Ce n’est plus un constat inquiétant. C’est un signal d’alarme national, tiré par les polices bruxelloises et fédérales. La Belgique et Bruxelles, capitale des institutions européennes, sont gangrenées par le trafic de stupéfiants. Les «narcos» y font de plus en plus la loi dans les quartiers. Et bien au-delà, comme viennent de le prouver plusieurs fusillades, telle celle survenue mercredi 5 février à Anderlecht, une ville de la périphérie bruxelloise jusque-là surtout connue pour son club de football.
Cette dernière fusillade comporte tous les ingrédients de ce que les experts du trafic de drogue jugent comme une infernale spirale mafieuse, dans laquelle les Pays-Bas et la Belgique, point d’arrivée de la cocaïne en provenance d’Amérique latine via les ports de Rotterdam et d’Anvers, sont en train de tomber.
Aux Pays-Bas, la mobilisation générale a sonné contre la «mocro maffia», la mafia marocaine qui contrôle ces trafics. Idem en Belgique. En octobre 2024, l’un des caïds des gangs néerlando-marocains, Saïd A… a été arrêté à Paris alors qu’il arrivait de Bruxelles. La police l’accuse de diriger, au «plat pays» cher au chanteur Jacques Brel, des laboratoires de drogues de synthèse. «La Belgique est devenue une plaque tournante du trafic de stupéfiants en Europe», confirme Claude Moniquet, un spécialiste belge du renseignement.
Diffusion européenne
La preuve de l’implantation de ces gangs au cœur de la capitale européenne se mesure d’abord au nombre d’incidents criminels. Depuis quelques mois, le nombre de fusillades a grimpé en flèche dans la capitale belge. Les autorités fédérales ont aussitôt dénoncé l’infiltration de clans marseillais, en référence à la métropole du sud de la France où s’affrontent deux gangs redoutables: la DZ Mafia et le clan Yoda, dont le chef présumé, Félix Bingui, 35 ans, a été extradé vers la France à la mi-janvier par le Maroc, où il résidait et avait été interpellé.
«Le territoire bruxellois est fortement disputé entre les clans de mafias. Un mètre carré vaut très cher. C’est ici que la drogue est diffusée parmi les consommateurs et dans le reste de l’Europe. Il y a beaucoup d’argent à gagner ici», expliquait en 2024 à RTL Info Ine Van Wymersch, la commissaire nationale aux drogues.
Cette situation alarmante est désormais en haut de l’agenda du nouveau gouvernement fédéral belge, tout juste nommé par le Roi Philippe, après huit mois de négociation. Lundi 3 février, le monarque a reçu le serment du nouveau Premier ministre Bart De Wever, un nationaliste flamand qui était bourgmestre (maire) d’Anvers, depuis juillet 2013. Son cabinet compte 16 ministres, fruit d’une coalition de droite surnommée «Arizona» entre le parti NVA (Nouvelle Alliance flamande, qui revendique l’indépendance de la Flandre), deux autres partis flamands – les chrétiens-démocrates (CD&V) et les socialistes (Vooruit) – ainsi que deux partis francophones: le Mouvement réformateur (qui est un parti libéral) et les Engagés, classés au centre. Or, Bart De Wever veut détricoter l’Etat fédéral. Et son mandat, à Anvers, a coïncidé avec la montée de la criminalité liée à la drogue.
La faille que les mafieux exploitent, en Belgique, est la mauvaise coordination entre les agences policières fédérales et régionales (en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie). L’on avait déjà vu, après les attentats islamistes de novembre 2015 en France et ceux du 22 mars 2016 à Bruxelles, l’ampleur des failles dans le dispositif sécuritaire, alors qu’une bonne partie des djihadistes kamikazes était de nationalité belge.
Problèmes de coordination
Est-ce toujours vrai, dix ans plus tard? La précédente ministre de l’Intérieur le pensait. Pour Annelies Verlinden, c’est à Bruxelles que la question se pose. «La compétence de coordination en matière de sécurité du ministre-président bruxellois doit encore être élargie sous la prochaine législature», a-t-elle déclaré à plusieurs reprises. Sans effet jusque-là car la région-capitale de Bruxelles n’a, elle, toujours pas de gouvernement, faute d’accord majoritaire entre Flamands et francophones. «L’ingouvernabilité de la région est partie pour durer encore un certain temps», avertissait récemment le chroniqueur politique Himad Messoudi.
L’omniprésence des trafiquants de stupéfiants et de leurs recrues munies de kalachnikovs dans les rues des villes belges a, paradoxalement, été soulignée par le procès de plusieurs mois qui s’est tenu à Bruxelles en 2024. Plus de 120 narcotrafiquants y ont écopé le 29 octobre de peines de prison allant de 14 mois à 17 ans. Au total, 130 hommes et femmes comparaissaient, ainsi que quatre entreprises, soupçonnées d’avoir uniquement servi à dissimuler des activités illégales. Pour des raisons de sécurité, c’est dans l’ancien siège de l’OTAN, l’Alliance militaire atlantique, que les audiences se sont tenues. Avec, parmi les accusés, des Albanais, des Colombiens, des Belges, des Kosovars, des Ukrainiens, des Marocains et des Algériens.
Une douzaine d’hommes étaient poursuivis comme «dirigeants» présumés d’une seule organisation criminelle, exploitante de plusieurs laboratoires de transformation de cocaïne installés dans la capitale belge. La preuve s’il en était besoin, que le Royaume de Belgique est devenu une plaque tournante du trafic de la poudre blanche en Europe.