Alors que le monde retient toujours son souffle face à la guerre en Ukraine, un autre conflit couve peut-être sur le Vieux Continent… La semaine dernière, le président turc Recep Tayyip Erdogan a une fois de plus accusé la Grèce d’armer une série d’îles dans la mer Égée, en violation du droit international. Pour le chef d’État, Athènes devrait éviter «des rêves, des déclarations et des actions qu’elle regretterait». De telles actions pourraient avoir des «conséquences catastrophiques». Et au chef d'État d’ajouter: «Je ne plaisante pas».
En Grèce, cette annonce a été perçue en partie comme une menace de guerre, mais le gouvernement exhorte à garder le calme. Car, comme l’explique Maurus Reinkowski à Blick, expert de la Turquie et professeur d’islamologie à l’université de Bâle, ces bruits de sabre turcs ne sont pas vraiment nouveaux. «Ces confrontations nous accompagnent déjà depuis des décennies», recontextualise le spécialiste.
Le conflit peut-il s’embraser?
Mais les menaces adressées à la Grèce sont aussi des signaux à l’Union européenne (UE) et à l’OTAN, même si les deux pays sont membres de l’alliance militaire depuis 1952, rappelle l’académicien. Il s’agirait tout de même d’un avertissement de la Turquie: «Cela fait longtemps que nous ne sommes plus un pays docile, et nous défendrons nos intérêts sans tenir compte de ces liens.»
En mai, Erdogan a signalé qu’il n’était plus disposé à rencontrer le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, assénant: «Mitsotakis n’existe plus pour moi.»
La situation semble s’envenimer. Les îles de la mer Égée pourraient-elles être le centre névralgique d’un nouveau conflit? «Il ne faut jamais dire jamais, estime Maurus Reinkowski. Néanmoins, je continue de penser qu’une attaque directe de la Turquie sur la Grèce est improbable.» Un scénario conflictuel semble difficilement envisageable, mais si une guerre devait bel et bien éclater «la Turquie pourrait essayer d’occuper des îles centrales situées directement au large des côtes turques», prédit l'islamologue.
Des revendications territoriales qui fâchent
Depuis près d’un siècle, les frontières entre la Grèce et la Turquie se sont consolidées et durcies. Depuis près d’un siècle également, le pays de Recep Tayyip Erdogan ne supporte pas que l’archipel du Dodécanèse, qui comprend également Rhodes et les îles de Lesbos, Samos et Kos, soit un territoire grec, alors qu’il se trouve directement au large de la Turquie continentale. C'est l'une des raisons principales qui pousse la Turquie à formuler des revendications territoriales controversées.
Pour l’expert, une telle rhétorique n’est pas sans rappeler celle qui a mené la Russie à envahir l’Ukraine le 24 février dernier. De plus, les revendications historiques des deux pays se ressemblent: «Poutine estime que l’Ukraine appartient à la Russie. Et il y a une longue tradition en Turquie de considérer que les îles les plus à l’est de la mer Égée appartiennent en fait à la Turquie», compare Maurus Reinkowski.
«Le monde est plus instable»
«Le monde est devenu globalement plus instable, poursuit l’islamologue. Nous devons nous préparer à une multitude de foyers de conflits», ose-t-il projeter.
Selon l’expert, la cause serait à chercher dans un ensemble de facteur comme le retrait partiel des États-Unis du Proche-Orient – qui fait suite à «l’erreur épouvantable» qu’est l’invasion de l’Irak en 2003 – la «faiblesse de la politique intérieure des États-Unis», ou encore les prétentions hégémoniques de la Chine dans la région de l’Asie de l’Est et de l’Asie du Sud-Est. La position qu’occupe actuellement l’Occident sur la scène géopolitique mondiale risque ainsi d’être de plus en plus contestée.
(Adaptation par Daniella Gorbunova)