S’il existe une zone de non-droit total dans le monde, c’est bien sur un tapis rouge. Lady Gaga peut le fouler vêtue d’une robe intégralement faite de bœuf argentin (c’était en 2010, les MTV Video Music Awards), Katy Perry peut débarquer déguisée en lustre ou en burger (respectivement pour le Met Gala 2021 et l’after party de ce même Met Gala), et Jared Leto est déjà venu en longue robe, tenant dans sa main droite une réplique en cire de… sa propre tête.
Tout est donc permis pour les stars au nom de la mode. Tout, vraiment? Peut-être pas. Car il en est une dont les tenues ne cessent de choquer. Il faut dire qu’elle les arbore indifféremment dans la rue et sur le red carpet, et qu’en réalité, c'est souvent l’absence de vêtements plus que leur originalité qui fait parler. Bianca Censori, l’épouse du rappeur et producteur américain Kanye West (qui se fait désormais appeler Ye), semble avoir trouvé la limite de l’acceptable.
Dernière preuve en date: les houleux débats qui ont suivi son apparition, dimanche 2 février, à la cérémonie des Grammy Awards. Le couple se présente vêtu de noir, t-shirt et pantalon basique pour lui, manteau long en fourrure pour elle. Très vite, Bianca Censori se retourne, dos aux photographes, et fait tomber le manteau. Dessous, une courte «robe» entièrement transparente. En réalité, la jeune femme, qui a fêté ses 30 ans il y a un mois, est entièrement nue.
Depuis, réseaux sociaux et éditorialistes people se livrent à des analyses et des commentaires qui se transforment en bataille rangée. D’abord pour savoir si Bianca Censori peut faire l’objet de poursuites pour attentat à la pudeur (ce qui ne sera finalement pas le cas, aucun invité n’ayant déposé plainte). Ensuite pour comprendre ce qui se cache derrière cette désinhibition hors du commun. Bianca Censori serait-elle dans une démarche radicale d’affirmation d’elle-même? Ou, au contraire, sous l’emprise de Kanye West, connu pour ses frasques, mais surtout son comportement toxique avec certaines femmes, notamment son ex, l’influenceuse et femme d’affaires Kim Kardashian? A moins que ce ne soit qu'une pure communication pour occuper l’attention médiatique.
Architecte de formation
Cerner Bianca Censori n’est pas chose aisée. D’abord parce qu’elle ne prend jamais la parole. L’Australienne, née à Melbourne en 1995, n’a guère accordé qu’une interview, en 2021, au média «Hypebeast», qui l’a depuis supprimée. Ensuite parce que rien ne la destinait à finir dans les pages des tabloïds aux côtés d’une superstar de la musique.
Ni influenceuse ni «it-girl», Bianca Censori est bel et bien architecte et designeuse, diplômée de l’université de sa ville natale. N’y voyez pas un passe-temps, mais bien une vocation. «Enfant, j’ai toujours eu des ambitions créatives, surtout artistiques. J’ai toujours voulu être sculptrice et pour moi, l’architecture est l’union de l’art et du pragmatisme. C’est le plus grand geste artistique qu’on puisse accomplir sur Terre», expliquait-elle à «Hypebeast».
C’est d’ailleurs son métier qui l’a amenée à rencontrer Kanye West. Après avoir créé une marque de bijoux à sa sortie d’école, Bianca Censori commence à travailler en 2020 pour Yeezy, la marque fondée par le rappeur. Celui-ci veut ajouter l’architecture aux cordes déjà nombreuses de son arc entrepreneurial, fait de créations de vêtements et de chaussures, ainsi que d’un label de production. Ses premiers pas dans le domaine sont difficiles: les logements pour sans-abri dont il est censé avoir supervisé la construction, des dômes futuristes érigés sur sa propriété de Calabasas, un quartier ultra-riche et sécurisé de Los Angeles, sont démolis faute d’obtention préalable d’un permis de construire. Juste après le Covid-19, Bianca Censori débarque avec deux amis également du métier pour relancer la machine en tant que «designeuse architecturale».
En legging et coussin violet
Ce n’est que deux ans plus tard, en janvier 2023, que l’annonce de sa relation avec Kanye West devient officielle. En réalité, les deux tourtereaux sont déjà mariés, comme le révèlera bien plus tard le «Daily Mail». En décembre 2022, un mois seulement après la fin de la procédure de divorce qui oppose le rappeur à Kim Kardashian depuis un an et demi, Bianca Censori et lui se disent oui à Palo Alto, près de Los Angeles.
Quand leur relation a-t-elle débuté? Nul ne sait précisément. L’Australienne a beau ressembler physiquement à l’ex-épouse star de la télé-réalité, toutes deux ont un usage radicalement opposé des réseaux sociaux et des médias: la première ne possède aucun compte et refuse de répondre aux journalistes. Toutes les photos d’elles sont celles prises par les paparazzi et par Kanye West, qui en relaie beaucoup sur Instagram.
