Élu une première fois en 2019 à la faveur d'un «dégagisme» des deux partis au pouvoir (Arena, à droite, et le FMLN, héritier de la guérilla marxiste) depuis la fin de la guerre civile au Salvador (1979-1992), le président salvadorien Nayib Bukele jouit aujourd'hui d'une popularité sans équivalent. Il a affirmé avoir été réélu ce dimanche 4 février.
Avec ce score, digne des régimes non-démocratiques, et la quasi-intégralité des 60 sièges du parlement remportés par son parti Nuevas ideas, Nayib Bukele se targue d'avoir établi «un record dans toute l'histoire démocratique du monde entier».
Si les Salvadoriens ont voté en masse pour lui, c'est qu'il «entretient un culte de la personnalité, il y a une dévotion à son égard», estime pour l'AFP l'analyste Michael Shifter, du groupe de réflexion Inter-American Dialogue à Washington. «Son charisme et ses compétences en matière de communication sont sans équivalent en Amérique latine».
Abondamment présent sur les réseaux sociaux (5,8 millions d'abonnés sur X), où parfois il s'exprime en anglais pour élargir son audience, il fait fi des conventions, délaissant chemise et cravate au profit de jean, t-shirt et casquette à l'envers.
Avant de s'adresser à l'Assemblée générale des Nations unies en 2019, Bukele, col de chemise ouvert, a demandé aux diplomates rassemblés de patienter pendant qu'il prenait un selfie souriant à la tribune.
Impitoyable
Goûtant peu la critique, il répond directement à ses détracteurs, usant de l'ironie lorsqu'il lui est reproché de bafouer les droits des prisonniers dans sa guerre contre les maras, les bandes criminelles. Son statut sur X (ex-Twitter) a évolué de «dictateur du Salvador», à «dictateur le plus cool du monde», à aujourd'hui «le roi philosophe».
Malgré son goût apparent pour la plaisanterie, Bukele sait se montrer impitoyable.
Lorsque des gangs ont juré de tuer des gens au hasard en réponse à son état d'urgence, il a simplement menacé de priver de nourriture les membres emprisonnés du Barrio 18 et du MS-13.
Peu après son entrée en fonction, il a ordonné à la police et à l'armée de pénétrer dans un parlement alors dirigé par l'opposition afin d'intimider les députés pour qu'ils approuvent un prêt destiné à financer un plan de lutte contre la criminalité.
Son parti obtenant en 2021 la majorité à l'Assemblée législative, il a entamé sa conquête d'un pouvoir total en remplaçant les juges de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême et le procureur général du Salvador.
Il est ainsi parvenu à contourner la Constitution, qui n'autorise qu'un seul mandat présidentiel, en se voyant accorder un congé de six mois avant le vote.
Bukele est également têtu. Il a parié sur les cryptomonnaies, en faisant du Bitcoin une monnaie officielle à côté du dollar, balayant les avertissements du FMI et de la Banque mondiale sur les risques de volatilité.
Une étude de l'Université d'Amérique centrale (UCA) a révélé que le Bitcoin n'a quasiment pas été utilisé en 2023. Les investissements gouvernementaux dans la cryptomonnaie restent inconnus.
«Arrêter tous les meurtriers»
Marié à Gabriela Rodriguez, psychologue et danseuse de ballet avec qui il a eu deux enfants, Nayib Bukele, d'origine palestinienne, est né à San Salvador en 1981 et a étudié le droit à l'Université centraméricaine de la capitale mais sans obtenir de diplôme.
A l'âge de 18 ans, il rejoint l'empire commercial de son père, spécialisé dans le textile, les produits pharmaceutiques et la publicité.
Sa carrière politique n'a débuté qu'à l'orée de la trentaine, en 2012, sous la bannière du FMLN, d'abord comme maire de Nuevo Cuscatlan, ville de la banlieue de San Salvador, puis de la capitale elle-même (2015-2018).
Exclu du FMLN en 2017, il est apparu comme un visage nouveau et conquérant en 2019, promettant la mise en place de commissions de lutte contre la corruption et l'impunité. Des organismes qui n'ont tenu que six mois après son élection malgré le slogan qu'il aime à répéter : «il y a de l'argent quand personne ne le vole».
Mais son fait d'arme présidentiel est l'état d'urgence imposé depuis mars 2022, autorisant patrouilles de l'armée et arrestations sans mandat, pour s'attaquer aux maras.
Quelque 75'000 arrestations plus tard, il répète avoir fait du Salvador «le pays le plus sûr au monde», le taux d'homicide s'écroulant de 106,3 pour 100.000 habitants en 2015, alors l'un des plus élevés au monde hors période de conflit, à 2,4 en 2023.
Mais sa «guerre contre les gangs» entraîne arrestations arbitraires, mauvais traitements, cas de torture et décès en prison, selon des organismes de défense des droits humains.
«Pourquoi avons-nous le taux d'incarcération le plus élevé au monde ? Parce que nous avons transformé la capitale mondiale du meurtre», a dit dimanche Nayib Bukele. «Et la seule façon de le faire est d'arrêter tous les meurtriers».
(AFP)