Kim Jong Un (41) est-il à la manœuvre? Le dictateur communiste de la Corée du Nord, allié de Vladimir Poutine dans la guerre en Ukraine, est-il en train de déstabiliser la Corée du Sud, comme l’affirment les partisans du président arrêté cette nuit à Séoul, Yoon Suk-yeol (65)? Faut-il voir dans l’interpellation du Chef de l’Etat par la police, en pleine nuit, une bonne nouvelle pour la démocratie ou, au contraire, une preuve de la fragilité de la 13e puissance économique mondiale, alliée essentielle des pays occidentaux face à la Chine voisine? Rappel des faits et explications.
Le président sud-coréen face aux juges
Cette interpellation découle d'une obligation légale et démocratique après la tentative du président Yoon Suk-yeol, élu le 9 mars 2022, de s’arroger les pleins pouvoirs via l’instauration de la loi martiale, le 3 décembre. Ce jour-là, les forces armées sud-coréennes avaient reçu l’ordre d'encercler le Parlement et de tirer, si besoin.
Motif invoqué par le Chef de l’Etat, un ancien procureur conservateur élu en mars 2022? Une tentative présumée de déstabilisation du pays par les forces pro «Corée du Nord» et «anti-étatiques». Résultat? Des dizaines de milliers d’habitants de Séoul sont descendus en pleine nuit dans les rues pour empêcher ce coup de force.
La loi martiale a été abandonnée. La vie parlementaire a repris ses droits. Et un mandat d’arrêt a été lancé contre le Chef de l’Etat par le Bureau d’enquête sur la corruption des hauts fonctionnaires (CIO). C’est ce mandat – dont le président conteste la légalité – qui vient d’être exécuté, après une première tentative d’arrestation avortée le 3 janvier.
La Corée du Sud est démocratique
Si l’instauration de la loi martiale avait été mise en place, la Corée du Sud se serait retrouvée dans les mains d’un président certes élu au suffrage universel en 2022 (avec 48,56% des suffrages), mais bien décidé à supprimer tous les contre-pouvoirs. Or, ce pays est un acteur international majeur, dans une péninsule explosive, depuis la fin de la guerre de Corée en 1953.
Il faut rappeler que la Corée du Sud, où les Etats-Unis disposent de bases et d’une présence militaire permanente d’environ 35'000 soldats, n’a jamais signé d’accord de paix avec la Corée du Nord communiste, aujourd’hui engagée militairement aux côtés de Vladimir Poutine. Voir un pays comme la Corée du Sud, avec des géants industriels comme Samsung ou Hyundai, rebasculer dans la dictature (qu’elle a connue entre 1953 et 1988) aurait donc eu un effet déterminant dans cette région essentielle qu’est l’Asie orientale.
Kim Jong Un en embuscade
Héritier d’une dynastie familiale au pouvoir depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le dictateur nord-coréen répète sans cesse que son armée peut «anéantir» Séoul, la capitale de la Corée du Sud, située à une cinquantaine de kilomètres de la frontière et de la zone démilitarisée qui coupe la péninsule en deux, sous la surveillance d’une délégation de pays neutres, dont la Suisse. La Corée du Sud a aussi accusé son voisin nord-coréen d’opérer un satellite militaire espion, destiné à obtenir des données stratégiques en cas de conflit. On ne compte plus les tentatives d’infiltrations militaires, les provocations ou les tirs de missiles nord-coréens dans la mer de Corée. Kim Jong-un s’est enfin distingué en commanditant des lâchers de sacs d’immondices et de défections, transportés par ballons, sur la Corée du Sud. Dans le cas du président Yoon Suk-yeol en revanche, la référence à la Corée du Nord est une instrumentalisation politique. Ce dernier est depuis plusieurs mois accusé de corruption. Accuser la Corée du Nord est donc bien commode.
L’analogie avec Donald Trump
Les partisans du Président interpellé Yoon Suk-yeol font sans cesse référence à Donald Trump, arguant du fait que le mandat d’arrêt délivré contre le Chef de l’État par la justice sud-coréenne n’est pas valide. Il s’agirait donc d’une tentative de putsch judiciaire. Or cela est faux. C’est le président qui, en déclarant la loi martiale, a voulu mettre au pas le Parlement. Et c’est encore lui qui, en résistant au mandat d’arrêt, a voulu faire échec à l’État de droit dans son pays. Ironie politique: Donald Trump, dont la photo est brandie par les ultra-conservateurs, s’était distingué durant son premier mandat par une tentative de rapprochement avec la Corée du Nord. Il avait d’abord rencontré Kim Jong-un à Singapour, en décembre 2018, puis il avait foulé le sol nord-coréen à Panmunjon, dans la zone démilitarisée qui sépare les deux Corées, en juin 2019. Résultat six ans plus tard: Pyongyang est l’allié le plus fidèle de Moscou.
Risque de guerre réel?
Il est difficile de savoir, à ce stade, quelles auraient été les premières mesures prises par Yoon Suk-yeol s’il avait réussi à imposer la loi martiale? Aurait-il mobilisé l’armée sud-coréenne à la frontière ? Aurait-il accusé le régime communiste de Pyongyang, exhumant de vraies ou de fausses preuves sur ses interférences ? Il est probable qu’une montée des tensions dans la péninsule en aurait en tout cas résulté. Il faut aussi noter que la tentative avortée du président sud-coréen est intervenue pile au moment où les premiers régimes de soldats nord-coréens débarquaient en Russie, pour combattre contre l’armée ukrainienne. Récemment, des combattants nord-coréens ont été capturés. Ils ont aussitôt été pris en charge par des traducteurs des services de renseignement du sud. La perspective de voir la Corée du Nord être dotée d’unités formées au combat et endurcies par le conflit augmente en tout cas les inquiétudes de l’autre côté de la frontière.