Rien ne peut les arrêter: le groupe punk russe Pussy Riot continue de présenter ses performances, où des enregistrements de critiques envers Poutine sont passés et où les jeunes femmes pissent même sur sa photo. La fuite clandestine de Maria Alekhina, dite «Masha», en mai dernier a été un grand pied de nez au président russe. Pour échapper à ses surveillants à Moscou qui l'assignaient à résidence, elle s'est déguisée en livreuse de nourriture.
Depuis, Masha est en tournée en Europe avec la performance «Riot Days», un bracelet à la cheville rappelant sa captivité. Avec elle, sont présentes Diana Burkot, qui était déjà sur scène lors de son spectacle retentissant de 2012 dans l'église du Christ-Sauveur à Moscou, et la nouvelle venue Olga Borisova, une ancienne policière, participent également au spectacle. Blick a rencontré le trio au théâtre Spektakel.
Diana, vous étiez présente lors de l'action dans l'église du Christ-Sauveur, mais vous n'avez pas été arrêtée. Comment cela s'est-il passé pour vous à l'époque?
J'avais vraiment peur, car aucune d'entre nous ne s'attendait à ce que cela se termine ainsi. Je me suis cachée tout l'été en Ukraine, puis j'ai passé huit ans dans la clandestinité, en restant anonyme. Ce n'était bien sûr pas bon pour ma santé mentale, je suis devenue paranoïaque. Heureusement maintenant je vais mieux. C'était toutefois loin d'être une bonne expérience, même si je suis consciente que pour les femmes en prison, c'était encore pire.
Qu'est-ce qui vous a poussée à rendre votre expérience publique?
J'ai réalisé que je devais accepter cette partie de ma vie. C'est pourquoi je réapparais avec les Pussy Riot et que j'en parle. Entre-temps, c'est aussi devenu plus sûr pour moi de ne plus me cacher, du moins tant que je ne suis pas en Russie.
Pourrez-vous un jour retourner en Russie?
Un jour, oui, nous l'espérons toutes. Notre famille, nos amis et notre vie sont là-bas. Mais nous ne savons pas quand ce sera le cas.
Avec votre spectacle, vous provoquez le régime russe, vous pissez même sur Poutine, vous n'avez pas peur des conséquences?
Ici, nous nous sentons en sécurité. En Russie, nous irions directement en prison. Notre protestation est le minimum que je puisse faire pour changer les choses.
Qu'en est-il de votre famille?
Mon père est originaire d'Ukraine. Mais il me traite de fasciste parce que je m'engage pour l'Ukraine. C'est assez bizarre, mais je vis avec.
Olga, vous étiez policière, comment en êtes-vous arrivée à rejoindre les Pussy Riot?
Je n'avais que 18 ans, je travaillais dans la patrouille. À l'époque, j'avais une vision idéalisée de ce travail, je pensais que je pouvais vraiment aider. Mais j'ai vite réalisé que ce système n'aidait pas les gens, mais protégeait le gouvernement. Je ne voulais pas faire partie de cela. Au bout d'un an, je suis donc partie. Quand l'opposant Boris Nemtsov a été tué en 2015, cela a déclenché quelque chose chez moi. Je suis devenue militante, j'ai participé à des manifestations et j'ai rencontré Masha. Nous sommes devenues amies et avons écrit ensemble le livre sur lequel est basée la performance «Riot Days».
Nombreux sont ceux qui réclament des boycotts à l'égard de la Russie, certains aussi à l'égard de l'art russe. Cela a-t-il un sens?
La colère contre la Russie est compréhensible. Je n'écoute plus certaines musiques russes depuis que je connais l'attitude de ces groupes. Mais il n'y a pas de bons ou de mauvais Russes. Il ne s'agit pas pour moi d'une identité nationale, mais j'ai un lien fort avec la culture russe. Je suis née là-bas, mais cela ne me définit pas. Il est bien plus important de stopper le gaz et le pétrole russes que de discuter des visas pour les Russes. Qui veut être dépendant d'un psychopathe et d'un tueur comme Poutine? Il est dangereux et finira par tous vous baiser!
Que peut et doit faire la Suisse?
