Pilier de la société civile, Memorial s'est imposée comme un inlassable défenseur des droits humains en Russie et le gardien de la mémoire du Goulag, mais ce symbole de la démocratisation post-soviétique est plus menacé que jamais.
Le parquet réclame en effet l'interdiction de Memorial International, qui coordonne le travail du réseau de cette ONG à travers la Russie, l'accusant d'avoir enfreint une loi controversée sur les «agents de l'étranger».
Cette affaire s'inscrit dans un contexte de répression croissante contre les voix critiques du pouvoir russe, avec la fermeture de médias indépendants et d'ONG et le démantèlement du mouvement de l'opposant emprisonné Alexeï Navalny.
Mardi, plusieurs dizaines de personnes ont bravé les températures très basses et le risque d'une arrestation pour exprimer devant le tribunal leur soutien à Memorial, selon un journaliste de l'AFP.
Memorial, pilier des droits humains, menacé de dissolution
Deux participants à ce rassemblement, dont un homme qui brandissait une pancarte «Pas touche à Memorial», ont d'ailleurs été interpellés, selon l'ONG.
L'organisation est qualifiée d'«agent de l'étranger» par les autorités et doit, en plus de s'acquitter de fastidieuses démarches administratives, faire figurer ce statut dans chacune de ses publications, y compris sur les réseaux sociaux.
Au cours de la deuxième audience dans ce procès qui s'est ouvert fin novembre, les procureurs ont reproché à Memorial de n'avoir pas mentionné ce statut dans toutes ses publications sur les réseaux sociaux ou alors de l'avoir fait incorrectement.
«Il est nécessaire d'écrire que Memorial 'remplit la fonction d'agent de l'étranger'. Or Memorial ne fait que dire qu'elle 'figure dans le registre des agents de l'étranger'», a ainsi ergoté une procureure.
Aucune loi ne précise «ce qui doit être étiqueté, ni de quelle manière», a rétorqué une avocate de Memorial, Maria Eismont, ajoutant que l'ONG avait «consciencieusement» essayé de suivre les règles.
«Pas touche à Memorial»
A l'issue de ce dialogue de sourds, la juge Alla Nazarova, qui a longuement lu les dizaines de procès-verbaux dressés contre Memorial, a suspendu le procès et fixé sa reprise au 28 décembre.
La menace d'interdiction de Memorial a suscité de nombreuses critiques à l'étranger, où l'ONG jouit d'un grand prestige.
Créée en 1989 par des dissidents soviétiques dont le prix Nobel de la Paix Andreï Sakharov, cette organisation a commencé par méticuleusement documenter les crimes staliniens et les camps du Goulag, avant de se lancer dans la défense des droits humains et des prisonniers politiques.
Cette ONG a également enquêté sur les exactions russes pendant les guerres en Tchétchénie et, plus récemment, sur les paramilitaires du groupe «Wagner», considéré malgré les dénégations russes comme un bras armé de Moscou à l'étranger.
«Il est nécessaire de préserver Memorial afin de bien comprendre (...) ce que nos parents ont vécu et là où nous ne devons pas retourner», a dit Vladimir Ananitch, un médecin et éditeur allé soutenir l'ONG devant le tribunal.
Les responsables au pouvoir «ne veulent pas que nous réfléchissions à ce qui est en train de se passer dans notre pays (...). Ils sont les héritiers de Staline», a-t-il ajouté.
En cas de dissolution, les avocats de l'ONG ne pourront pas faire appel de la décision de la Cour suprême devant d'autres tribunaux russes et redoutent que les jeux ne soient déjà faits.
Jeudi, le président Vladimir Poutine, tout en disant considérer Memorial avec «respect», a accusé l'ONG de défendre aussi des «extrémistes» et d'avoir classé à tort des collaborateurs des nazis en tant que victimes des répressions staliniennes.
Dans une autre procédure, le parquet de Moscou exige la dissolution du Centre de défense des droits de l'homme de Memorial, une entité qui soutient les prisonniers politiques, les migrants et les minorités sexuelles.
Nombre d'ONG et d'historiens estiment que les poursuites contre Memorial illustrent la volonté du Kremlin de défendre une interprétation historique exaltant la puissance russe et minimisant les crimes soviétiques.
Les responsables de l'ONG craignent qu'une dissolution de sa structure centrale ne complique fortement le fonctionnement de son réseau.
(ATS)