La boutade est bien connue dans les couloirs de l’Union européenne à Bruxelles. Si la Suisse était membre de l’UE, ses politiciens, diplomates et fonctionnaires auraient une belle carte communautaire à jouer. Habitude de la neutralité, souci de la démocratie directe, compétences multilingues… Tous ces atouts sont restés au placard depuis le référendum du 6 décembre 1992 et le refus de la Confédération d’intégrer cette «antichambre» qu’est l’Espace économique européen (EEE, aujourd’hui composée de l’Islande, de la Norvège et du Liechtenstein). Mais il arrive quand même qu’une touche helvétique perce sous le drapeau bleu étoilé. C’est le cas depuis quelques jours avec la confirmation de la nomination de la juriste Thérèse Blanchet au poste très convoité de secrétaire générale du Conseil de l’Union européenne.
Diplômée en droit de l’université de Genève
Née en 1962, diplômée en droit de l’université de Genève, admise au barreau de Genève en 1987 et titulaire d’un master de droit européen du Collège d’Europe à Bruges, cette haut fonctionnaire franco-suisse dirigeait auparavant les services juridiques de cette institution chargée de représenter les intérêts des 27 pays membres de l’Union européenne, face à la Commission et au Parlement européen.
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Le Conseil de l’UE, réformé par le traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009, est dans les faits composé de deux instances: le Conseil européen qui regroupe les 27 Chefs d’État ou de gouvernement, et le Conseil de l’Union qui coordonne l’ensemble au niveau des ministres ou des représentants permanents des 27 (les ambassadeurs). Cette institution à deux têtes située dans deux bâtiments juste en face du Berlaimont, le QG de la Commission à Bruxelles, est le cœur politique et intergouvernemental de l’UE. Le Conseil européen, l’instance qui regroupe les dirigeants des pays membres, est actuellement présidé par l’ancien Premier ministre belge Charles Michel, reconduit pour un second mandat de deux ans et demi en mars 2022.
Spécialiste des affaires intérieures de l’UE
La nomination de Thérèse Blanchet, spécialiste des questions de justice et d’affaires intérieures, donc experte dans tous les sujets relatifs à l’Espace Schengen (dont la Suisse est membre), n’était pas attendue. Elle permet à Paris de retrouver ce poste de premier plan, qu’un haut fonctionnaire français, Pierre de Boissieu, avait occupé jusqu’en 2011. Le poste était depuis 2015 celui du Danois Jeppe Tranholm-Mikkelsen.
Le secrétariat général du Conseil est responsable de la bonne marche de cette instance qui abrite, tous les trois mois, les sommets européens à Bruxelles, et coordonne les réunions de ministres avec la présidence tournante semestrielle. La République tchèque assume ce rôle jusqu’en décembre, après la France durant le premier semestre 2022. La Suède lui succédera au 1er janvier 2023.
Bonne nouvelle pour la Suisse?
Une bonne nouvelle pour la Suisse que l’arrivée de cette familière des spécificités helvétiques, politiques et commerciales, puisqu’elle était conseillère juridique - en tant que suisse - auprès de l’Association européenne de libre-échange (dont le secrétariat se trouve à Genève) de 1990 à 1995? L’AELE, composée de la Suisse et des trois pays de l’EEE, est l’un des forums d’échanges réguliers entre la Confédération et l’UE. «Je ne pense pas que Berne ait des raisons de se réjouir, juge un diplomate en poste à Bruxelles. Au contraire. Elle sera impossible à contourner et elle aura à cœur de défendre les intérêts de l’Union sur les questions bilatérales.»
Une meilleure compréhension, alors? « Elle domine les rouages communautaires admirablement bien estime Jean Russotto, avocat suisse basé à Bruxelles. Sa double nationalité ne changera rien au marasme Suisse-UE, sauf que sa connaissance du dossier devrait assurer une plus grande transparence auprès des États membres». Notre autre interlocuteur nuance: «Tout le monde comprend la Suisse ici. C’est à Berne que le projet d’accord-cadre avec l’UE a été rejeté en mai 2021, pas à Bruxelles. Le seul avantage sera peut-être, grâce à elle, de bénéficier d’un canal d’échanges informels. Et encore. J’en doute...»
D'autres personnalités de premier plan au sein de l'Union européenne ont des antécédents «suisses». C'est le cas de l'actuel Commissaire européen chargé des migrations, le Grec Margaritis Schinas, lui aussi familier de l'université de Genève. Ce fut le cas, surtout, de l'ancien président de la Commission européenne, le Portugais José Manuel Barroso, ancien étudiant du professeur genevois Dusan Sidjanski.
La Commission, interlocuteur unique de Berne
La Commission européenne (dont la secrétaire générale est la Lettonne Ilze Juhansone) est, de toute façon, l’interlocuteur unique de la Suisse pour les négociations bilatérales. Thérèse Blanchet, nouvelle vice-patronne du Conseil, aura peut-être sa porte ouverte au Juste Lipse, le bâtiment principal de cette institution. Mais elle n’aura probablement rien sur sa table à offrir à Livia Leu, la négociatrice helvétique, de nouveau attendue Bruxelles ces prochains jours. Jusqu’à ce qu’un possible accord avec la Suisse soit un jour (ou pas) examiné par les 27 pays membres de l’Union...