Leur mission prioritaire est de ne pas exister. Ils sont les diplomates de l’impossible et de l’impensable. Alors que la riposte militaire israélienne dans la bande de Gaza bat son plein, au prix d’une tragédie humanitaire palestinienne, tous les pays arabes ont pris leurs distances avec l’État hébreu. La Turquie et l’Arabie saoudite, qui étaient sur le point de normaliser leurs relations avec Israël, ont fait volte-face. Le roi de Jordanie, sans remettre en cause la paix avec son voisin, a pris fait et cause pour les Palestiniens parqués de façon inhumaine dans un territoire assiégé.
Mais malgré cela, les discussions ont secrètement repris entre les pays arabes, en vue d’un possible plan de paix ultérieur. L'idée d'un futur protectorat international sur la bande de Gaza, sous la responsabilité du Qatar, est l'une des pistes sur la table, évoquée en marge du Forum de Paris sur la paix auquel participe Alain Berset ce vendredi 10 novembre. Une source européenne de haut niveau l’a confirmé à Paris, en marge de la conférence humanitaire sur Gaza organisée par Emmanuel Macron.
Réactiver la solution à deux États
Ces pourparlers secrets visent, selon cette source, à réactiver la solution à deux États qui avait été cartographiée en 2003, dans ses moindres détails, par l’Initiative de Genève. Récemment, l’ancienne Conseillère fédérale suisse Micheline Calmy-Rey a jugé «utopique» cette voie, pourtant citée comme la seule solution possible par Joe Biden, ou par les dirigeants européens.
Qui a raison? Les pays arabes ont en tout cas compris qu’il leur faut disposer d’un plan pour le jour d’après, lorsque les combats cesseront à Gaza, au-delà d’une trêve humanitaire que, pour l’heure, les Israéliens refusent toujours d’accorder aux Nations unies. Le ministre italien des Affaires étrangères Antonio Tajani a laissé entendre à Paris que le déploiement futur de «Casques bleus» pourrait être envisagé. C’est toutefois peu probable. L'idée alternative serait celle d'une mise sous tutelle arabe de l'enclave palestinienne, avec le soutien des Occidentaux et l'accord d'Israël. Le Qatar, qui finançait l'administration de Gaza (et donc le Hamas) avec l'accord d'Israël avant l'assaut du 7 octobre, serait le mieux placé pour en prendre la tête. «Le modèle pourrait être celui du Kosovo que l'on avait placé au sortir de la guerre sous tutelle conjointe de l'ONU, de l'OTAN et de l'Union européenne» explique l'ancien ambassadeur Français Jean-Maurice Ripert, auteur de «Diplomatie de combats» (Ed. Perrin)
La priorité des pays arabes, parmi lesquels le Qatar, l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis est, selon ces sources européennes, «d’être prêts au renforcement de l’Autorité palestinienne aujourd’hui en déshérence». «Des négociations ont lieu pour en refaire un acteur légitime et crédible. Ce qui impliquera d’envisager des élections, poursuivent nos interlocuteurs. Israël n’a pas vocation à gouverner la bande de Gaza post-conflit.»
Délimitations territoriales
Selon nos informations, des équipes de négociateurs arabes ont recommencé ces jours à regarder de près la question des délimitations des territoires palestiniens. Des experts européens les aident.
«Nous avons la confiance de quelques acteurs clefs. Il n’y a pour l’heure, malgré les déclarations officielles, guère d’intérêt américain pour la solution à deux États, mais cela peut changer. Nous avons réussi à nous mettre dans le jeu. L'Union européenne intervient comme une force modératrice», expliquent nos interlocuteurs.
Chaos et douleur
Ces diplomates de l’impossible, chargés d’envisager l’avenir dans le chaos et la douleur du présent, sont une poignée. L’Égypte y attache une importance cruciale. Les Européens, qui ont répété à Paris leur détermination de mettre en place un couloir humanitaire maritime en face de Gaza, mettent en avant le rôle de Chypre comme base arrière. «Il faut d’urgence ressortir les cartes utilisées en 2003 à Genève» reconnaît un diplomate européen, familier du Proche-Orient et présent au Forum de la paix à Paris ce vendredi 10 novembre. A bon entendeur…