Scandales, gloire et beauté
Mel Gibson, acteur sex-symbol devenu ambassadeur de Trump à Hollywood

Autrefois star à Hollywood, la vedette de la saga «Mad Max» vient d’être nommée par Donald Trump pour être «ses yeux et ses oreilles» au sein de l’industrie cinématographique. Un choix qui ne doit rien au hasard, tant les deux hommes partagent des convictions communes.
Publié: 25.01.2025 à 11:48 heures
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Dernière mise à jour: 25.01.2025 à 12:50 heures
Mel Gibson considère l'appel de Donald Trump «avec attention».
Photo: IMAGO/UPI Photo
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Make Hollywood great again! Parmi les multiples ambitions de Donald Trump pour son second mandat à la présidence des Etats-Unis figure celle-ci: faire du cœur battant de l’industrie cinématographique américaine, «qui a perdu beaucoup en quatre ans au profit de pays étrangers, un endroit plus grand, meilleur et plus fort qu’il ne l’a jamais été!» Pour y parvenir, le républicain compte, entre autres, sur Mel Gibson. Avec ses collègues Jon Voight et Sylvester Stallone, l’acteur a été nommé «ambassadeur particulier» à Hollywood par le nouveau président. Un titre dont on peine encore à distinguer ce qu’il implique réellement – les intéressés n’ont d’ailleurs pas été prévenus de leur nomination – mais qui témoigne de la proximité entre ces stars et le nouveau président américain.

De gauche à droite: Jon Voight, Mel Gibson et Sylvester Stallone.
Photo: AFP

Le choix peut surprendre à première vue. Quel est le lien entre Donald Trump et le héros de la première saga «Mad Max», sex-symbol absolu des années 1980 – le titre d’«homme le plus sexy du monde», remis chaque année par le magazine «People», a été créé pour lui en 1985 – et réalisateur reconnu la décennie suivante? Pourquoi opter pour la moins américaine des stars hollywoodiennes, qui a passé une grande partie de sa vie en Australie, et n’a, qui plus est, pas toujours approuvé le camp républicain? A y regarder de plus près pourtant, les connexions entre les deux hommes sont nombreuses. Et «Mel-une-prise», comme on l’a surnommé pour sa capacité à exceller dès la caméra allumée, était tout désigné pour rejoindre le clan trumpiste.

Un acteur toujours en marge d’Hollywood…

D’abord parce que Mel Gibson a toujours eu une place à part au sein de l’industrie cinématographique américaine, traditionnellement démocrate et progressiste. Né aux Etats-Unis en 1956, sixième enfant d’une famille qui en comptera dix au total, il déménage en Australie à l’âge de 12 ans. C’est là qu’il apprend le cinéma, lorsque l’une de ses sœurs l’inscrit sans le lui dire à l’école d’art dramatique de Sydney, et là qu’il fait ses premiers pas devant la caméra. Ses premiers succès, «Mad Max», réalisé par George Miller et sorti en 1979, tourné sans budget avec des équipes techniques payées en pack de bières, ainsi que la suite trois ans plus tard, lui ouvrent les portes d’Hollywood.

A l’époque, tout sourit à ce grand gaillard aux yeux bleus et aux abdos parfaitement dessinés, révélés notamment par une chemise blanche trempée dans «Le Bounty». Mais lui a du mal à gérer la célébrité, le stress des tournages et l’éloignement de sa famille qu’ils induisent. Pour compenser, l’acteur boit et prend de la drogue. Beaucoup. Déprime, aussi. Beaucoup. Dans la deuxième saga qui assoit sa popularité à partir de 1987, et va lancer le genre du «buddy movie», «L’Arme Fatale», il incarne d’ailleurs un policier dépressif, dans lequel il dit se reconnaître.

…même s’il est reconnu par ses pairs

Mal à l’aise avec la vie de star, Mel Gibson l’est aussi avec la façon de jouer à l’américaine. La fameuse «methode» Actors studio, qui consiste à s’imprégner totalement de son personnage pour ressentir les mêmes émotions, ne parle absolument pas à cet instinctif. Cela ne l’empêchera pas de très bien s’entendre avec l’un de ses partisans, Donald Glover, son binôme sur «L’Arme fatale», mais c’est une autre raison pour lui de rester en marge d’Hollywood. Pour trouver un peu de stabilité, cette grande gueule, toujours tentée par les excès, passe d’ailleurs plusieurs mois par an dans ses ranchs en Australie avec sa femme et leurs sept enfants, où son quotidien ressemble plus à celui du cow-boy menant du bétail qu’à celui d’une célébrité millionnaire.

