En décembre 2008, des agents du renseignement ont planqué devant des cybercafés afin d'identifier un homme qui tentait de faire chanter Bernard Arnault. Une opération légitime pour Bernard Squarcini, qui s'est défendu au tribunal d'avoir utilisé les moyens de l'Etat pour l'intérêt privé du patron de LVMH.
L'ancien patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) entre 2008 et 2012 est jugé aux côtés de neuf hommes pour un chapelet d'infractions, dans une affaire à tiroirs dont le tribunal a commencé jeudi par examiner le premier volet.
Rappel des faits
En cause: des opérations de surveillance, entre le 9 et le 19 décembre 2008, de deux cybercafés parisiens et d'un troisième à Aix-en-Provence, de 10H00 à 22H00, avec l'aide de caméras dissimulées dans les bâtiments d'en face et d'une dizaine d'agents de la DCRI.
Le but? Identifier un homme qui envoyait des mails menaçants à LVMH, demandant 300'000 euros sous peine de diffuser des photos de Bernard Arnault et d'une maîtresse supposée (jamais retrouvées) supposément prises par un paparazzi. Un ancien chauffeur du groupe de luxe est finalement identifié, et l'opération s'arrête, sans faire l'objet d'un compte-rendu écrit.
«Il est évident qu'une affaire de ce style revenait directement dans mon escarcelle», estime à la barre Bernard Squarcini, 68 ans. Selon lui, c'est le bras droit du PDG de LVMH, Pierre Godé (décédé en 2018), qui l'a appelé pour le «saisir» de ces menaces. Et immédiatement, il «délègue» ce dossier afin qu'il soit pris en charge. «J'ai pensé à la construction de cette holding, 150'000 personnes, le risque réputationnel... Une action de déstabilisation d'un grand groupe du CAC 40, c'était là le risque», justifie-t-il.
Prendre les devants sur la justice
Mais pourquoi n'a-t-il pas transmis l'affaire à la justice, ou, tout simplement, incité LVMH et Bernard Arnault à porter plainte au commissariat? Le «chantage», qui est une «infraction», ne relève-t-il pas de la police judiciaire et non du renseignement? questionne le président Benjamin Blanchet. «Pour moi, on n'en était pas encore au stade judiciaire», tente Bernard Squarcini, «on me demandait de lever le doute pour savoir où on mettait les pieds». Et Pierre Godé, un «éminent juriste», «sait de quoi il parle», soutient-il aussi.
Un avis partagé par Charles Pellegrini, ancien «grand flic» de 86 ans, qui conteste avoir été «l'émissaire» de LVMH auprès de son ami de longue date Bernard Squarcini. «Je suis sidéré qu'on puisse penser» que «Pierre Godé, qui est une éminence, ait eu besoin de moi pour parler au patron de la DCRI».
Dans la salle d'audience, l'octogénaire peine à entendre, demande à se rapprocher. Finalement, il s'assoit sur une chaise devant la barre et on tord le micro vers lui - «je n'ai jamais fait un interrogatoire aussi proche», sourit le président du tribunal.
Charles Pellegrini, qui travaillait alors pour LVMH - comme «prestataire» et non comme «conseiller», dit-il - admet s'être rendu «une fois» à Levallois-Perret dans le bureau de son ami pour voir ses «trophées». Ils ont «bu un scotch» et son adjoint les a rejoints, moment où a été «mentionnée» cette affaire. Mais qui donne l'information des menaces? «La tête sur le billot, je ne peux pas vous dire, c'est l'un des trois».
Après l'identification du maître-chanteur par la DCRI, il est «mandaté» par Pierre Godé pour «rapporter la preuve de l'objet du chantage», affirme-t-il. Il descend alors à Antibes et déjeune avec l'ancien chauffeur de LVMH, tentant lors d'un déjeuner «face à la mer» en buvant du «bon vin», dans un entretien «mi-câlin, mi-menaçant» résume le président, de lui faire avouer le nom du commanditaire. En vain. Ils échangent ensuite par mail jusqu'au 20 janvier 2009. Puis plus rien. Une mission que le prévenu assure avoir acceptée sans prendre «aucun centime», mais «par reconnaissance pour LVMH, et pour le fun».