Ne dites pas à Mariya que son pays pourra peut-être intégrer l’Union européenne dans huit ou dix ans, voire dans quinze ans. Pour cette jeune Ukrainienne, étudiante à Amsterdam venue manifester à Bruxelles jeudi 23 juin face au Rond-Point Schuman, siège des institutions communautaires, la réponse est non. «Ukraine is Europe», s’époumone-t-elle dans son porte-voix, devant une cinquantaine d’autres manifestants drapés dans le tissu bleu et jaune de leur pays ou dans le drapeau étoilé de l’UE.
«Candidat immédiat», déjà un grand pas
Mariya sait pourtant que l’octroi à l’Ukraine du statut de «candidat immédiat» par les 27, attendu ce jeudi soir, est déjà un grand pas, alors que la plupart des pays patientent en général plusieurs années pour entamer le difficile processus d’adhésion. La jeune femme, biologiste, sait aussi que la colère grogne dans les populations des Balkans occidentaux (Albanie, Macédoine du Nord, Serbie, Monténégro). Ces nations poireautent depuis des années dans l’antichambre de l’Europe.
Mais qu’importe. L’Ukraine est différente. «L’Europe est pour nous une question de survie, s’énerve-t-elle. Nos frères, nos fiancés, nos maris, nos parents se battent pour vous, les Européens. On ne se bat pas entre nous, comme c’était le cas lors de la désintégration de l’ex-Yougoslavie. On se bat contre Poutine. Et vous nous demandez d’attendre dix ans?»
Donner à l’Ukraine une perspective européenne
Même refrain, unanime, devant le Rond-Point Schuman, parmi tous ces manifestants ukrainiens entourés de policiers armés jusqu’aux dents, en raison du sommet européen. Dès jeudi matin, les 27 chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne ont commencé à débattre de la situation dans les Balkans. L’Ukraine est au menu de la soirée, avec sur la table la recommandation positive de la Commission européenne pour laquelle le Conseil (l’instance qui représente les pays membres) doit «premièrement donner à l’Ukraine une perspective européenne et, deuxièmement, lui accorder le statut de candidat. Ceci, bien entendu, à condition que le pays procède à un certain nombre de réformes importantes».
Pas question, pour ces Ukrainiens de Belgique, de France ou des Pays-Bas, de s’en tenir là. Mikhail est employé dans une société informatique à Waterloo, près de Bruxelles. Il est arrivé juste avant le déclenchement de la guerre, le 24 février. «Ceux qui croient calmer notre volonté européenne avec ce statut de candidat se trompent lourdement, raconte-t-il. Nous sommes mobilisés parce que nous le méritons. Il faut, maintenant, que les Européens inventent une procédure accélérée. Vous voulez nous demandez d’attendre dix ans alors que les bombes de Poutine aplatissent nos villes? Vous ne pouvez pas dire d’un côté 'l’Ukraine c’est l’Europe' et, de l’autre, être membre de notre club.»
Rapport de force politique
Ce dilemme, les dirigeants européens et les diplomates en sont conscients. Lorsque le feu vert sera donné, ce jeudi soir, à la candidature de l’Ukraine et de la Moldavie, pays très inquiet de la menace russe, un engrenage politique se mettra en place. «L’Ukraine a, paradoxalement, le rapport de force politique pour elle, reconnaît un ambassadeur européen à Bruxelles. Plus nous imposerons des obstacles techniques et juridiques justifiés à son adhésion, plus on nous reprochera d’ignorer les réalités du terrain, les morts, la douleur. Nous avons l’obligation d’inventer très vite quelque chose pour les Ukrainiens.»
Plusieurs idées circulent pour l’après-candidature. Une fois que le symbole de l’Ukraine, pays candidat, sera entériné, l’idée d’un geste fort envers sa population, par exemple en termes d’accès facilité aux visas Schengen, est souvent évoquée à Bruxelles.
L’idée d’une «Communauté politique européenne» évoquée par le président français, Emmanuel Macron, doit aussi être examinée, même si beaucoup la jugent impossible. Pour preuve, l’Espace économique européen, que la Suisse avait rejeté en décembre 1992 (aujourd’hui composé de la Norvège, du Liechtenstein et de l’Islande), ne s’est jamais imposé comme un second cercle.
«L’Europe, ce sont des droits, la liberté, une sécurité»
«Pour nous, l’Europe, ce sont des droits, la liberté, une sécurité, un espace commun dont nous devons tous être citoyens égaux. C’est ce que Poutine déteste. C’est ce qu’il veut tuer. Vous ne pouvez pas nous le refuser», poursuit la jeune Mariya, en agitant son drapeau ukrainien devant les cortèges de voitures officielles. L’Ukraine candidate? Tout le monde, sur le Rond-Point Schuman, s’en félicite. Mais les Européens sont prévenus: personne ne s’en contentera. Surtout pas à Kiev.