Sam Bankman-Fried, aujourd'hui détenu aux Bahamas, était devenu ces dernières années l'un des plus gros contributeurs déclarés du parti démocrate, et clame avoir également financé, dans la même proportion mais de manière occulte, le camp républicain.
L'affaire est remontée jusqu'au président américain Joe Biden, qui a bénéficié de plus de 5 millions de dollars de dons de l'homme d'affaires pour sa campagne victorieuse de 2020. Interrogée à ce sujet mardi, sa porte-parole Karine Jean-Pierre a botté en touche: «Je suis limitée dans ce que je peux dire», a-t-elle déclaré, invoquant une loi qui lui interdit de faire des commentaires ayant trait à des élections ou des campagnes.
Des dons pour peser sur la vie politique
Ancien patron de FTX, une plate-forme d'échanges de cryptomonnaies désormais en dépôt de bilan, Samuel Bankman-Fried a été inculpé mardi par la justice américaine. Elle affirme qu'il a détourné l'argent de ses clients pour mener des opérations spéculatives risquées mais aussi pour peser, de manière frauduleuse, sur la vie politique.
Il a «versé des millions de contributions via sa société Alameda à des candidats et des comités politiques en prévision des élections de 2022», ce qui n'a rien d'illégal aux Etats-Unis. Sauf qu'il l'a fait en cherchant à «échapper aux plafonds et aux obligations de transparence», lit-on dans le communiqué publié mardi par le procureur new-yorkais en charge de l'affaire, Damian Williams. Le magistrat a affirmé, lors d'une conférence de presse, que le trentenaire faisait en sorte que les dons apparaissent comme émanant de riches complices.
«Tout cet argent sale a été utilisé pour tenter d'acheter de l'influence au sein des partis démocrate et républicain, et tenter de peser sur les décisions politiques à Washington», a asséné le procureur.
Sur le site de la Commission fédérale des élections, qui recense les dons, la recherche de ceux faits par Sam Bankman-Fried donne 213 résultats depuis 2020, dont une somme de 5 millions de dollars versée en septembre 2020 à un comité de soutien à Joe Biden, puis un don de 50'000 dollars en octobre au «Biden Victory Fund».
«J'ai donné le même montant aux deux partis»
La grande majorité des versements déclarés sur ce site sont allés à des structures ou des candidats démocrates. Mais l'homme d'affaires, qui a multiplié les interviews et déclarations fracassantes alors que sa société prenait l'eau, a assuré, dans un entretien en novembre avec une spécialiste des cryptomonnaies, Tiffany Fong, qu'il avait «donné le même montant aux deux partis». «Toutes mes contributions aux républicains étaient occultes», a-t-il précisé, «parce que les journalistes perdent la boule quand on donne aux républicains. Ils sont tous super à gauche».
L'heure est à solder les comptes pour certains bénéficiaires. L'argent versé par Samuel Bankman-Fried, même légalement, semble bien toxique. Kirsten Gillibrand, sénatrice démocrate de New York, a fait savoir au New York Post qu'elle faisait don des sommes reçues à une association oeuvrant auprès de populations défavorisées. Le journal fait état de décisions similaires de cinq autres parlementaires – quatre démocrates et un républicain.
L'association Open Secrets, spécialisée dans le décryptage des financements politiques, a calculé qu'avec près de 39,2 millions de dollars déclarés, la vedette déchue des cryptomonnaies s'était classée au 6ème rang des plus généreux donateurs pour les «midterms», les élections de mi-mandat ayant eu lieu en novembre. Si l'on ne prend en compte que les donateurs du parti démocrate, il arrive en deuxième position derrière George Soros, qui a déversé plus de 128 millions de dollars via divers canaux en faveur du parti de Joe Biden.
Un mécanisme courant
Le financement politique aux Etats-Unis est une affaire complexe, brassant des milliards de dollars. La régulation est plus ou moins contraignante selon que les dons vont aux candidats, ou aux «PAC» et «Super PAC». Ces «comités d'action politique» sont en réalité des sortes de fonds d'investissement jouant un rôle essentiel, bien que parfois souterrain, dans les campagnes.
Investisseurs, patrons, lobbies économiques mais aussi associations oeuvrant pour telle ou telle cause de société espèrent, via leurs dons, peser sur le Congrès, le gouvernement, la Maison Blanche.
Dans le cas de «SBF», comme il est surnommé, le sujet politique le plus brûlant était certainement la régulation, encore balbutiante, du marché à haut risque des cryptomonnaies.
(ATS)