu'il n'y avait pas de jeunes Allemands. Neuköln et Kreuzberg sont des quartiers berlinois très à gauche. Et nous savons à quel point le mépris de la police est répandu parmi les extrémistes de gauche. Je ne veux pas non plus exclure la présence d'extrémistes de droite. Mais lorsqu'un groupe de jeunes Allemands blancs s'en prend à un migrant, tous les médias thématisent l'origine des auteurs et des victimes - à juste titre, car il s'agit alors manifestement d'extrémisme de droite. Mais lorsque c'est l'inverse, on occulte l'origine des auteurs et la dimension de la violence.

Franziska Giffey, la maire de Berlin, a annoncé un «sommet contre la violence des jeunes»...
La même chose est arrivée après la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne. Puis le silence a de nouveau régné - parce que l'on a peur de la montée de l'AfD (ndlr: Alternative pour l'Allemagne est un parti politique populiste de droite). Et avec qui veut-on, comme on le dit si bien, entamer le dialogue? On ne peut pas plus dialoguer avec des jeunes enclins à la violence qu'avec des néonazis. Il faut de la dissuasion, nous avons besoin d'une démocratie avec des dents. Si nous devons nous protéger des personnes qui sont venues chercher refuge chez nous, c'est le monde à l'envers.

Ne sous-estimez-vous pas le niveau socio-économique en ce moment? De nombreux politiques et experts soulignent le problème des sociétés parallèles et demandent une plus grande égalité des chances.
Quelle surprise! Cela fait 40 ans que l'on parle du danger de la ghettoïsation et de l'islamisation. Mais comment résoudre un problème en faisant taire les critiques? Il s'ensuit toujours la même relativisation. Le danger vient alors soudainement de personnes comme Ahmad Mansour ou Seyran Ates, qui attirent l'attention sur de tels dysfonctionnements. Les jeunes violents deviennent alors des victimes qu'il faut protéger contre Hamed Abdel-Samad.

Ils font des généralisations...
La plupart des musulmans et des réfugiés en Allemagne sont des personnes pacifiques et compétentes. Mais il existe une minorité violente qui ne menace pas seulement la sécurité intérieure, mais aussi la cohabitation des différentes cultures et ethnies. Lorsque nous critiquons ce groupe, il ne s'agit pas d'un soupçon généralisé à l'encontre des migrants, mais d'une démarche nécessaire pour résoudre le problème. Tout comme la critique de l'extrême droite n'est pas un soupçon généralisé contre les Allemands blancs.

Vous avez mentionné à plusieurs reprises l'islam. Quelle est l'importance de la culture religieuse dans des incidents comme ceux de Cologne ou de Berlin?
Cette semaine, je publie mon nouveau livre «Islam, une histoire critique». Il traite de la manière dont l'islam s'étend en Europe, et ce, sous différentes formes. Nous avons certainement les musulmans pacifiques et apolitiques, nous avons les jeunes musulmans libéraux qui tentent de développer un islam pour l'Europe. Mais il y a aussi un islam politique conservateur et réactionnaire qui devient de plus en plus puissant en Europe. Le danger est que ce soit la politique européenne qui favorise le plus cet islam.

Comment cela? Pouvez-vous l'expliquer?
L'État rend ces organisations présentables en les établissant comme partenaires et en les rendant encore plus puissantes grâce à des subventions. Un exemple est l'organisation turque Ditib, qui poursuit clairement des objectifs politiques en Allemagne. De telles associations atteignent les gens dans des mosquées dirigées par d'autres États et par des canaux satellitaires dans lesquels l'Occident est constamment attaqué en tant qu'ennemi de l'Islam...

...ce qui entrave encore plus l'intégration?
En raison de l'éducation apportée du Proche-Orient et d'Afrique du Nord, le mode de vie occidental – sexe sans contrat de mariage, consommation d'alcool, viande de porc – apparaît comme immoral. La femme doit rester à la maison ou se voiler à l'extérieur, l'homme ne doit pas avoir de relations sexuelles avant le mariage. Si, avec cette empreinte, il ne trouve pas de travail parce qu'il n'a pas les compétences sociales ou parle mal l'allemand, il lui reste la frustration, beaucoup de testostérone et de colère. Il doit évacuer tout cela d'une manière ou d'une autre. L'État n'a pas de recette contre ce genre de choses, car il diagnostique mal le problème.

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