Pendant longtemps, cela n’a pas empêché l’acteur d’être reconnu par ses pairs. D’ailleurs, c’est surtout lorsqu’il se met à la réalisation qu’il atteint la consécration. Après un premier film remarqué, «L’homme sans visage», c’est «Braveheart», sorti en 1995, qui le place au sommet. Derrière la caméra, Mel Gibson raconte l’histoire de William Wallace, héros de l’indépendance écossaise au XIIIe siècle. Devant, il porte le kilt, monte à cheval, rosse des Anglais et finit étripé en place publique. Le tournage, atrocement éprouvant, se fait dans des conditions climatiques terribles, avec parfois jusqu’à 1’600 figurants par scène. Bilan: un film devenu culte et cinq oscars, dont les deux plus prestigieux, pour le meilleur film et la meilleure réalisation. En faisant de Mel Gibson son ambassadeur, Donald Trump choisit donc à la fois l’ambition grandiose et la légitimité artistique.

Photo: Getty Images

Repousser les limites de l’infréquentabilité

Mais le président américain admire autre chose chez l’acteur et réalisateur: sa capacité à se frayer un chemin à travers vents, marées et polémiques. Et, comme le milliardaire devenu homme politique, à repousser les limites de la fréquentabilité. L’éclatant succès de son «Braveheart» donne en théorie les coudées franches à Mel Gibson. Mais lorsqu’il cherche un studio pour produire son prochain projet, les producteurs renâclent. Et pour cause: l’acteur veut raconter les douze dernières heures de la vie de Jésus, en confiant le premier rôle à un acteur inconnu et sur la base d’un scénario d’une grande violence, dont l’intégralité des dialogues sont en latin et en araméen. Pour une industrie toujours mal à l’aise dès qu’on touche à la religion et qu’on ajoute des sous-titres, c’est trop. Mel Gibson s’auto-finance intégralement, à hauteur de 30 millions de dollars. Le début d’un chemin de croix.

«La Passion du Christ» suscite d’intenses polémiques avant et après sa sortie en 2004. D’abord pour le dolorisme d’interminables scènes de flagellation. Ensuite pour sa représentation des personnages juifs, qui met vent debout des associations de lutte contre l’antisémitisme aux Etats-Unis. «Dans ce film, les Juifs sont assoiffés de sang, vengeurs, ils sont les mauvais», s’insurge par exemple Abraham Foxman, directeur national de la Ligue anti-diffamation à l’époque. «Les Romains sont aimants et gentils mais ce sont les Juifs qui les obligent à crucifier Jésus. [Le film] alimente l’antisémitisme en renforçant l’idée que les Juifs sont coupables de la mort [du Christ].» Preuve que le sujet est fortement débattu, il fait l’objet d’un épisode entier de la série d’animation satirique «South Park»… Certains y voient l’ombre des convictions personnelles du réalisateur. 

Photo: dr

Antisémitisme et violences conjugales

Deux ans plus tard, le doute n’est plus permis. L’acteur est arrêté par la police alors qu’il conduit en état d’ivresse. A l’agent qui le trouve au volant de sa Lexus avec une bouteille de Tequila à la main, il déclare que «les juifs sont responsables de toutes les guerres du monde». Même si le réalisateur présente des excuses publiques, invoquant son alcoolémie au moment des faits, Hollywood le lâche, en même temps que sa femme Robyn Denise Moore, avec laquelle il comptabilise 27 années de mariage et sept enfants. En 2010, des enregistrements de lui insultant sa nouvelle compagne, mère du huitième, fuitent sur Internet. On y entend l’acteur lui dire qu’elle mérite de se faire violer et a «besoin de se prendre un coup de batte dans la tête». Cette fois, des patrons de studio annoncent publiquement qu’ils le boycottent. 

Et pourtant, sans cesse, à la manière d’un Trump qu’aucune polémique ne paraît atteindre, et même s’il n’a jamais connu le même succès qu’au XXe siècle, le paria renaît de ses cendres. Dès 2011, Jodie Foster, très amie avec lui depuis qu’ils ont tourné ensemble dans «Maverick» en 1994, lui offre un rôle sur mesure avec «Le Complexe du Castor», dans lequel il incarne (encore) un homme dépressif. Et en 2016, Mel Gibson retourne à la réalisation avec «Tu ne tueras point», l’histoire d’un objecteur de conscience (incarné par Andrew Garfield) qui participe à la Seconde Guerre mondiale sur le front du Pacifique sans toucher une arme pour des raisons religieuses.

