Pour les journalistes et commentateurs de tout type, les réseaux sociaux sont comme un thermomètre de la société. L'on y repère ce qui fera la mode – ou la norme – de demain.
Et l'on n'est jamais à l'abri d'une surprise. Comme par exemple celle de la (ré)apparition, sur la plateforme TikTok, de jeunes chrétiennes aussi zélées que maquillées, qui chantent la gloire de Jésus et/ou de la Sainte Vierge... la tête couverte d'un voile. Curieux phénomène, scruté par le média français «La Croix», et sur lequel RTS Info attirait l'attention lundi.
Les vidéos du genre les plus anciennes datent d'il y a à peine quatre mois. L'on peut y voir des jeunes filles réciter des prêches la tête couverte – ou même dispenser des tutos pour nouer correctement son foulard. Le tout dans une esthétique ultramoderne.
Simple phénomène de mode, ou questionnement identitaire révélateur d'une crise dans le christianisme? Pour le titre français, il s'agit avant tout d'un «brouillage des frontières» entre religions, faisant ainsi référence à la pratique où le voile est aujourd'hui le plus commun: l'islam.
Et pour cause: ces jeunes filles sont catholiques, orthodoxes ou évangélistes, précise RTS Info. Comme les autres, les pieuses évangéliques disent leur amour de la Vierge, alors que le culte de Marie ne fait pas partie de leur tradition, note le média suisse. Si ce n'est de «brouillage», l'on peut donc pour le moins parler d'une nouvelle forme d'œcuménisme.
Pourquoi maintenant, en 2022?
«C'est un bon exemple de la façon dont une tradition peut être ravivée en un clin d'œil par la magie d'Internet (ndlr: voir explications ci-dessous)», commente Sarah Paciarelli, responsable de la communication, de l'éducation et de la politique à la Ligue suisse des femmes catholiques.
Faut-il voir dans cette tendance une identité chrétienne en crise? «Avec les réseaux sociaux, la manière dont nous exprimons nos identités a changé. Cela vaut aussi pour la religion et la foi. Je pense qu'au vu des changements énormes et très rapides que nos sociétés ont connus ces dernières années, c'est l'identité dans son ensemble qui est en crise. Mais toute crise recèle un espace pour le changement. Et celui-ci se fait naturellement sentir là où les jeunes s'expriment et expérimentent le plus», c'est-à-dire, de nos jours, en vidéo sur la Toile.
Et d'ajouter: «Fondamentalement, de nombreuses personnes au sein de l'Église catholique sont à la recherche de nouvelles manières de croire. Le fait que les jeunes femmes recourent justement à une vieille relique est paradoxal, mais peut-être aussi l'expression juvénile d'un désir d'appartenance dans un monde pluraliste.»
Et, dans certains contextes, les femmes chrétiennes n'ont en fait jamais vraiment cessé de se voiler, souligne Sarah Paciarelli: «Par exemple, les femmes catholiques qui se rendaient au Vatican pour une visite officielle devaient, jusqu'à il y a quelques années encore, porter un voile conformément au protocole. En Pologne et en Italie, dans certaines régions, les femmes catholiques portent parfois encore le voile lorsqu'elles entrent dans une église, surtout les femmes âgées.»
Le voile est d'origine chrétienne
Ces jeunes femmes pieuses n'ont donc pas inventé la roue. Autant que l'islam, lui non plus, n'a pas inventé le voile. Car, durant l'Antiquité (3300-3200 av. J.-C. jusqu'à l'an 476), les femmes se couvraient déjà la tête. «Et ce pour des raisons socio-culturelles, généralement pour se distinguer des esclaves», comme l'écrit l'historienne Maria Giuseppina Muzzarelli dans son ouvrage «Histoire du voile, des origines au foulard islamique». Ce n'est que bien plus tard que le tissu a fait son entrée dans la sphère spirituelle. À commencer par le christianisme – premier grand monothéisme à théoriser son port de façon théologique.
Toujours dans l'Antiquité, «en Grèce, la femme le porte aussi pour des raisons de pudeur et de modestie, tandis qu’à Rome, il est associé religieusement aux Vestales. Il est probable que Paul de Tarse ait en tête leur exemple lorsqu’il rédige sa 'Première lettre aux Corinthiens', dont les prescriptions vestimentaires servent de base aux réflexions chrétiennes», introduisant ainsi le couvre-chef dans la culture des Chrétiens dès le premier siècle de notre ère, comme l'explique l'ouvrage.
Quant à l'islam, bien que la mention du voile y soit vaguement apparue dès les premiers textes, pour la majorité des chercheuses et des chercheurs contemporains, à l'image de Leïla Babès, professeure à l'Université catholique de Lille, l'obligation religieuse du voile y est en fait très récente. Cette dernière ne serait apparue formellement qu'avec l'islamisation moderne (caractéristique de la période des décolonisations), soit dans le courant du 20ème siècle.