Manque d'armes et de munitions
Se défendre, une obsession européenne partagée par le Danemark

200 milliards d'euros pour acheter des armes: la décision prise lors du sommet européen de Bruxelles ce mardi prouve l'urgence d'une reconstitution des arsenaux. En votant «oui» à la défense européenne, les Danois ont aussi tiré les leçons du conflit en Ukraine.
Publié: 01.06.2022 à 12:29 heures
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Dernière mise à jour: 17.06.2022 à 17:13 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Des Européens de plus en plus désarmés pour armer l’Ukraine. Cette inquiétante réalité militaire est aujourd’hui irréfutable. Elle a conduit les dirigeants des 27 pays membres de l’Union européenne à approuver, mardi 31 mai à Bruxelles, le déblocage en urgence de 200 milliards d’euros pour financer des achats groupés d’équipements, et passer d’urgence de nouvelles commandes aux industriels.

Un oui massif des Danois à la défense européenne

Ceci alors que la population danoise a massivement approuvé ce mercredi par référendum (avec 67% de «oui») l’entrée du Danemark dans la défense européenne (le pays, pourtant membre de l’UE, bénéficiait jusque-là d’une dérogation).

«Ce soir, le Danemark a envoyé un signal important. À nos alliés en Europe et à l’OTAN, et au président russe. Nous montrons que, quand Poutine envahit un pays libre et menace la stabilité en Europe, nous autres, nous nous rassemblons», a déclaré la Première ministre Mette Frederiksen. «Il y a eu une Europe avant le 24 février, avant l’invasion russe, et il y a une Europe après».

La vulnérabilité militaire du continent devient réelle

Souvent convié à commenter la situation en Ukraine, le général Dominique Trinquand, ancien représentant militaire de la France à l’OTAN, confirme à Blick l’inquiétude des armées occidentales face aux ressources mobilisées. «Tous les pays de l’UE ne sont pas dans la même situation, et ne livrent pas à l’armée ukrainienne le même genre de matériel. L’Allemagne, par exemple, dispose encore d’importants stocks d’armes conventionnelles d’ancienne génération, hérités de la RDA.»

Et d’ajouter: «C’est le cas aussi pour les pays d’Europe de l’est, qui en profitent pour renouveler leurs arsenaux de façon accélérée. Dans le cas de la France, de l’Italie ou de l’Espagne, c’est différent. Les matériels livrés à l’armée ukrainienne commencent à faire défaut dans leurs arsenaux. S’ils ne sont pas rapidement remplacés, la question de la vulnérabilité du continent en cas de conflit majeur pourrait se poser.»

Les 200 milliards d’euros débloqués à Bruxelles apportent en théorie une réponse significative. Jusque-là, en effet, les pays de l’UE ont budgété… Deux milliards pour aider l’Ukraine, soit cent fois moins. Les carnets de commandes peuvent donc se remplir. Le problème est le calendrier. Ce qui manque aujourd’hui dans les arsenaux européens ne peut pas être remplacé dans l’immédiat.

L’exemple des canons français César

Exemple: les canons automoteurs français nommés «Caesar», de 155 mm (capables de tirer six obus par minute à 40 kilomètres de distance de la cible), produits par l’entreprise Nexter et fabriqués à Roanne, près de Lyon, ne sont pas disponibles sur simple demande. Ceux qui sont livrés à l’Ukraine prendront des mois à être remplacés. Idem pour les chars antiaériens allemands Guépard, conçus en partie par Rheinmetall (propriétaire de l’industriel suisse Oerlikon, qui fabrique le canon).

Le problème vient aussi des obus helvétiques, car les autorités suisses n’ont pas autorisé leur exportation vers l’Ukraine. Résultat: Berlin doit puiser dans les arsenaux de la Bundeswehr. Laquelle est, depuis le début de la guerre, mise en cause pour ses capacités insuffisantes, auxquelles le gouvernement allemand a décidé de remédier avec une enveloppe de 100 milliards d’euros de nouveaux crédits.

Avantage Vladimir Poutine? Pas sûr.

Avantage Vladimir Poutine? Pas sûr. C’est plutôt du côté de Washington, du Pentagone et du complexe militaro-industriel américain que le temps est au beau fixe. La tentation naturelle des pays européens est en effet d’acheter au plus vite sur étagère… Du matériel américain, disponible lui en grande quantité.

«Une guerre des contrats d’armement dans la vraie guerre se prépare entre industriels européens et américains», prédisait à juste titre en mars le quotidien français Le Monde. Logique: l’OTAN, dominée par les États-Unis, a été ressuscitée par l’agression russe contre l’Ukraine. Même la Suède et la Finlande, pays neutres, ont déposé une demande d’adhésion, qui sera examinée lors de son prochain sommet à Madrid, les 29 et 30 juin.

Or, le récent rapport du SIPRI, un institut suédois réputé, confirme l’appétit du continent pour les achats d’armes: ceux-ci ont déjà augmenté de plus de 19% entre 2017 et 2021, par rapport aux cinq années précédentes. La part de l’Europe dans le commerce mondial des armes est, elle, passée de 10% à 13%. Un mouvement que la guerre en Ukraine va bien sûr accélérer.

Désunion industrielle

La problématique, sur le continent européen, est de surcroît industrielle. Comment faire pour que les futurs achats «groupés» des 27, s’ils se confirment, profitent à l’ensemble des pays ayant une industrie de défense?

On connaît, en Suisse, la bataille commerciale pour le ciel à laquelle se livrent les avionneurs Dassault (qui fabriquent le Rafale) et EADS (qui fabrique l’Eurofighter). Cette concurrence intra-européenne a d’ailleurs facilité la tâche à Lookheed Martin et à son F-35, acheté récemment par la Confédération, par la Finlande, par la Belgique et par les Pays-Bas.

L’affaiblissement ponctuel de la défense européenne engendrée par les livraisons d’armes à l’Ukraine a donc au moins un mérite: obliger ces industriels à faire cause commune. À moins que…


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