Secrets militaires
L'OTAN en Ukraine, dans les coulisses de la guerre clandestine

Vladimir Poutine a choisi l'arme de la peur en déclarant qu'en Ukraine, «les choses sérieuses n'ont pas encore commencé». Du coté de l'OTAN, une semaine après le sommet de Madrid, l'heure est plus que jamais aux manoeuvres clandestines pour épauler la résistance.
Publié: 08.07.2022 à 13:26 heures
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Dernière mise à jour: 08.07.2022 à 15:52 heures
Les livraisons d'armes occidentales se poursuivent en Ukraine, gérées depuis une salle de coordination située en Allemagne, près de Stuttgart, sur une base américaine.
Photo: Getty Images
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Richard WerlyJournaliste Blick

Regardez bien une carte de l’Allemagne. Pointez Stuttgart, la capitale de l’industrie automobile. A quelques kilomètres de cette métropole industrielle se trouve la base américaine de Patch Barracks, l’un des centres nerveux du US European Command, le commandement des forces armées des Etats-Unis en Europe.

C’est là, au milieu de ces baraquements qui hébergèrent autrefois une division blindée Panzer de la Wehrmacht de Hitler, puis les forces françaises d’occupation après-guerre, que se gèrent les secrets de la guerre clandestine menée par l’OTAN contre les forces russes. Une guerre, oui, car tout ce qui se discute dans la salle de l’International Donor Coordination Centre (Centre de coordination des donateurs internationaux) vise à infliger le plus de pertes possibles aux troupes du Kremlin. Drones, batteries de missiles, munitions pour les blindés, équipements de protection pour les soldats ukrainiens…

Approvisionnement 24 heures du 24

La prestigieuse revue «Foreign Policy», reprise en français par le «Courrier International», a pu accéder à ce sanctuaire. Selon les auteurs de l’article, «110 militaires issus des pays de l’OTAN y surveillent 24 heures sur 24 les livraisons d’armes» au pays que Vladimir Poutine a promis d’écraser et de «dénazifier», pour reprendre le vocabulaire de la propagande russe.

Guerre, oui: car tout ici vise à infliger le maximum de dégâts aux forces du Kremlin, qui pilonnent le Donbass et conquièrent ses villes les unes après les autres. «Le centre a un petit côté start-up. Il se trouve dans une salle réservée autrefois à l’accueil des nouveaux venus du Commandement des forces des Etats-Unis en Europe», peut-on lire. La salle abrite des cercles concentriques d’ordinateurs portables pendant que, sur un écran plasma, s’affichent les détails des armes en route vers l’Ukraine, depuis divers points du continent.

Guerre clandestine de l’OTAN

Cette guerre clandestine de l’OTAN n’a jamais été niée par l’Alliance atlantique, qui a tenu son sommet annuel à Madrid les 29 et 30 juin. Au contraire. Tout au long du sommet, dans la salle de presse, les écrans diffusaient, comme par hasard, des images des équipements annoncés pour l’armée ukrainienne, comme les canons français autoportés Caesar ou les fameux missiles Javelin, dont les images sont aujourd’hui nombreuses sur YouTube.

Un mot en revanche n’a jamais été prononcé à Madrid, or il figure dans plusieurs articles récents de la presse américaine: celui de «commandos» et de «forces spéciales» occidentales, déployées aux côtés de l’armée ukrainienne. Le «New York Times» l’a fait, lui, dans son édition du 28 juin. «Une cellule d’opérations spéciales assiste et coordonne les livraisons d’armes à l’Ukraine», a admis récemment la secrétaire adjointe à la défense, Christine Wormuth, citée par le quotidien. Et d’ajouter: «Nous faisons tout notre possible pour que les livraisons atteignent le plus rapidement et le plus efficacement possible les champs de bataille.»

