Les experts critiquent le nouveau «plan de victoire» de l'Ukraine
«Zelensky s'accroche à des buts de guerre maximalistes»

Cette semaine, Volodymyr Zelensky veut présenter aux Etats-Unis un «plan de victoire» pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Les experts militaires Marcel Berni et Ralph D. Thiele font le point sur cette stratégie et ses chances de succès.
Publié: 24.09.2024 à 09:54 heures
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Dernière mise à jour: 24.09.2024 à 09:59 heures
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Outre la visite de l'usine, Zelensky a un programme chargé: mercredi, il devrait s'exprimer devant l'Assemblée générale des Nations unies.
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Daniel Jung
Volodymyr Zelensky (3e à partir de la droite) est actuellement aux États-Unis pour promouvoir son «plan de la victoire». Dimanche, il a visité une usine de munitions d'artillerie à Scranton, en Pennsylvanie.
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Lors d'une conférence de presse avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen à Kiev la semaine dernière, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a évoqué pour la première fois un «plan de victoire» pour gagner la guerre. Il souhaite notamment organiser un deuxième sommet international pour la paix en novembre.

Ce week-end, Zelensky s'est rendu aux États-Unis pour s'assurer un soutien politique et militaire supplémentaire. «Avec nos partenaires, nous pouvons renforcer notre position comme il se doit pour notre victoire commune — pour une paix vraiment juste», a déclaré l'Ukrainien dans une allocution vidéo. Le «plan de la victoire» peut-il apporter un tournant décisif dans la guerre en Ukraine? Blick fait le point avec des experts.

Pourquoi Zelensky présente-t-il maintenant un plan pour mettre fin à la guerre?

Zelensky est soumis à une forte pression. «Après plus de deux ans et demi de guerre d'usure, la peur de perdre peu à peu le soutien occidental se répand en Ukraine», explique Marcel Berni, expert en stratégie à l'Académie militaire de l'EPF de Zurich. La situation financière incertaine en Europe, la montée des partis populistes et une éventuelle élection de Donald Trump poussent l'Ukraine à agir.

«Les partenaires se lassent, qu'il s'agisse des Européens ou des Américains», explique Ralph D. Thiele, président de la société politico-militaire allemande et président d'EuroDefense Allemagne. Selon lui, aux États-Unis, ce n'est qu'une question de temps avant que le grand soutien ne prenne fin. «Avec Trump, probablement plus rapidement qu'avec Biden ou Harris», estime l'expert.

Pourquoi le «plan de victoire» n'est-il pas encore connu?

Zelensky a gardé les détails pour Joe Biden, Ralph D. Thiele en est convaincu. «Cela n'a pas de sens qu'il annonce le plan partout à l'avance». La rencontre avec Biden est prévue pour ce jeudi.

Est-il possible de poser de nouveaux jalons avant l'élection américaine?

«Biden peut essayer de redorer sa réputation et d'entrer dans les livres d'histoire en tant que soutien de l'Ukraine», déclare Marcel Berni. Pour cela, Biden devrait donner à l'Ukraine l'autorisation d'utiliser militairement des armes occidentales à longue portée sur le territoire russe — ou accorder des garanties de sécurité supplémentaires.

«Zelensky manque de temps», souligne Ralph D. Thiele. Il ne peut pas attendre l'élection présidentielle américaine du 5 novembre. Il espère que Joe Biden prendra des mesures importantes avant. Toutefois, Zelensky sait aussi qu'il devra négocier avec Donald Trump en cas de victoire. Zelensky veut également le rencontrer cette semaine.

Pourquoi Zelensky parle-t-il de «plan de victoire» plutôt que de «plan de paix»?

Jusqu'à présent, Zelensky a toujours évité le thème de l'armistice, souligne Ralph D. Thiele. Avec son «plan de victoire», il cherche désormais une issue. Le mot «plan de victoire» engendre certainement de la motivation: d'une part auprès de l'Ukraine et ses soldats combattants, mais aussi auprès de ses partenaires occidentaux. «La visite à Washington revient à dire que Zelensky essaie une fois de plus d'obtenir plus que ce que l'Occident veut lui donner jusqu'à présent», ajoute Ralph D. Thiele.

Volodymyr Zelensky veut beaucoup, et continue de s'accrocher à des objectifs de guerre ukrainiens maximalistes, estime Marcel Berni. «Pour les atteindre, il a besoin de l'Occident à ses côtés». Par égard pour sa propre population, Zelensky ne pourrait faire miroiter à l'Occident une paix durable qu'avec une victoire ukrainienne.

Que pourrait contenir ce «plan de victoire»?

Zelensky souhaite probablement une carte blanche pour attaquer l'arrière-pays russe avec des armes occidentales, suppose Ralph D. Thiele. Il pourrait en outre tenter d'obtenir une promesse d'adhésion à l'OTAN. Mais l'expert voit ici un énorme potentiel d'escalade: «D'après mes observations, ce serait l'élément déclencheur d'une guerre mondiale».

Jusqu'à présent, Zelensky n'a pas réussi à faire entrer l'Ukraine dans l'OTAN ou dans l'Union européenne (UE). «Par conséquent, il devrait être intéressé par des garanties de sécurité et des prestations de soutien financier alternatives mais concrètes», suppose Marcel Berni. Il devrait également s'agir pour Zelensky de sécuriser l'avancée ukrainienne dans la région de Koursk et d'obtenir l'autorisation d'utiliser des armes occidentales de grande envergure sur le territoire russe.

Zelensky veut attaquer l'arrière-pays de la Russie avec des armes occidentales. Pourquoi est-ce important?

«Les récentes conquêtes russes ont surtout été possibles grâce à l'utilisation de bombes planantes», explique Marcel Berni. Celles-ci seraient larguées depuis l'espace aérien russe sécurisé. «Cette pluie de bombes doit être stoppée par l'Ukraine. C'est pourquoi elle veut mener des attaques contre les champs d'aviation russes, les dépôts d'armes et de carburant, ainsi que les dépôts de munitions». 

Par crainte d'une escalade de violence, les partenaires occidentaux de l'Ukraine étaient jusqu'à présent réticents à accepter de telles attaques stratégiques sur le territoire russe avec des armes occidentales. Mais Marcel Berni estime qu'ils «pourraient toutefois l'autoriser».

Ralph D. Thiele voit cela d'un œil critique: «Zelensky veut gagner la guerre en tentant de démotiver les élites russes et en leur faisant comprendre que Poutine n'est plus le dirigeant dont la Russie a besoin». Selon lui, le président ukrainien veut affaiblir l'économie russe en s'attaquant par exemple à la production de gaz dans l'arrière-pays. «Et c'est précisément ce que l'Occident ne veut pas, notamment Joe Biden et Olaf Scholz, parce qu'ils disent qu'il y a là un risque d'escalade sérieuse».

Dans quelle mesure le «plan de la victoire» est-il réaliste?

Ralph D. Thiele ne voit pas de chances de succès. «La démarche de Zelensky est absurde, je dirais.» Selon lui, il est peu probable que les Américains «aplatissent» les Russes car ils «suivent leurs propres intérêts». Une confrontation plus directe avec la Russie n'en fait pas partie.

Marcel Berni est plus optimiste sur ce point: «Cela dépendra en grande partie de la mesure dans laquelle Biden se sentira encore redevable envers l'Ukraine et de qui remportera l'élection présidentielle américaine». Selon l'expert, la clé d'une victoire ukrainienne ne se trouve pas seulement à Moscou, mais aussi à Washington.

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