Descendus de trois cars scolaires jaunes, les passagers, dont de nombreuses femmes, prennent le temps de raconter leur périple et l'enfer qu'ils laissent derrière eux, au principal centre d'accueil de Zaporijjia - une grande tente blanche plantée sur le parking d'un hypermarché.
Telle Anastasia (nom d'emprunt), dont le regard fixe témoigne des traumatismes. «Cette évacuation était un show», lance cette femme de 19 ans, qui décrit les nombreuses caméras russes qui ont fimé les partants. «On nous a donné quelques soins, mais c'était juste pour les médias».
La rumeur d'une potentielle sortie de Marioupol s'était propagée mercredi vers 10h00, dit-elle, alors que l'ouverture de couloirs humanitaires est annoncée depuis des jours sans être suivie d'effets. «De nombreuses personnes vivant dans les territoires occupés par les Russes veulent partir, mais ils les en empêchent», proteste la vice-Première ministre ukrainienne Irina Verechtchouk, présente à Zaporijjia.
Sur des dizaines de cars attendus, seuls trois sont arrivés, s'indigne-t-elle: «Rien n'a fonctionné. (...) Il n'y avait pas de couloir 'vert'». A Marioupol, le rendez-vous était prévu à 14h00.
«On nous a demandé qui voulait aller en Russie»
En s'y rendant, Anastasia se souvient avoir entendu «un tank russe frapper un immeuble». Elle affirme avoir vu «de nombreux snipers» russes sur les toits.
Après presque deux mois de bombardements ininterrompus, peu de candidats à l'exil se sont pourtant manifestés. Septante-neuf au total, selon Mme Verechtchouk, quand environ 100'000 personnes vivraient encore dans la cité portuaire.
«Les gens ne savaient pas si la rumeur était vraie», explique Anastasia. «Devant les journalistes russes, on nous a demandé qui voulait aller en Russie», indique une autre passagère, une vieille dame coiffée d'un bonnet beige. «Personne n'a levé la main. Qu'ils crèvent !»
Un bus, sur les quatre présents à Marioupol, est pourtant parti vers la Russie, affirme Anastasia, sans plus d'indications sur le nombre de personnes qui sont montées à bord. Pour les 79 arrivés jeudi à Zaporijjia, avait alors démarré un périple de plus de 24 heures, quand trois sont normalement nécessaires pour parcourir les 225 kilomètres entre les deux villes.
«Nous connaissions le chemin mais nous ne reconnaissions aucun lieu. Nous ne savions pas si nous allions arriver en Ukraine. A un moment, nous avons pensé qu'ils nous amenaient en Russie», se souvient Anastasia. A l'intérieur des cars, «les gens étaient désespérés».
«Nous étions au sous-sol»
L'angoisse prend définitivement fin à Zaporijjia. Certains fondent en larmes. Valentina Grintchouk, petit bout de femme de 73 ans chaussée de pantoufles et au manteau noir troué, se met quant à elle à étreindre et embrasser tous ceux qu'elle rencontre.
«Dès le premier jour (du siège de Marioupol, NDLR), nous étions au sous-sol (...) Il faisait froid. Nous priions Dieu. Je lui demandais de nous protéger», raconte-t-elle, ajoutant que de jeunes militaires russes «pas agressifs» l'avaient régulièrement ravitaillée en eau et nourriture.
Son appartement et la maison de son fils sont aujourd'hui détruits, poursuit-elle. S'approchant d'une journaliste souhaitant l'interviewer, elle lui prend le poignet et l'étreint doucement.
Natalia Koval, 46 ans, raconte de son côté les premiers mots d'un «ange», un jeune enfant «blond et bouclé» de son immeuble, qui a dit ses premiers mots pendant les deux mois d'enfermement. «Je ne veux plus jamais entendre de bombardement», lance Tatiana Dorach, 34 ans, qui, accompagnée de son fils de six ans, n'aspire qu'à une nuit calme et «un lit où dormir».
Anastasia, elle, est enceinte, après avoir perdu un enfant en novembre dernier. Elle n'a pas vu son mari, soldat, depuis le 14 mars. Et n'a pu le joindre depuis. Des semaines passées ensuite, alors que les soldats russes ont été accusés d'atrocités, elle ne dit rien ou presque.
Ses yeux semblent fixer l'horreur. Elle lâche tout juste, parlant de son époux: «J'espère qu'il est en vie.»
(ATS)