La crise des réfugiés aussi à la campagne
Des demandeurs d'asile désespérés jusqu'au fin fond de la Thurgovie

L'année dernière, 100'000 personnes ont trouvé refuge en Suisse. Les requérants d'asile ne font pas seulement partie du paysage des villes. Le village de Steckborn, en Thurgovie, en est le parfait exemple. Reportage.
Publié: 14.02.2023 à 21:46 heures
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Rohat Cubuk, 24 ans, vit depuis trois semaines avec sa femme et ses deux enfants dans le centre d'hébergement pour requérants d'asile de Steckborn. Sur la photo, il pose avec son fils de onze mois.
Photo: STEFAN BOHRER
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Nicolas Lurati et Stefan Bohrer

Dans la campagne thurgovienne, la petite commune de Steckborn, 3800 habitants, est devenue malgré elle un exemple de la crise des réfugiés qui frappe actuellement la Suisse. Ce village pittoresque est situé au bord de l’Untersee. Il abrite un centre fédéral d’asile (CFA) qui accueille à ce jour 130 personnes.

Daniel Vuilleumier, 63 ans, assiste de près au nouveau paysage communal. Ce médecin généraliste tient un cabinet de l’autre côté de la rue. «L’hébergement qui y est proposé est correct pour que quelqu’un y reste 48 heures. Mais pas pour des semaines ou des mois», constate-t-il.

Une crise sans précédent

La Suisse est confrontée à la plus grande crise de réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale. Interrogé par Blick, Reto Kormann, du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), explique qu’en hiver les demandes d’asile sont normalement en nette diminution, «mais pas cette année».

Sur l’ensemble de l’année 2022, 24’511 nouvelles demandes d’asile ont été déposées en Suisse. Cela correspond à une augmentation de 64,2% par rapport à l’année précédente, comme le montrent les statistiques publiées lundi par la Confédération. À cela s’ajoutent 74’959 demandes de statut de protection S déposées par des personnes en provenance d’Ukraine. Ce sont près de 100’000 personnes qui ont cherché refuge en Suisse l’an dernier.

La crise des réfugiés est visible dans la vie de tous les jours dans notre pas. L’été dernier, la langue ukrainienne s’est soudainement répandue dans les villes. Et dans les lieux de fort passage, comme les gares, les demandeurs d’asile de divers pays sont omniprésents.

Ennui, alcool et arrestations

À Steckborn, Daniel Vuillemier témoigne de la dégradation de la situation dans le centre d’asile. Selon lui, l’ennui provoque de fortes tensions entre les pensionnaires. «Si on y ajoute de l’alcool, les conflits sont inévitables.» Les chiffres de la police cantonale thurgovienne le prouvent. Depuis le 11 décembre 2022, il y a eu quatorze interventions policières pour des requérants à Steckborn.

Le médecin de famille se souvient de l’un de ces cas: «C’était en janvier. Après 22 heures. Deux Nord-Africains du centre d’hébergement faisaient du bruit dehors. Ils étaient complètement ivres. L’un d’eux est tombé par terre, raconte-t-il. L’autre a foncé tête baissée dans le mur. L’ambulance a ensuite dû l’emmener à l’hôpital. La police était également présente», raconte Daniel Vuillemier, alors qu’au même moment une famille du centre passe avec une poussette.

Le père s’appelle Rohat Cubuk. Il est kurde de Turquie et n’a que 24 ans. «Depuis trois semaines, je suis dans le centre d’hébergement avec ma femme et mes enfants», explique-t-il. Sa fille a deux ans, son fils onze mois.

«La situation dans le centre est inhumaine»

Il est en colère et désespéré: «Le logement est surpeuplé. La situation est inhumaine.» Leurs perspectives ne sont pas roses: «Nous ne pouvons qu’attendre, lance le jeune père. Nous avons deux options: rester ici ou retourner dans notre pays d’origine.»

Alain Toussaint Arakaza, 35 ans, qui vit avec sa famille dans le logement, se plaint aussi. «Il n’y a pas de fenêtre là-bas.» Originaire du Burundi, il est triste d’être séparé la nuit de sa femme enceinte et de son fils de cinq ans. «Mon fils me demande pourquoi nous ne sommes pas ensemble. Il n’y a rien à faire dans le centre d’asile. Soit on dort, soit on mange, raconte-t-il. Seulement manger, dormir, manger, dormir. Ça te détruit psychiquement.»

Le porte-parole du SEM, Reto Kormann, rétorque que les demandeurs d’asile ont le droit de se déplacer librement pendant la journée. «Ils peuvent quitter le centre d’hébergement entre 9 et 17 heures aussi souvent et longtemps qu’ils le souhaitent.»

Pour cela, les personnes du centre d’hébergement disposent depuis peu «d’une salle de séjour extérieure, en surface, cinq jours par semaine durant la journée», poursuit le porte-parole. Et «depuis la semaine dernière, ils peuvent participer au maintien de la propreté de l’espace public et utiliser une salle de gym tous les mardis.»

Le SEM estime faire tout son possible pour améliorer la situation des réfugiés en cette période de crise historique. Leur porte-parole souligne en plus qu’à aucun moment le centre d’hébergement de Steckborn n’a été surpeuplé. La capacité maximale serait de 270 places, 140 de plus que le taux d’occupation actuel.

La peur d’un habitant

Blick rencontre un groupe de ces demandeurs d’asile de Steckborn près de l’école. Des Africains occupent le pavillon sur la pelouse. Ils sont presque tous originaires du Burundi. À Steckborn, ils profitent du soleil, écoutent de la musique, dansent et rient.

Un groupe de requérants d'asile danse et écoute de la musique dans le pavillon situé sur la pelouse près du lac de Steckborn.

Hans Schmid, 69 ans, un habitant de la région, ne les apprécie guère. Il se sent entravé dans sa liberté. «Ma petite fille ne peut plus jouer où elle veut. Elle aime jouer dans le pavillon. Mais maintenant, nous sommes ici sur la petite aire de jeux, parce que des étrangers sont dans le pavillon.»

En revanche, Ursula Meili, 84 ans, qui habite à proximité du centre, ne partage pas ce ressenti. Les requérants d’asile ne la dérangent pas: «Quand je les rencontre, je les salue et ils me saluent en retour. Ils sont amicaux avec moi. Pour moi, ils font partie du paysage de la rue de Steckborn.» Leur situation lui pèse toutefois: «Les gens que je vois dans la rue et qui n’ont rien à faire me font de la peine.»

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