Les chars de Poutine n’avancent pas, les soldats russes se rendent, voire s'entretuent, le Kremlin ne pourra bientôt plus se permettre de faire la guerre, les pannes de l’armée russe sont de plus en plus fréquentes... À lire de nombreux articles, on pourrait presque avoir l’impression que l’Ukraine pourrait gagner cette guerre. À moins que ce tableau ne soit trompeur.
La Russie est probablement bien plus forte que ce que l’on croit. C’est du moins la conviction du colonel autrichien et stratège militaire de haut niveau Markus Reisner. «Nous avons besoin d’une image objective de la situation. Cela ne nous aide pas de nous dire que les assaillants russes sont en mauvaise posture, explique-t-il dans le journal allemand «Die Welt». Cela masque la réalité de la situation.»
Markus Reisner s’attend à une nouvelle escalade de la violence dans le Donbass au cours des deux à trois prochaines semaines. Selon lui, ces combats seront particulièrement violents «parce que les Russes essaient à présent de provoquer une décision».
«L’Ukraine a un besoin urgent de nouvelles armes»
«L’Ukraine a besoin de toute urgence de nouvelles armes. Les livraisons d’armes de l’Occident sont désormais une course contre la montre», estime le stratège. Les livraisons d’armes lourdes auraient commencé trop tard. Par ailleurs, la Russie s’emparerait ou détruirait une «partie non négligeable» des convois de livraison.
Le Kremlin aurait même publié des manuels expliquant comment se servir des armes capturées et les utiliser contre l’Ukraine. «Et c’est déjà arrivé», poursuit l’expert militaire: «Selon les informations américaines, les armes que l’Occident apporte en Ukraine en l’espace d’une semaine sont utilisées en l’espace d’une journée, donc immédiatement utilisées par les Ukrainiens ou alors capturées ou détruites par les Russes.»
«Maintenant, les Russes sont préparés»
Selon Markus Reisner, la Russie veut désormais former deux tenailles dans le Donbass, à hauteur d’Izioum et de Donetsk, pour encercler les troupes ukrainiennes. «Le problème, c’est que les positions des Ukrainiens dans cette zone ne sont pas aussi fortes que sur l’ancienne ligne de contact, c’est-à-dire à l’est de Kramatorsk», craint l’Autrichien.
Par le passé, l’Ukraine avait certes réussi à tendre des embuscades aux soldats russes avec des unités spéciales. Mais cette tactique ne fonctionne plus aujourd’hui: «Cela avait fonctionné ailleurs pendant les six premières semaines, mais les Russes sont désormais préparés, et les forces spéciales russes (ndlr: Spetsnaz) pourchassent les forces spéciales ukrainiennes. Elles les neutralisent malheureusement assez souvent.»
Selon Markus Reisner, il ne faut pas non plus se laisser abuser par la lente progression des Russes. En effet, les soldats de Vladimir Poutine avancent désormais «lentement, largement et avec un soutien massif de l’infanterie, les chars étant protégés à droite et à gauche par d’autres sections de chars». Ainsi, les assaillants n'avancent certes que d’environ 1,5 kilomètre par heure, mais ils peuvent ainsi éviter de tomber dans une embuscade.
Tout le sud doit être pris
L'analyste militaire met en garde, en somme, de ne pas sous-estimer l’armée russe: «Nous ne devons pas faire l’erreur d’interpréter la lenteur de l’avancée comme une faiblesse. C’est exactement ce qui est prévu. Cela peut prendre des semaines.»
Le stratège ne croit donc pas que la guerre en Ukraine puisse prendre fin prochainement. Selon lui, la Russie veut s’emparer de tout le sud dans le cadre de nouveaux combats afin de couper l’Ukraine de son important accès maritime. En conclusion, Markus Reisner dresse un bilan sombre de la situation en Ukraine: «La vérité amère est que Poutine peut gagner la guerre.»
(Adaptation par Jocelyn Daloz)