«Réécrivez l'histoire d'un voyage», «culture dynamique», «paysage à couper le souffle», «traditions intactes»: certaines agences de voyages ne tarissent pas d'éloge quand il s'agit de vendre les charmes de l'Afghanistan, révèle «Le Parisien». Une rhétorique bien utile aux talibans, qui y voient un moyen de redorer leur blason et de briser leur isolement sur la scène internationale.
En 2024, pas moins de 6800 voyageurs ont foulé le sol afghan. On est encore loin du tourisme de masse, certes, mais c'est une nette hausse par rapport aux années précédentes. Une opportunité que le secteur n’a pas laissé passer: aujourd’hui, une centaine d’agences propose des séjours sur mesure dans le pays.
Le droit des femmes à la corbeille
Mais un point reste soigneusement occulté: la condition des femmes. Rien sur leur exclusion des écoles dès l’âge de 12 ans, leur effacement de l’espace public ou encore la répression des talibans pour les réduire au silence. Dans les tréfonds de son site internet, une agence se contente d’une réponse laconique: «La vie sociale, professionnelle et économique des femmes afghanes est confrontée à des défis importants.»
Depuis le retour des talibans au pouvoir en août 2021, l’Afghanistan reste un Etat paria. Peu de nations reconnaissent officiellement leur gouvernement, et le régime est qualifié par l’ONU de plus répressif au monde pour les femmes.
Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) met en garde les Suisses tentés par l’aventure: «Il existe des risques de sécurité élevée dans tout le pays.» La liste des dangers a de quoi refroidir: attaques, attentats, enlèvements. Et en cas de problème, mieux vaut s’en remettre à la chance: «Pour la Suisse, il est très difficile, voire impossible, de leur porter assistance.» Difficile d’imaginer pire carte postale pour attirer les touristes.
Pourtant, les agences de voyages minimisent les risques. «Le pays n’est plus une zone de combats active comme c’était le cas depuis des décennies», affirme l’une d’elles. Une autre audacieuse ose même: «Le pays vit en paix.» Une présentation édulcorée qui ferait presque passer les talibans pour des bienfaiteurs… en totale contradiction avec leur politique d’exclusion à l’égard de la moitié de la population.
Les talibans? Tout à fait «cordiaux»
«Le Parisien» a contacté une de ses agences en se faisant passer pour une cliente intéressée par le voyage. «C’est une expérience unique», explique l'interlocuteur au bout du fil. Quant aux conditions des femmes, il balaie les peurs de la journaliste d'un revers de main: «La réalité est complément différente.» Il va même jusqu'à affirmer que les talibans sont tout à fait «cordiaux» et qu'avec un peu de chance, elle pourra s'assoir à côté d'eux et même discuter.
Pour vivre cette «expérience unique» de neuf jours, il faudra tout de même débourser 3000 dollars, hors chambres d'hôtel, repas de midi, billets d'avion et visa. Un prix loin d'être accessible à toutes les bourses.
Des vacances «lamentables»
Pour Danièle Küss, experte en tourisme international, voyager dans un pays sous le joug des talibans est tout simplement «lamentable». «Les touristes qui s’y rendent participent au financement d’un gouvernement criminel. Dans la mesure où l’on participe à l’amélioration de leur image, on se fait complices de leurs crimes», dénonce-t-elle.
De leur côté, les talibans encouragent activement le tourisme en Afghanistan. Depuis 2022 un département spécial a été créé à l'intention des voyageurs étrangers. Un programme de réhabilitation met désormais en avant le site de Bamiyan, célèbre pour ses Bouddhas géants vieux de plus d’un millénaire. Ironie du sort, ce sont les talibans eux-mêmes qui les avaient fait exploser en 2001, car considérés comme «idôlatres».
Mais comme le rappelle «Le Parisien», derrière cette façade touristique, les talibans continuent d’imposer des restrictions liberticides aux femmes. En août 2024, elles se sont vu interdire de chanter, de lire en public ou de se déplacer seules. En décembre 2024, un décret du chef suprême a ordonné de condamner ou de ne plus construire de fenêtres donnant sur des espaces où vivent des femmes. Tandis que le nombre de touristes grimpe, les droits des Afghanes, eux, disparaissent un peu plus chaque jour.