Cet article est republié en vue du débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle française. Les deux candidats, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, s’affronteront ce mercredi dès 21h.
Elle s’appelle Phœbus. Dans la vidéo de TikTok, elle ronronne confortablement sur le bras de sa propriétaire rayonnante. À quelques kilomètres de Paris, dans la petite ville de La Celle-Saint-Cloud, Marine Le Pen élève ses chats Bengal. La candidate à la présidence française, âgée de 53 ans, a suivi la formation prescrite par les autorités à cet effet pendant le confinement lié à la pandémie du Covid-19: «Je pourrais tout laisser tomber et faire autre chose. Élever des chats par exemple», confiait récemment la cheffe du Rassemblement national (RN) à un journal français.
Pendant des décennies, le nom des Le Pen a été synonyme de l’extrême droite française. En 2017, lorsque Marine Le Pen est apparue agressive lors du débat télévisé précédant le second tour, elle semblait s’être définitivement disqualifiée pour la fonction suprême en France.
Mais ces derniers mois, elle a lancé une offensive de charme et a tenté de se présenter comme une femme d’État modérée aux idées sociales. Sa campagne électorale est placée sous le slogan: «Marine – femme d’État». Le nom de son père, Jean-Marie Le Pen, – qui avait qualifié le massacre de millions de juifs par les nazis allemands de «détail de l’histoire» – a été effacé: il n’y a plus que Marine. Celle-ci chante des chansons jusqu’à une heure du matin, se passionne pour le jardinage et vit en colocation avec sa meilleure amie.
Un tiers la trouve «sympathique et chaleureuse»
«J’envoie des photos de mes fleurs à mes amis», a-t-elle raconté sur certaines émissions de télévision. Elle porte un blazer pastel avec un sourire gagnant. Aujourd’hui, un tiers des Français trouve le visage de la candidate d’extrême droite «sympathique et chaleureux». «Elle peut être, il faut bien le dire, plutôt gentille», écrit même l’hebdomadaire allemand de centre-gauche «Die Zeit» après une rencontre avec la candidate française.
Le changement d’image a porté ses fruits. Dans quelques jours, il y aura un air de déjà-vu lors du débat télévisé contre Emmanuel Macron, l’actuel chef de l’État.
Marine est née en 1968 à Neuilly-sur-Seine – sous le nom de Marion Anne Perrine Le Pen. Il n’y a pas que son image qui change. Les Français connaissent la fille cadette de Jean-Marie et de son ex-femme Pierrette depuis qu’elle est enfant. Pour les magazines, la fillette est photographiée dans une robe rose et blanche à carreaux et elle est élevée par une nounou. Dans son autobiographie, elle décrit des problèmes particuliers de sa scolarité. Ainsi, un professeur a écrit «Père fasciste» en marge de son travail de classe. Lorsqu’elle a huit ans, un attentat à la bombe est perpétré contre l’immeuble de sa famille. La petite Marine tire sa conclusion: «C’est le jour où j’ai compris que la politique, c’est de la violence.»
Chat mordu à mort par le chien de son père
Jeune adulte, elle virevolte dans la vie nocturne parisienne et danse le zouk dans le club afro le plus connu de la ville. S’ensuit une carrière d’avocate, durant laquelle elle défend souvent des sans-papiers. Puis deux mariages ratés et trois enfants. En 2011, Marine Le Pen reprend la présidence du parti de son père, qui s’appelait encore Front national à l’époque.
La rupture intervient en 2015, lorsqu’elle éjecte son paternel du parti pour «faute grave». Peu avant, elle avait affirmé que son chat avait été mordu à mort par le chien de Jean-Marie Le Pen.
La dynastie fournirait suffisamment de matière pour une série tragi-comique: un chef de clan avec un cache-œil digne d'un pirate, une mère qui, après une longue bataille pour le divorce, se fait photographier pour se venger dans «Playboy», ou encore une nièce – Marion Maréchal – qui a récemment déserté le RN pour rejoindre son concurrent encore plus à droite, Éric Zemmour.
«Réflexes de la gauche»
Après avoir largué son père, Marine a transformé le Front national de ce dernier en Rassemblement national. Avec de premiers succès. Alors qu’elle avait dû faire face à un «front républicain» lors du dernier duel présidentiel, un vote pour le RN est désormais considéré comme acceptable dans certains de ces milieux.
Au lieu de s’en prendre à l’Islam comme par le passé, la nationaliste cajole aujourd’hui les électeurs pour qui les questions sociales sont prioritaires. Chaque fois qu’elle le peut, elle qualifie Emmanuel Macron de «président Jupiter» et s’en prend aux «élites» avec tant d’habileté que cela fait oublier à de nombreux électeurs à quel point le milieu dont elle est elle-même issue est privilégié. Marine, l’avocate des petites gens.
Ses propositions pour l’économie française ressemblent beaucoup à celles de Jean-Luc Mélenchon. Marine Le Pen a les «réflexes d’une gauchiste», résumait récemment un analyste politique de la télévision. En réalité, elle mélange des idées d’extrême droite avec des préoccupations économiques progressistes.
Un séisme politique pour l’Europe
Dans son programme, la devise «Les Français d’abord» est toujours d’actualité. Les électeurs habituels de Marine Le Pen le savent également puisqu’ils scandent: «On est chez nous.»
Aux États-Unis, les partisans du démocrate radical Bernie Sanders avaient aidé Donald Trump à gagner en 2016. Selon les derniers sondages, 28% des électeurs de Mélenchon pourraient voter pour Le Pen.
Pour l’Europe, l’arrivée de «Le Pen» dans le fauteuil présidentiel serait un séisme politique. Certes, elle ne prêche plus le «Frexit» – la sortie de l’Union européenne – mais si elle pouvait réaliser ses promesses électorales, cela contredirait de fait l’adhésion de la France. Elle veut «changer l’Union européenne de l’intérieur» et créer une «Europe des nations».
Sympathie pour la Suisse, grâce à l’initiative contre les minarets
Dans son programme imprimé sur papier glacé, elle annonce la réintroduction des contrôles aux frontières, une réduction de la contribution au budget européen et la fin du principe selon lequel le droit européen prime sur le droit national. Elle prévoit de mettre fin à la coopération avec l’Allemagne dans le domaine de la défense et de se retirer de la structure de commandement de l’OTAN.
On ne sait pas ce que Le Pen pense de l’accord-cadre entre Berne et l’UE. Elle nourrit toutefois une grande sympathie pour la Suisse, notamment depuis la victoire de l’initiative contre les minarets, qu’elle recommande comme modèle pour son programme de votations populaires régulières.
L’annexion de la Crimée justifiée
Marine Le Pen entretient des relations étroites avec le Premier ministre autocratique hongrois Viktor Orban et l’unité de l’Europe de l’Ouest contre la Russie serait terminée avec elle à la présidence. Elle a toujours justifié l’annexion de la Crimée et a récemment déclaré que Vladimir Poutine pourrait «naturellement» redevenir un bon partenaire pour l’Occident.
Aujourd’hui, la femme politique brigue pour la troisième fois la fonction suprême en France. Les sondages donnent Emmanuel Macron favori, mais par rapport aux dernières élections présidentielles, elle a nettement réduit l’écart. Si elle y parvient, elle aura réussi à créer deux sensations politiques: devenir la première femme présidente en France et faire accéder à l'Élysée un exécutif d’extrême droite.
Et si elle n’y parvient pas, il lui restera toujours son élevage de chats Bengal.
(Adaptation par Matthias Davet)