Ce sont justement ces clichés qui la révèlent au grand public. Et très vite, celui-ci est… circonspect. Bianca Censori se débarrasse en même temps de ses longs cheveux et d’une bonne partie de ses vêtements. Adepte des leggings et des crop-tops, quand ce ne sont pas simplement des bandeaux qui couvrent très légèrement sa poitrine, l’architecte laisse la pudeur au placard. Au point de faire scandale à l’étranger. En septembre 2023, elle apparaît en collants chair dans les rues de Florence, en Italie, «vêtue» simplement d’un coussin violet – habilement emprunté à l’hôtel. Quelques jours plus tôt, des photos du couple dans un vaporetto sur un canal de Venise, visiblement en pleine fellation, avaient choqué tout le pays et entraîné leur bannissement à vie de la compagnie de bâteau.
Acte politique ou coup de com’?
Parfois, Bianca Censori semble pourtant revendiquer quelque chose. Sinon, pourquoi venir à l’Art Basel Miami, grand raout de l’art contemporain en Floride, en body chair, toque en fourrure sur la tête et, surtout, avec un énorme ours en peluche dans les bras?
Serait-ce un message adressé aux riches américains guindés qui envahissent les allées de ce genre de foire? Les looks provocateurs porteraient-ils un message politique sur notre rapport aux œuvres et à la nudité? «Les gens parlent de mise en scène, mais pour Ye [ndlr: l’autre nom de Kanye West], c’est son art», affirme une source au «Sun» après l’épisode des Grammy Awards. Pourrait-il également s’agir, comme le soupçonnent certains magazines, de coups de com’ destinés à faire revenir Kanye West dans l’industrie de la mode?
L’homme d'affaires en a été considérablement écarté en 2022, après des propos antisémites et complotistes. A l’époque, Adidas avait notamment mis fin à leur collaboration autour de la vente des chaussures Yeezy. L’hypothèse de la communication bien rodée est alimentée par Kanye West lui-même. Sur son compte Instagram après la cérémonie des Grammy Awards, le rappeur a publié plusieurs stories éphémères pour se gargariser du nombre de recherches Google les concernant son épouse et lui. Avec une légende sans équivoque: «ON A BATTU LES GRAMMYS».
Une femme sous emprise?
Pourtant, une autre piste d’explication enfle: et si Bianca Censori était engluée dans une relation toxique, sous l’emprise de son époux? Devant les photographes des Grammy Awards, Kanye West s’est en effet penché vers sa femme pour lui dire quelque chose avant qu’elle se déshabille. Et selon plusieurs spécialistes de la lecture labiale contactés par le «Daily Mail», il lui aurait ordonné de «faire une scène, maintenant». Cette rumeur ne vient pas de nulle part. Toujours auprès du «Daily Mail» – qui, décidément, suit cette affaire de près – des proches de Bianca Censori ont exprimé des inquiétudes dès la fin 2023.
Kanye West lui aurait donné l’instruction de ne «jamais prendre la parole», mais aussi de «manger certaines choses», de «porter ce qu’il veut qu’elle porte» et de «faire du sport, même si lui-même n’en fait jamais». «Elle n’a plus de libre-arbitre et lui obéit aveuglément», affirme une source anonyme. Avant cela, plusieurs ex-compagnes du rappeur ont témoigné de tels comportements coercitifs de sa part. Dans sa télé-réalité «Keeping up with the Kardashians», Kim Kardashian a ainsi affirmé qu’il lui envoyait des e-mails contenant une liste de looks à adopter.
Relire Aristote
Quoi qu’il en soit, il est très étrange aujourd’hui de relire la seule interview disponible de Bianca Censori. Qu’est-il arrivé à la jeune femme qui expliquait qu’il fallait «humaniser le design», «comprendre les besoins» des gens pour adapter les créations «de la façon la plus simple et fonctionnelle possible»? Comment une architecte passionnée, persuadée que les constructions peuvent «influer la perception du monde extérieur de l’utilisateur», et capable de disserter sur la théorie de la plasticité de la philosophe Catherine Malabou, est-elle devenue une figure souvent dénudée et constamment mutique?
Il y a quelques années, Catherine Malabou développait justement ce concept de plasticité auprès de «Philosophies Magazine», vantant les mérites de la capacité de chacun à changer. «Mais là encore, écoutons Aristote», prévenait-elle. «Il y a les altérations qui vous corrompent et les altérations qui vous améliorent. C’est un problème moral que d’évaluer la transformation qui vous conduit vers le mieux et de rejeter celle qui risque de vous abîmer». Reste à savoir si Bianca Censori a bien écouté Aristote… et bien évalué sa propre transformation.