L'opium des talibans
Le pavot, cette petite fleur qui aura causé la défaite américaine

Le fiasco militaire en Afghanistan peut être expliqué par différents facteurs. La fleur de pavot est l'un d'entre eux. Double peine pour les USA: elle permet aux talibans d'acheter des armes et inonde l'Amérique d'héroïne bon marché, dans une grave épidémie d'opioïdes.
Publié: 17.08.2021 à 12:09 heures
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Dernière mise à jour: 17.08.2021 à 12:20 heures
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La crise des opioïdes sévit aux États-Unis.
Photo: AFP
Daniel Kestenholz, Alexandre Cudré (adaptation)

Avant d’être renversés par l’invasion américaine à la fin de l’année 2001, les Talibans étaient loués par l’ONU pour avoir largement éradiqué la culture du pavot à opium dans le pays. Le pavot à opium est utilisé pour produire de l’opium brut, qui est ensuite raffiné pour produire de l’héroïne.

Les talibans avaient interdit la culture du pavot en 2000, alors qu’ils cherchaient à obtenir une légitimité internationale. Dans les zones contrôlées par les islamistes radicaux, sa culture avait alors chuté de 99%, selon les chiffres de l’ONU. Ce qui correspondait à environ trois quarts de l’offre mondiale d’héroïne de l’époque.

Même les États-Unis avaient alors félicité les talibans pour l’interdiction du pavot. «Nous saluons cette décision des talibans», avait déclaré Colin Powell, secrétaire d’État américain. C’était en mai 2001, quatre mois avant les attentats du 11 septembre.

La dope retourne au pays dans les bagages des soldats

Après l’invasion américaine, la culture du pavot en Afghanistan est repartie en flèche. Résultat: l’Afghanistan «libéré» inondait les États-Unis et le Royaume-Uni d’héroïne afghane bon marché, via les poches et les bagages de soldats peu scrupuleux.

Les conséquences dévastatrices de cette situation sont parfaitement visibles dans l’Amérique d’aujourd’hui. En 2019, plus de 50’000 toxicomanes sont morts d’une overdose d’opioïdes aux États-Unis, selon l’Institut fédéral de lutte contre les toxicomanies.

Dans le même temps, les sociétés pharmaceutiques Purdue et Johnson & Johnson gagnent beaucoup d’argent. Elles ont fait l’objet d’innombrables procès aux États-Unis pour avoir commercialisé illégalement des analgésiques opioïdes pouvant créer une dépendance.

Le premier État de la drogue au monde

Une grande quantité de l’héroïne en provenance d’Afghanistan a donc fini sur le marché de la drogue américain. Un fait que l’on ne retrouve pas dans les chiffres officiels du gouvernement étasunien. L’invasion de l’Afghanistan a pourtant bel et bien conduit à la plus grande épidémie de drogue de l’histoire des États-Unis.

À la même époque, le Premier ministre britannique, Tony Blair, avait utilisé l’héroïne afghane comme argument pour envahir l’Afghanistan et renverser les talibans, alors même que ceux-ci avaient lourdement réprimé sa culture quelques mois auparavant. Selon ses propos, sa responsabilité dans la mort d’innombrables jeunes gens en Occident ne faisait aucun doute.

L’invasion de la chaîne de l’Hindou Kouch par l’Occident a fait de l’Afghanistan le premier véritable État de la drogue au monde. Les premières années de l’occupation, les Américains ont tenté d’éradiquer les champs de pavot, ce qui a attiré la colère des agriculteurs, des villages et même de régions entières. Car le pavot représente une belle manne financière pour ces populations pauvres.

Par la suite, les cultures ne sont plus sous contrôle des troupes américaines. Les champs de pavot, refleurissent alors rapidement dans de nombreuses régions. Ils alimenteront la machine de guerre de la guérilla talibane — jusqu’à présent.

Pratiquement financés sous la protection des USA

«Les talibans ont fait du commerce de l’opium afghan l’une de leurs principales sources de revenus», déclare à l’agence de presse Reuters Cesar Gudes, chef du bureau de Kaboul de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Selon les estimations de l’agence des Nations unies, plus de 80% de l’opium et de l’héroïne consommés dans le monde proviennent d’Afghanistan. Les talibans ont ainsi pu devenir l’organisation la plus financée par la drogue au monde, pratiquement sous la protection des États-Unis.

La drogue est la «plus grande industrie de l’Afghanistan, hormis la guerre», selon Barnett Rubin, ancien conseiller pour l’Afghanistan auprès du département d’État américain. L’année record de 2017, avec 9900 tonnes d’opium, a rapporté 1,4 milliard de dollars dans les caisses des agriculteurs afghans.

Les talibans impliqués dans toutes les étapes

Selon les Nations unies, les talibans sont impliqués dans toutes les étapes du commerce de la drogue: la culture du pavot, l’extraction de l’opium, son trafic, la perception des taxes auprès des cultivateurs et des laboratoires de drogue ainsi que les revenus de la contrebande pour les expéditions vers l’Afrique, l’Europe, le Canada, la Russie, le Moyen-Orient et d’autres régions d’Asie.

Il n’existe pas de chiffres fiables sur le nombre exact de milliards que les talibans gagnent chaque année grâce à la fleur de pavot. Cela semble pourtant être assez pour résister pendant 20 ans à la première armée du monde.

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