La liquidation de cette organisation couronnerait des mois de pressions contre les voix critiques du pouvoir en Russie, avec notamment la fermeture de médias indépendants et d'ONG classées «agents de l'étranger» par la justice. L'opposant Alexeï Navalny a lui été emprisonné et son mouvement démantelé pour «extrémisme».
Créé en 1989 par des dissidents soviétiques dont le prix Nobel de la Paix Andreï Sakharov, Memorial a commencé son travail en documentant les crimes staliniens et le Goulag, avant de se lancer dans la défense des droits humains et des prisonniers politiques, deux activités à hauts risques.
Devenue au fil des années le principal groupe russe de défense des droits, Memorial s'est vite retrouvée dans le collimateur des autorités. L'ONG s'est distinguée par ses enquêtes sur les exactions russes en Tchétchénie, qui ont coûté la vie à sa collaboratrice Natalia Estemirova, assassinée en 2009.
Plus récemment, elle a mis en cause des paramilitaires de l'opaque groupe «Wagner» pour des crimes de guerre présumés en Syrie. Mais elle fait désormais face à la plus grande menace de son existence: le Parquet général russe.
Ce dernier a exigé le 8 novembre la liquidation de son entité centrale, Memorial International, qui coordonne le travail du réseau de l'ONG. Cette dernière possède une structure décentralisée, composée de dizaines d'entités indépendantes à travers la Russie et à l'étranger.
Signe de l'importance de l'ONG, plusieurs dizaines de personnes s'étaient réunies jeudi matin devant le tribunal pour exprimer leur solidarité, certaines portant un masque noir sur lequel était inscrit «Memorial ne peut pas être interdit», a constaté l'AFP.
Memorial «défend une Russie où les droits humains veulent dire quelque chose» et l'interdire «serait une insulte aux millions» de personnes qui ont souffert à l'époque soviétique, déclare à l'AFP Maria Kretchetova, une professeure de philosophie de 48 ans.
Vladimir Nemanov, avocat de 25 ans, s'est lui aussi rendu au tribunal pour soutenir l'ONG, car c'était «le seul moyen» de défendre Memorial. Il juge important de se souvenir de l'histoire des répressions sous l'URSS «afin de mieux comprendre et réfléchir à ce qui se passe aujourd'hui en Russie».
Conformément à la loi russe, c'est la Cour suprême qui étudie la demande de dissolution car Memorial International est enregistré en tant qu'organisation internationale. S'ajoutant à l'inquiétude, les avocats de l'ONG ne pourront pas faire appel de la décision de la Cour devant d'autres tribunaux en Russie.
Si les Européens et le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits humains ont appelé à l'arrêt des poursuites, le Kremlin a lui souligné que Memorial avait «depuis longtemps» des problèmes avec la loi russe. Le Parquet reproche à Memorial International d'avoir enfreint à de multiples reprises la loi sur les «agents de l'étranger», à laquelle il est soumis depuis 2016.
Memorial International a reçu mardi à Montricher le Prix Jan Michalski de littérature. L'ONG est récompensée pour «OST: Letters, Memoirs and Stories from Ostarbeiter in Nazi Germany», un ouvrage collectif qui se penche sur le destin des travailleurs de l'Est déportés en Allemagne et soumis au travail forcé par les nazis.
À la fin de la guerre, plus de 2,5 millions d'«Ostarbeiter» ont été rapatriés en URSS, où ils ont affronté de nouveaux traumatismes: être considérés comme traîtres à la patrie, jugés, envoyés dans des camps ou enrôlés dans l'armée rouge. Le prix distingue non seulement l'ONG mais aussi les quatre auteurs de l'ouvrage, Alena Kozlova, Nikolai Mikhailov, Irina Ostrovskaya et Irina Scherbakova.
(ATS)