Confisquer les propriétés des oligarques. Tout ce qu'ils possèdent, ils l'ont volé au peuple russe. C'est pourquoi les banques suisses doivent geler les comptes des oligarques. Ils soutiennent tous Poutine parce qu'il leur donne des privilèges.
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Vous protestez publiquement, beaucoup n'osent pas le faire, qu'est-ce qui est différent dans votre cas?
Masha: Nous ne sommes pas vraiment différentes. En Russie, la censure règne, et depuis le début de la guerre, divers lois supplémentaires ont été ajoutées. Celui qui mentionne le mot guerre peut aller en prison pour cinq à quinze ans. Cela arrive tous les jours et c'est ce que nous montrons dans notre performance avec dix portraits de personnes concernées, mais il y en a des milliers. La protestation existe, mais elle est cachée.
Comment existe-t-elle, par exemple?
Il ne faut pas oublier que pour chaque prisonnier politique, il faut une communauté qui le soutienne. Avec de la nourriture, des vêtements et de l'attention pour survivre derrière les barreaux. Ensuite, il y a des activistes et des volontaires qui aident les Ukrainiens à fuir vers l'Europe car ils n'ont plus de papiers. Cela vaut aussi pour les Ukrainiens qui ont été emmenés en Russie, à commencer par les 7000 enfants que l'on tente de rééduquer.
Selon les sondages, 80% de la population russe soutient la guerre en Ukraine, croyez-vous à ces chiffres?
C'est de la propagande russe, tout cela est faux et relève d'une stratégie très bien financée. Depuis le début de la guerre, le Kremlin dépense cinq fois plus pour cela. Les conséquences de la censure, c'est-à-dire la violence et la prison, impactent logiquement ce que les gens vont dire. Le problème, c'est que depuis la guerre, la Russie encaisse encore plus d'argent pour le pétrole et le gaz. Il faut que cela cesse, sinon cette guerre ne finira jamais. Et je ne pense pas que l'Ukraine soit le seul pays à être en ligne de mire du Kremlin. Il y a les pays baltes, la Géorgie, la Finlande. Tous les pays dont le régime pense qu'ils font partie de l'Union soviétique. Une idée dangereuse et folle.
Vous avez été emprisonnées pour avoir protesté il y a dix ans. Vous vous y attendiez?
Non, nous étions les premières prisonnières politiques de ce genre. Sauf Mikhaïl Khodorkovski, mais c'était un oligarque et il essayait de construire une opposition politique. La prison était totalement inattendue, mais c'est arrivé.
Comment avez-vous vécu ces deux années?
C'est une expérience qui m'a confortée dans l'idée que nous devons nous battre pour nos causes. J'ai vu comment ces prisons fonctionnent de l'intérieur. C'est comme un goulag, une sorte de système d'esclavage légalisé. Les prisonniers travaillent six jours par semaine pendant douze heures et doivent coudre des uniformes de la police et de l'armée. En échange, ils reçoivent un salaire de trois euros par mois, c'est-à-dire rien. C'était dur, psychologiquement et physiquement, mais c'était utile parce que j'ai eu un aperçu de ce système.
Vous avez un fils qui était encore très jeune à l'époque, avez-vous pu le voir?
Il y avait des visites courtes et longues, parfois de trois jours. Mais même avec cela, ce n'était pas facile. J'ai vraiment eu de la chance avec ma famille. Le père de mon fils et ma mère m'ont soutenue. Ce n'est pas évident dans ce système patriarcal. Quand un homme va en prison, c'est sa femme ou sa mère qui s'occupe de lui. Inversement, lorsqu'une femme se retrouve derrière les barreaux, elle est abandonnée dans 85% des cas.
Où trouvez-vous le courage de continuer?
Tout le monde a du courage, certains sont simplement trop paresseux. Mais la Russie n'est pas aussi loin que vous le pensez. C'est pourquoi nous appelons à ne pas rester indifférents. Il y a beaucoup d'argent russe ici qui a été volé au peuple. Rendez-le à l'Ukraine pour reconstruire les villes bombardées, ce n'est que justice.
Les Pussy Riot seront également de passage à Genève le jeudi 25 août à L'Usine, à partir de 20h.
(Adaptation par Lliana Doudot)