Accès aux images satellites de l’OTAN

D’un côté, la salle de commandements des approvisionnements à Patch Barracks. De l’autre, dans un bâtiment à l’accès restreint de la base aérienne de Ramstein, en Allemagne, une unité dédiée au suivi humain de ces matériels, et parfois à leur installation sur place après avoir formé, le plus souvent en Pologne, les militaires ukrainiens appelés à s’en servir. Le nom de cette unité? «Les loups gris» (Grey Wolf). Elle regroupe des experts de l’armée américaine et des armées alliées. «Leur rôle n’est pas d’être en première ligne mais de tenir informé le commandement et se coordonner les déploiements entre les différentes unités ukrainiennes», révèle le «New York Times». Pour cela, ces commandos ont accès aux images satellites des forces de l’OTAN.

Preuve que l’affrontement bat son plein dans la clandestinité: l’agence russe Roscosmos a d’ailleurs affirmé fin juin avoir été victime d’une cyberattaque après avoir diffusé des images de plusieurs bases de l’Alliance utilisées pour les livraisons d’armes à l’Ukraine. Ces attaques, selon les Russes, émanaient du centre de cyberdéfense de l’OTAN basé à Tallinn, en Estonie.

Opérations spéciales admises devant le Sénat américain

Clandestines, ces opérations? Pas complètement. En avril, le commandant en chef des forces spéciales américaines, le Général Jonathan Braga, a reconnu leur existence lors d’une audition au Sénat, à Washington. «Cette histoire reste non dite, mais le partenariat international entre forces spéciales en Ukraine implique une multitude de pays», a-t-il admis.

Un exemple? La formation et l’accompagnement indispensable sur place des éléments ukrainiens chargés d’utiliser les batteries de missiles américains HIMARS. Quatre ont été envoyées en Ukraine par le Pentagone. Officiellement, une soixantaine d’opérateurs ukrainiens ont été formés. Ce n’est pas suffisant. Ils seraient aidés, selon un ancien officiel de l’administration Trump, par des petites unités américaines surnommées «Jedburgh», en hommage aux commandos infiltrés derrière les troupes allemandes durant la Seconde guerre mondiale.

L’heure des drones

Quelles armes peuvent faire la différence face au tapis de bombes russe? Les drones sont le plus souvent cités par les forces de l’OTAN. La preuve de l’importance des appareils télécommandés et armés a été fournie le 22 juin lorsqu’un drone ukrainien a frappé la raffinerie de Novockhtinsk, à 160 kilomètres à l’intérieur du territoire russe.

Au salon de l’armement Eurosatory à Paris, pile à cette même date, les fabricants de drones rencontrés par Blick affirmaient que la variété des engins volants livrés à l’Ukraine est juste «stupéfiante». Cela va des drones turcs Bayraktar TB2, connus pour avoir été utilisé avec succès par l’Azerbaïdjan fin 2020 contre l’Arménie au Nagorny-Karabakh, aux quadricoptères de taille réduites, volant à moins de 500 mètres d’altitude, destinés à guider les artilleurs et les tireurs de missiles Javelin.

Brouiller les communications russes

Ces drones tactiques servent aussi pour brouiller les communications de l’armée russe, déjà réputées pour leur faiblesse et leur manque de fiabilité. Les Russes font la même chose avec leurs drones Orlan 10, dont de nombreux spécimens ont été abattus.

La Suède, ex-pays neutre qui vient de signer sa demande d’adhésion à l’OTAN avec la Finlande, est sur ce plan un allié crucial. Le pays scandinave est en effet producteur de drones adaptés aux conditions hivernales qui reviendront dans quelques mois, via ses industriels Saab et UAs Europe UB. Un modèle très attendu sur le théâtre ukrainien est l’hélicoptère télécommandé Skeldar V-200 à moyenne portée.

Des commandos suédois les accompagneront sans doute. Jusqu’où? L’ancien pays neutre, devenu membre de l’Alliance atlantique par peur de la Russie, se garde bien de l’indiquer.

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