Comment l'un des hommes les plus puissants de la planète est-il parvenu à prendre tout le monde à contre-pied? Jusqu'à la veille de ce fameux 24 février 2022, nombreux étaient ceux qui ne voulaient pas croire au scénario de l'invasion russe de l'Ukraine. Et ce en dépit d'avertissements répétés venus du renseignement américain.
C'est le cas du Fribourgeois Yves Rossier, ancien ambassadeur de Suisse en Russie. Le 20 février 2022, il accordait encore une interview à Blick et se montrait irrité: «Que la presse anglo-saxonne peigne le diable sur la muraille, ça m'agace!»
Le diplomate était invité à réagir sur des informations de l'hebdomadaire américain «Newsweek» et du journal britannique «The Daily Telegraph». Deux journaux qui, aux yeux d'Yves Rossier, agissaient comme une «secte qui ne cesse d'annoncer la fin du monde».
Mauvais timing du Conseil fédéral
De l'autre côté du Rhin, l'ancienne cheffe de la gauche allemande, Sahra Wagenknecht, n'a cessé de défendre Vladimir Poutine jusqu'à l'invasion. «Non, ce n'est pas un nationaliste russe fou qui a le rêve d'étendre les frontières de son pays», affirmait-elle avec assurance.
Une déclaration qui paraît bien mal avisée un an plus tard, mais qui reflète la position suisse. Le Conseil fédéral avait lui aussi mal évalué la menace — ou ne voulait pas que sa politique économique soit mise en danger par des bruits de botte.
En janvier 2022 encore, soit six semaines avant l'invasion et alors que l'armée russe était déjà déployée en Biélorussie, Berne renforçait ses liens économiques avec Moscou. La Suisse décidait via une déclaration d'intention de collaborer plus étroitement avec la Russie dans le domaine de l'économie agricole.
Le téléphone inutile de Macron
Il faut dire que le Kremlin a, jusqu'au bout, nié tout projet d'invasion. Vladimir Poutine le déclarait encore une semaine avant son ordre de guerre: «Nous sommes prêts à emprunter la voie des négociations.» Et à Washington, Anatoli Antonov, ambassadeur russe aux États-Unis, rassurait: «Il n'y a pas d'invasion, et il n'y a pas non plus de tels projets.»
Emmanuel Macron a tout tenté pour éviter ce scénario sanglant. Quatre jours avant le 24 février, le président français s'entretenait avec Vladimir Poutine au téléphone. Un échange intensif à l'issue duquel l'Élysée assurait que le président américain, Joe Biden, s'était mis d'accord avec son homologue russe sur le principe de la tenue d'un sommet. «Les ministres des Affaires étrangères américain et russe doivent s'entretenir à ce sujet jeudi», communiquait alors le pouvoir français.
Cette rencontre n'a jamais eu lieu. Lorsque Vladimir Poutine a reconnu et proclamé l'indépendance des régions ukrainiennes de Donetsk et de Lougansk le soir du 21 février, même les plus sceptiques savaient que cela devait constituer le prétexte d'une guerre et qu'une invasion était clairement imminente.
Yves Rossier reconnaît son erreur
Les Américains et les Britanniques en particulier, avec leurs services secrets bien informés, avaient déjà mis en garde contre cette éventualité depuis des semaines. Ainsi, six jours avant le début de la guerre, le président américain, Joe Biden, avait déclaré avec insistance que Poutine allait attaquer «dans les prochains jours». Les Russes ne se contenteraient en aucun cas de l'Ukraine orientale, expliquait le président américain: «Nous pensons qu'ils vont attaquer la capitale ukrainienne, Kiev, une ville de 2,8 millions d'habitants innocents.»
Le Premier ministre britannique de l'époque, Boris Johnson, s'attendait également au pire, trois jours avant l'invasion. Dans une interview à la BBC, il assurait: «Je dois malheureusement dire que le plan que nous voyons est, en termes d'ampleur, quelque chose qui pourrait vraiment être la plus grande guerre en Europe depuis 1945». Il craignait que la Russie ne mette en scène un incident afin d'encercler Kiev dans un mouvement de tenailles.
Tant Joe Biden que Boris Johnson avaient raison. Le jeudi 24 février, à 4h du matin (heure suisse), Poutine sonnait l'attaque contre l'Ukraine. Ceux qui avaient douté de l'invasion ont dû faire acte de contrition. Yves Rossier n'a pas attendu longtemps avant de reconnaître son erreur. «Il me semblait qu'une action limitée était envisageable. Mais ce qui se passe actuellement en Ukraine? Pas du tout.»