Douze pays signataires. Un traité. Une communauté européenne qui n’est plus seulement économique. Une monnaie unique. Et l’ambition d’aboutir à un espace de libre circulation pour les citoyens de ces États. Ce résumé extrême donne une idée de ce qui a déraillé depuis le Traité de Maastricht, que les électeurs français approuvèrent de justesse à 51,04% des suffrages le 20 septembre 1992.
Il y a trente ans, deux hommes symbolisaient ce duel autour de l’avenir de l’intégration communautaire. Du côté de Maastricht et de la création future de l’euro: le président de la république, François Mitterrand. Dans le camp opposé, arc-bouté sur l’idée de souveraineté géographique et monétaire: Philippe Séguin, ténor de la droite gaulliste. Mitterrand, gravement malade, l’emporta à l’issue d’un débat télévisé difficile. Mais beaucoup d’Européens, dans l’Union à 27, donnent aujourd’hui raison à Philippe Séguin, décédé le 7 janvier 2010.
Le traité intervient après la dislocation de l’ex-URSS
Maastricht est une ville des Pays-Bas, célèbre pour sa Biennale d’art annuelle. Mais ce qui reste du traité qui porte son nom dépasse de loin les frontières néerlandaises. Lorsque le Traité de Maastricht est signé, le 7 février 1992, le mur de Berlin vient tout juste de tomber, en novembre 1989. L’ex-URSS s’est disloquée un an plus tôt. L'Allemagne cicatrise sa réunification. Il s’agit alors, pour l’Europe occidentale et les pays de la Communauté économique européenne, d’imaginer l’avenir.
Ces pays sont au nombre de douze, soit le double des pays fondateurs, signataires du Traité de Rome en 1957. Le tandem franco-allemand mène la barque européenne sans être contesté. L’Italie, contrôlée par la démocratie chrétienne, est fermement arrimée à l’idée européenne. La Suisse semble être aux portes de cet ensemble, jusqu’au référendum du 6 décembre 1992 qui verra les électeurs de la Confédération rejeter l’adhésion à «l’antichambre» communautaire qu’est l’Espace économique européen (EEE). Trois pays intégreront la Communauté en 1995: l’Autriche, la Suède et la Finlande.
Trente ans après…
Qu’en est-il trente ans après? Les paroles de Philippe Séguin, le souverainiste en chef de l’époque, imposent le respect et le débat. «Dès lors que, dans un territoire donné, il n’existe qu’une seule monnaie, les écarts de niveau de vie entre les régions qui le composent deviennent vite insupportables. Et en cas de crise économique, c’est le chômage qui s’impose comme seule variable d’ajustement», argumentait-il devant l’Assemblée nationale française, juste avant le vote.
Et d’ajouter, en défense de la tenue d’un référendum: «Il me faut dire avec beaucoup d’autres, au nom de beaucoup d’autres, qu’il est bien temps de saisir notre peuple de la question européenne. Car voilà maintenant trente-cinq ans que le traité de Rome a été signé et que d’Acte unique en règlements, de règlement en directives, de directives en jurisprudence, la construction européenne se fait sans les peuples, qu’elle se fait en catimini, dans le secret des cabinets, dans la pénombre des commissions, dans le clair-obscur des cours de Justice. (...) Voilà trente-cinq ans que toute une oligarchie d’experts, de juges, de fonctionnaires, de gouvernants prend, au nom des peuples, sans en avoir reçu mandat, des décisions dont une formidable conspiration du silence dissimule les enjeux et minimise les conséquences.»
L’abandon du Deutsche Mark
On connaît la suite de l’histoire, largement dicté par les convulsions géopolitiques de l’Europe après la disparition du bloc soviétique. L’hypothèse de l’époque est que le capitalisme et le libre-échange sans entraves vont entraîner une prospérité automatique, dont l’euro sera le véhicule. L’autre argument pro-Maastricht est de sceller l’alliance européenne en obligeant l’Allemagne réunifiée à abandonner son Deutsche Mark, pour tenir à bout de bras la future monnaie unique européenne. Maastricht est un donnant-donnant. Le texte part du principe que les peuples vont suivre. Faux. Les élites économiques et politiques y voient un tremplin vers plus d’intégration. Les populations s’estiment mises le dos au mur, sans frontières pour les rassurer.
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François Mitterrand a beau avoir promis, à la télévision, que «la Communauté ne s’occupera que de ce dont les Etats ne veulent pas s’occuper seuls, ou ne le peuvent pas ou constatent qu’ils ne le peuvent pas», la loi de Bruxelles finit par s’imposer à tous les niveaux. Ou, du moins, tel est le ressenti populaire. «On voit bien au moment où, pour la première fois, on s’adresse véritablement au peuple pour qu’il décide, on lui donne, on lui restitue son pouvoir, on s’aperçoit qu’il y a un travail pédagogique d’éducation, d’explication considérable à faire, parce qu’on a pris trop de retard. Espérons qu’on le comblera», poursuit le président français, qui décédera en janvier 1996, juste après la fin de son second septennat.
Un traité maudit?
Pourquoi le Traité de Maastricht (remplacé ensuite par plusieurs autres textes, dont le dernier est le Traité de Lisbonne de décembre 2007) est-il maudit? On peut voir trois raisons à cela.
La première est qu’il a, de facto, ouvert la voie à une intégration communautaire bien plus importante que celle envisagée. Ce ne sont pas seulement les frontières territoriales qui sont tombées, mais les frontières budgétaires, économiques, industrielles, sociales.
Deuxième raison: l’euro. La monnaie unique, incarnation logique de la puissance monétaire allemande, a été vécue par des nombreux Européens comme une confiscation de leur monnaie nationale, avec la marge de manœuvre qui allait avec (les fameuses dévaluations).
Troisième raison: Bruxelles. La Commission européenne, en se retrouvant à la tête de pouvoirs accrus, s’est peu à peu coupée du terrain et des populations. Maastricht a, dans les faits et au quotidien, accru le fossé que ce texte prétendait combler.
Trente ans après le référendum français, l’hebdomadaire souverainiste «Marianne» n’a pas tort d’affirmer en «une»: «Maastricht, la bataille qui a tout changé» et de titrer: «Peut-on s’en libérer?» Le problème est qu’il manque une question. Celle qui plane au-dessus de l’UE à 27: «Cette bataille lancée en 1992, les Européens, en 2022, sont-ils tout simplement capables de la remporter?»