La religion, ciment du duo Trump-Gibson

Ce film d’une bondieuserie appuyée, qui fait de son personnage principal une figure christique montant (littéralement) au ciel dans sa scène finale, illustre l’autre aspect de la personnalité de Mel Gibson à connaître absolument pour comprendre ce que Donald Trump lui trouve: sa foi. Peu d’autres stars hollywoodiennes l’ont autant mise en avant. Lorsqu’il reçoit l’Oscar du meilleur réalisateur pour «Braveheart», Mel Gibson remercie d’abord son épouse, puis Dieu.

Sa «Passion du Christ», qui reste l’un des films indépendants les plus rentables de l’histoire du cinéma, a d’ailleurs largement influencé un mouvement grandissant aujourd’hui à Hollywood: la production de films chrétiens ultra-conservateurs. Des fictions à petit budget, comiques, épiques ou familiales, qui mettent en scène des personnages croyants face à l’adversité (des musulmans, l’Etat fédéral américain ou encore les «wokes» qui poussent toutes les femmes à avorter). Snobés par la critique, ces films font des millions d’entrées aux Etats-Unis. Et s’adressent directement à l’Amérique trumpiste: blanche, chrétienne, qui se sent méprisée par les élites. 

L’un des plus gros succès du genre, «Sound of Freedom», a d’ailleurs eu les honneurs d’une projection à Mar-a-lago, la résidence de Donald Trump. Produite par Mel Gibson, cette fiction inspirée d’une histoire vraie raconte la traque d’un réseau pédocriminel par un héros, incarné par Jim Caviezel, connu pour son rôle… de Jésus, dans «La Passion du Christ». Quand il dit vouloir rendre à Hollywood toute sa grandeur d’antan, c’est à ce cinéma-là que songe Donald Trump. Et Mel Gibson ressemble en effet au parfait ambassadeur.

Une remise en cause commune de l’Etat

La religion, l’acteur est tombé dedans quand il était petit. Comme le raconte le journaliste Matthieu Rostac dans une biographie parue en 2019, Mel Gibson a été élevé par une mère irlandaise et un père américain, Hutton Gibson, très croyant, dont la devise n’a jamais bougé: «Le plus grand avantage qu’un homme peut avoir est d’être catholique, car cela donne la satisfaction d’avoir raison à vie.» Mais pas n’importe quel catholicisme. Hutton Gibson est un sédévacantiste, persuadé que tous les papes après Jean XXIII (mort en 1963) sont des usurpateurs et que le concile Vatican II, qui a signé l’entrée de l’Eglise catholique dans la modernité en 1965, est un «complot maçonnique soutenu par les Juifs». Le patriarche est aussi négationniste et pense que les avions de l’attentat du 11 septembre 2001 étaient «télécommandés». 

Si le cinéma de Mel Gibson est constellé de figures paternelles détestables, qui en disent long sur sa relation avec son père, il n’a cessé, jusqu’à sa mort en 2020, de l’admirer… et d’adopter les mêmes lubies complotistes. Dans une interview à «Playboy» en 1995, il soutient, outre des propos très sexistes, que le président démocrate Bill Clinton est manipulé par «quelqu’un [qui] lui dit ce qu’il doit faire» et évoque un «nouvel ordre mondial». Ce complotisme teinté d’antisémitisme se retrouve chez Donald Trump, qui dénonçait dès 2017 un «Etat profond criminel» et s’en prenait au milliardaire démocrate juif George Soros.

Encore très récemment, Mel Gibson a relayé des thèses complotistes. D’abord pendant la promotion de «Sound of Freedom», qui lui donne l’occasion d’affirmer que des trafics d’enfants sont orchestrés par les élites dans le plus grand secret. Il y a quelques jours, encore, sur les incendies de Los Angeles. Ou dans le podcast du très trumpiste Joe Rogan, face auquel il assure qu’on peut guérir d’un cancer grâce à l’ivermectine, une molécule qui n’a pourtant jamais fait ses preuves en la matière. Donald Trump, lui, a nommé au ministère de la santé Robert F. Kennedy Jr, conspirationniste anti-vaccin revendiqué. En apprenant qu’il le nommait ambassadeur à Hollywood, Mel Gibson n’a pas hésité, comme il l’a raconté à «Variety». «Je considère cet appel avec attention. Mon devoir, en tant que citoyen, est d’apporter toute l’aide et les connaissances que je peux avoir.»

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