Mutinerie, kidnapping, évasion
L'Équateur est secoué par une vague de violence armée sans précédent

Évasion spectaculaire, mutineries dans les prisons, proclamation de l'état d'urgence et policiers enlevés: le président équatorien Daniel Noboa, élu en novembre sur la promesse de juguler l'insécurité, est confronté depuis deux jours à sa première vraie crise.
Publié: 09.01.2024 à 22:17 heures
Photo: RODRIGO BUENDIA

Des hommes armés et cagoulés ont fait irruption mardi après-midi sur le plateau d'une télévision publique à Guayaquil (sud-ouest de l'Equateur), prenant en otages des journalistes et d'autres employés, selon les images diffusées en direct par cette chaîne.

«Ne tirez pas, s'il vous plaît, ne tirez pas!», crie une femme au milieu des coups de feu, tandis que les assaillants, munis de pistolets, fusils à pompe et certains de grenades, forcent les personnes terrorisées à se mettre au sol.

L'un d'entre eux est encagoulé, d'autres portent capuches et casquettes. D'autres encore ont le visage à découvert ou se filment avec leur téléphone portable, tandis que plusieurs d'entre eux font avec les doigts des deux mains les habituels signes de reconnaissance des bandes criminelles liées au narcotrafic qui font régner la terreur en Equateur.

«Ils sont entrés pour nous tuer, mon Dieu protégez-nous», a envoyé à un correspondant de l'AFP, dans un message WhatsApp, l'un des journalistes captifs. Des plaintes sont audibles en bruit de fond.

Au milieu des coups de feu, la diffusion de ces images surréalistes se poursuit en direct pendant de longues minutes, malgré l'extinction des lumières sur le plateau et la caméra qui se fige. Jusqu'à apparemment l'intervention de la police aux cris de «Police, police».

«Les unités de la police nationale (...) ont été alertées de cet acte criminel et sont déjà sur les lieux», a déclaré la police dans un message à la presse.

Évasion spectaculaire d'un chef de gang

Plus tôt dans la journée, «trois fonctionnaires de la police qui étaient de service» ont été kidnappés dans la ville côtière de Machala, dans le sud-ouest de l'Equateur, et un quatrième dans la capitale Quito – par trois individus à bord d'«un véhicule aux vitres teintées et sans plaques» –, a annoncé dans la nuit de lundi à mardi la police.

Une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux montre trois des agents enlevés assis par terre, dont l'un est contraint, sous la menace d'armes de poing, de lire un message adressé au chef de l'Etat: «Vous avez déclaré la guerre, vous allez avoir la guerre (...). Toute personne trouvée dans les rues après 23 heures sera exécutée», ont ajouté les auteurs de ce texte, lu par le policier terrorisé.» Et de conclure: «Vous avez déclaré l'état d'urgence. Nous déclarons la police, les civils et les militaires comme butins de guerre.»

Daniel Noboa a en effet décrété lundi l'état d'urgence pendant 60 jours dans l'ensemble de son pays, y compris dans les prisons, avec un couvre-feu entre 23H00 et 05H00 heures locales (04H00 et 10H00 GMT).

Ces mesures ont été prises au lendemain de l'évasion d'Adolfo Macias, alias «Fito», 44 ans, le chef des «Choneros». Un gang d'environ 8.000 hommes, selon les experts, devenu le principal acteur du trafic de drogue florissant en Equateur.

Souvent décrit comme l'ennemi public numéro 1, l'homme s'est volatilisé dimanche d'un établissement de haute sécurité dans le vaste complexe de Guayaquil (sud-ouest) où il purgeait depuis 2011 une peine de 34 ans de privation de liberté pour crime organisé, trafic de stupéfiants et meurtre. Il s'était déjà évadé, en 2013, d'une prison de haute sécurité et avait été repris trois mois après.

Le parquet a ouvert une enquête contre deux fonctionnaires de l'administration pénitentiaire «qui auraient participé à l'évasion» de «Fito».

Les forces de sécurité «sont à pied d'œuvre pour retrouver cet individu extrêmement dangereux» qui aurait fui dimanche «quelques heures» avant un contrôle dans la prison, a déclaré lundi le secrétaire à la communication du gouvernement Roberto Izurieta, qui a également déploré un «niveau d'infiltration» des groupes criminels au sein de l'Etat «très élevé» et qualifié le système pénitentiaire équatorien d'«échec». «Nous ne négocierons pas avec les terroristes et on ne s'arrêtera pas tant que nous n'aurons pas rendu la paix à tous les Equatoriens», a pour sa part insisté le président.

Une «crise sans précédent» traverse le pays

Après l'instauration de l'état d'urgence, la police a également signalé des violences dans la province d'Esmeraldas (nord-ouest), contrôlée par des gangs. Un engin explosif a été lancé près d'un commissariat et deux véhicules ont été incendiés.

A Quito, les explosions d'une voiture et d'un engin près d'un pont piétonnier ont aussi été signalées. Son maire, Pabel Muñoz, a appelé le gouvernement à «militariser» les installations stratégiques face à la «crise sécuritaire sans précédent».

Des policiers et des soldats ont pénétré lourdement armés dans plusieurs prisons, notamment dans celles où des gardiens ont été séquestrés.

Sur des images mises en ligne sur les réseaux sociaux, qui n'ont pu être vérifiées, on peut voir des gardiens retenus sous la menace de couteaux par des hommes encagoulés, suppliant le gouvernement d'"agir avec prudence» et de «ne pas envoyer de troupes dans les prisons».

Des vidéos diffusées plus tard par l'armée ont montré des détenus allongés dans la cour de prisons, mains sur la tête et torse nu. L'administration pénitentiaire (SNAI) a affirmé que personne n'avait été blessé à la suite de ces «incidents».

Le nom de «Fito» a fait la Une ces derniers mois après l'assassinat début août de l'un des principaux candidats à l'élection présidentielle. La victime, un ancien journaliste et parlementaire, avait fait état peu avant son exécution de menaces de mort de la part du chef des Choneros.

Pays devenu un centre logistique pour l'expédition de cocaïne vers les Etats-Unis et l'Europe, l'Equateur est ravagé par la violence des gangs et des narcotrafiquants. Le nombre des homicides a augmenté de près de 800% entre 2018 et 2023, passant de 6 à 46 pour 100.000 habitants.

Les prisons connaissent des massacres récurrents entre bandes rivales, au moins douze depuis février 2021 qui ont fait plus de 460 morts parmi les détenus.

Le prédécesseur de M. Noboa, le conservateur Guillermo Lasso, a décrété l'état d'urgence à plusieurs reprises sous sa présidence, sans jamais réussir à mettre fin à la crise dans les prisons ou endiguer les violences qui ensanglantent l'Equateur.

(ATS / AFP)

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