Grâce à un produit dopant
Un chef d'expédition prévoit une ascension éclair du mont Everest

Un projet d'ascension de l'Everest en sept jours, mené par Lukas Furtenbach, déclenche une véritable polémique dans le monde de l'alpinisme. L'utilisation de xénon, pour l'acclimatation rapide, soulève des inquiétudes sur la sécurité et l'éthique de cette approche.
Publié: 02.03.2025 à 20:59 heures
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Le business de l'Everest devient de plus en plus concurentiel.
Photo: Keystone
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Michael Hotz

Lukas Furtenbach est sans doute l’homme le plus détesté du moment de l'alpinisme. Cet Autrichien de 47 ans a confié à la «NZZ» qu’il recevait même des menaces de mort. Mais qu’a-t-il fait pour susciter une telle vague de haine? Le fondateur et directeur de Furtenbach Adventures prévoit d’escalader le mont Everest en seulement sept jours avec quatre clients britanniques, une annonce qu’il avait faite en janvier dans le «Financial Times».

Avec cette initiative, il ambitionne de révolutionner l’alpinisme. Si elle réussit, cette expédition deviendrait la plus rapide jamais réalisée sur le plus haut sommet du monde, et de loin. Mais une telle prouesse a un prix: selon les informations du Financial Times, chaque participant paie environ 150'000 euros pour ce package exclusif. Blick lève le voile sur les coulisses de ce projet et explique pourquoi Lukas Furtenbach est aujourd’hui au cœur d’une vive polémique.

Comment l'ascension de l'Everest est-elle possible en une semaine seulement?

Lukas Furtenbach est reconnu comme l’un des pionniers des expéditions sur l’Everest, notamment grâce à ses innovations qui ont déjà ébranlé à plusieurs reprises le monde de l’alpinisme. En 2016, cet adepte du marketing avait lancé une expédition sur le toit du monde en seulement trois semaines, un record qui avait fait sensation à l’époque. Traditionnellement, une ascension de l’Everest demande environ deux mois.

Pour ses expéditions express, Lukas Furtenbach mise sur un entraînement en altitude à domicile, conçu pour optimiser rapidement les performances de ses clients. Concrètement, les alpinistes dorment dans une tente hypoxique, qui simule les conditions d’un air raréfié à 7000 mètres d’altitude. Cette méthode, détaillée sur le site de son entreprise, permet une acclimatation accélérée.

Avec son nouveau défi d’ascension en sept jours, il franchit une nouvelle étape en intégrant une innovation médicale: un mélange de gaz dont la composition exacte reste un secret bien gardé. Toutefois, comme il l’a révélé à plusieurs médias, ce cocktail comprend du xénon. Le protocole est précis: deux semaines avant le début de l’expédition, ses quatre clients britanniques inhaleront du xénon pendant 30 minutes, sous surveillance médicale et à l’aide d’un appareil d’anesthésie spécialement conçu.

Qu'est-ce que le xénon exactement?

Le xénon est un gaz incolore et inodore aux propriétés remarquables. Utilisé en anesthésie lors d’opérations chirurgicales, il reste cependant rare et extrêmement coûteux. Mais ce n’est pas son seul usage: il a aussi joué un rôle clé dans le dopage d'athlètes russes avant les Jeux olympiques de Sotchi en 2014. L’inhalation de xénon stimule en effet la production d’érythropoïétine (EPO), une hormone favorisant l’oxygénation du sang, offrant ainsi un gain d’endurance immédiat aux athlètes.

C’est précisément pour cette raison que le xénon figure sur la liste des substances interdites par l’Agence mondiale antidopage (AMA). Toutefois, cette interdiction ne s’applique pas aux alpinistes de haute altitude. Dans le cadre du projet de Lukas Furtenbach, le gaz permettrait ainsi à ses clients britanniques de s’affranchir des longues semaines d’acclimatation traditionnellement nécessaires à une ascension de l’Everest – du moins en théorie.

«
Une utilisation inappropriée peut être très dangereuse
Union internationale des associations d’alpinisme (UIAA)
»

L'inhalation de xénon est-elle dangereuse?

L’utilisation du xénon dans le cadre du projet de Lukas Furtenbach suscite de vives critiques, notamment en raison des risques médicaux qu’elle pourrait engendrer. La commission médicale de l’Union internationale des associations d’alpinisme (UIAA) met en garde: «Une utilisation inappropriée peut être très dangereuse.» Christian Seiler, cardiologue et professeur émérite de médecine à l’Hôpital de l’Île de Berne, partage ces inquiétudes. Dans une tribune publiée par la Berner Zeitung, il qualifie même cette approche de «dopage mortel».

De son côté, Lukas Furtenbach balaie ces critiques et défend son projet avec fermeté. Dans les colonnes de la «NZZ», il affirme avoir lui-même testé sa méthode lors de ses propres ascensions de l’Everest: «Cela semble trop beau pour être vrai, mais une seule inhalation de 30 minutes produit des effets qui durent plusieurs semaines.» Il s’appuie notamment sur l’expertise du médecin-chef allemand Michael Fries, spécialiste en anesthésie, qui va dans son sens.

Que lui reproche sa communauté?

De nombreux alpinistes critiquent également le projet de Lukas Furtenbach, une habitude pour lui. Mais ces critiques tournent désormais à l'incitation à la haine. Selon la «NZZ», un individu lui aurait même écrit par e-mail qu’un homme comme lui «devrait être envoyé à Auschwitz». Face à ces menaces, il a dû solliciter l’aide du service de protection de la Constitution. «Je ne comprends pas d’où vient une telle méchanceté», confie l’entrepreneur.

Lukas Furtenbach est ainsi devenu le symbole de la commercialisation croissante du mont Everest, un phénomène qui entraîne son lot de conséquences négatives: embouteillages aux abords du sommet, amas de déchets dans les camps de base… Le Népal, qui engrange chaque année plusieurs millions de dollars grâce à sa montagne emblématique, est critiqué pour délivrer un trop grand nombre de permis d’ascension.

Ces 300 permis annuels sont en effet très convoités. De plus en plus de sociétés d’expéditions ont flairé le potentiel économique de l’Everest, intensifiant ainsi la concurrence. Résultat: les prix ont chuté et il est désormais possible de s’offrir une ascension pour quelques dizaines de milliers de dollars. Dans cet environnement ultra-compétitif, Lukas Furtenbach entend se démarquer avec son projet novateur. Il vise d’ailleurs le haut de gamme, proposant des prestations luxueuses telles que des menus concoctés par des chefs étoilés ou encore des séances de sauna au camp de base.

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