Voir à nouveau des manifestants en colère briser les vitres d’un parlement, puis saccager un palais présidentiel et une Cour suprême dans un pays démocratique réveille naturellement nos peurs. Ce qui s’est passé à Brasília le 8 janvier 2023, après le séisme de l’assaut des partisans de Donald Trump contre le Congrès à Washington pile deux ans plus tôt, le 6 janvier 2021, nous oblige à regarder en face le passé sombre de nos démocraties européennes.
La bête immonde de l’autoritarisme
De ce côté-ci de l’Atlantique, on le sait, la bête immonde de l’autoritarisme et du refus des urnes a, dans le passé, terrassé aussi les combattants du vote, de la liberté et de l’Etat de droit. On pense, notamment, aux affres de l’entre-deux-guerres, qui virent surgir le fascisme et le nazisme des ruines sociales et des rancunes nationalistes du premier conflit mondial. Y repenser, au vu des images en provenance de Brasilia, est donc plus que logique.
Ignorer le risque d’une opinion chauffée à blanc, et la capacité d’un leader battu à contester le résultat d’une élection, puis à inciter ses partisans à la rébellion, serait tout simplement naïf. La puissance des réseaux sociaux et de l’internet décuple les colères. Même l’Europe occidentale, où la démocratie semble si solidement enracinée, n’est pas immunisée.
Gare aux comparaisons hâtives
Gare, toutefois, aux comparaisons hâtives et mal placées. Gare, surtout, à ne pas mettre dans le même sac insurrectionnel tous les contestataires, même lorsque leur violence dépasse les bornes. En France, au début des manifestations des «Gilets jaunes» début décembre 2018, un groupe de manifestants a bien tenté de converger vers le palais présidentiel de l’Elysée. Un autre, quelques semaines plus tard, a défoncé le portail d’un ministère. Mais à aucun moment, le scénario de Brasília ou de Washington n’a été redouté.
Mieux: la riposte commune des démocraties européennes face à l’agression russe en Ukraine, au-delà des divergences liées aux intérêts énergétiques et économiques, a montré que la séduction de l’autoritarisme Poutinien a ses limites. Les «clients» des réseaux d’influence russe ont (pour l'heure) perdu la partie. Le débat demeure sur «l’humiliation» russe susceptible d’expliquer l’engrenage guerrier à l’œuvre depuis le 24 février 2022. Mais la volonté de Moscou de torpiller les démocraties occidentales, avec force manipulations sur internet, s’est jusque-là heurtée à un mur bien plus solide que le Kremlin l’anticipait.
Bolsonaro n’est pas européen
Il faut le dire alors que les images en provenance de Brasilia défilent en boucle sur nos écrans, montrant la reprise de contrôle par le président brésilien élu, Lula da Silva: ni Jair Bolsonaro, ni Donald Trump, ne sont européens. Et c’est tant mieux. Reconnaissons aussi, vu de Suisse, l’importance de l’Union européenne dans la protection et la consolidation des institutions démocratiques sur le continent, via la défense de l’Etat de droit et d’une justice indépendante.
Ne cédons ni à la panique, ni aux comparaisons mal inspirées. Oui, la démocratie et la liberté de choisir ses dirigeants peuvent toujours devenir inacceptables pour une partie de nos opinions chauffée à blanc. Mais le plus grave serait de s’appuyer sur les insurrections de Brasilia ou de Washington pour assimiler tous les manifestants, et toutes les colères, à ce mauvais vent putschiste. Ou pire, de les utiliser pour juguler le débat et le droit de contester, y compris dans la rue.
La meilleure manière de défendre la démocratie et de la faire vivre pour qu’elle soit acceptée par le plus grand nombre. Et de démontrer, par sa capacité à encaisser toutes les critiques et surtout à y répondre, qu’elle vaut mieux que tous les autres régimes.