Le gouverneur de Lougansk
«Face aux Russes, je reste, quoi qu'il arrive»

Serguiï Gaïdaï mène une vie dangereuse. Il est le chef du gouvernement de Lougansk, une région située dans l'est de l'Ukraine, en première ligne en cas d'invasion russe. Pour Blick, il évoque la situation actuelle, hautement tendue, et ce qu'il aimerait dire à Poutine.
Publié: 09.02.2022 à 06:24 heures
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Dernière mise à jour: 08.05.2022 à 12:38 heures
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Serguiï Gaïdaï(à gauche) a été nommé à la tête de l'oblast de Lougansk en 2019 par le président Volodimir Zelenski (à droite).
Photo: DR
Interview: Guido Felder

L’Ukraine ne connaît pas de répit. En 2014, la Russie annexait la péninsule de Crimée et se positionnait derrière des séparatistes voulant prendre le contrôle de territoires dans le Donbass, à l’est du pays. Aujourd’hui, le président russe Vladimir Poutine a déployé plus de 110’000 soldats sur sa frontière proche de l’Ukraine. La menace d’une invasion plane si le pays se tourne vers l’UE ou l’OTAN.

Les zones occupées — et les plus menacées — dans le Donbass sont les deux régions administratives de Lougansk et de Donetsk. Blick s’est entretenu avec Serguiï Gaïdaï, gouverneur (sans parti) de l’oblast de Lougansk, via Skype et avec une traductrice. Il évoque la menace qui pèse sur lui et la manière dont il se prépare à une éventuelle invasion.

Serguiï Gaïdaï

Serguiï Gaïdaï, 46 ans, est depuis 2019 à la tête de l'administration régionale de l'État de Lougansk — ou oblast de Lougansk. Cela correspond au poste de gouverneur ou de chef de gouvernement local.

Le président Volodimir Zelenski a nommé Serguiï Gaïdaï parce qu'il n'était «pas satisfait du rythme» de son prédécesseur.

L'Ukraine est divisée en 24 oblasts.

Serguiï Gaïdaï, 46 ans, est depuis 2019 à la tête de l'administration régionale de l'État de Lougansk — ou oblast de Lougansk. Cela correspond au poste de gouverneur ou de chef de gouvernement local.

Le président Volodimir Zelenski a nommé Serguiï Gaïdaï parce qu'il n'était «pas satisfait du rythme» de son prédécesseur.

L'Ukraine est divisée en 24 oblasts.

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La ville de Lougansk (dans la région du même nom) est située à quelques kilomètres de la frontière avec la Russie.

Certaines parties de l’est de l’Ukraine sont occupées par les Russes depuis 2014. Comment la vie a-t-elle changé chez vous depuis lors?
Serguiï Gaïdaï:
L’agression russe a détruit nos infrastructures. L’aéroport et le chemin de fer ne fonctionnent plus, il y a des problèmes d’approvisionnement en eau.

Comment la présence russe ou pro-russe se manifeste-t-elle dans la rue? Faut-il avoir peur quand on sort de chez soi?
Pas ici, dans la ville de Lougansk. Mais dans les zones occupées par les Russes dans le reste de l’oblast, oui. Ils m’arrêteraient immédiatement, bien que ce soit mon propre pays.

Est-ce que les tirs continuent?
Oui, il n’y a aucune trace de trêve. Lorsque des négociations sont prévues, les Russes tentent particulièrement de provoquer une escalade en multipliant les agressions.

Êtes-vous soutenus par Kiev?
Oui, beaucoup plus qu’avant: nous étions négligés. Le président Zelenski, en fonction depuis 2019, nous a rendu visite 21 fois. Grâce à son programme, nous rénovons des maisons, des écoles, des jardins d’enfants, des établissements de santé et des centres sportifs. Nous construisons une nouvelle ligne de chemin de fer et de trolleybus.

Combien de Russes vivent désormais dans le Donbass?
Le chiffre varie. Ce qui est sûr, c’est que les soldats russes viennent, tirent sur notre peuple et repartent au bout de deux semaines pour laisser la place à d’autres.

Quelle partie du territoire est-elle occupée par les Russes?
Environ 30% de l’oblast de Lougansk.

Poutine dément avoir l’intention d’envahir l’Ukraine. Que vous inspirent ses déclarations?
Poutine a toujours parlé de partenariat avec notre pays, puis a annexé la Crimée et occupé le Donbass. Comment peut-on faire confiance à un tel personnage?

Vous attendez-vous à une invasion?
Oui. Et nous sommes prêts. Une partie de l’armée ukrainienne est ici et initie la population au maniement des armes. Des milliers de volontaires les ont rejoint.

Combien de soldats ukrainiens sont présents dans le Donbass?
Je ne peux pas vous le dire, c’est secret. Mais nous disposons de suffisamment d’hommes pour pouvoir défendre la région et le pays. Contrairement à 2014, notre armée s’est extrêmement modernisée.

Quel serait l’élément déclencheur d’une invasion?
Je soupçonne un déclenchement par une provocation dont on rendrait l’Ukraine responsable et qui donnerait une raison d’attaquer.

Où les Russes vont-ils pénétrer? Quels sont les scénarios auxquels vous vous attendez?
Il y a plusieurs possibilités. Ils pourraient pénétrer via notre oblast voisin, celui de Kharkiv, ou bien franchir la frontière depuis la Biélorussie. Ils pourraient aussi attaquer la ville de Marioupol par voie maritime. Une attaque depuis la Crimée est également une possibilité. La péninsule a un besoin urgent d’eau.

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L’ex-champion du monde de boxe Vladimir Klitschko a déclaré qu’il prendrait lui-même les armes et monterait au front. Seriez-vous prêt à le faire?
Dans un conflit, chacun a son rôle à jouer. Dans ma fonction, je suis en contact permanent avec le ministère de la Défense à Kiev et je m’occupe de la protection de la population et des biens.

Depuis l’occupation russe, de nombreux Ukrainiens ont fui l’Est vers l’Ouest. Que faudrait-il pour que vous quittiez vous aussi Lougansk?
Je reste, quoi qu’il arrive.

Que diriez-vous à Poutine si vous le rencontriez?
Deux choses. Après l’indépendance de 1991, les Ukrainiens ne se sentaient pas encore une nation. Depuis 2014, nous le sommes. Le conflit nous a soudés. Et que c’est uniquement grâce à lui que la paix est enfin revenue.

(Adaptation par Alexandre Cudré)

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