Il rigole. Du moins en public. Cyril Hanouna, 49 ans, se retrouve aujourd’hui dans la posture qu’il affectionne: celle de victime des «élites» et du «système», alors qu’il en fait complètement partie. L’animateur de «Touche pas à mon poste», son émission trash de divertissement qui attire chaque soir environ 1,8 million de téléspectateurs, sera bientôt privé de l’accès au plus grand nombre.
L’ARCOM, la haute autorité française qui supervise l’audiovisuel, a décidé mercredi 24 juillet de ne pas renouveler la fréquence numérique terrestre pour C8, la chaîne qui diffusait ce show depuis 2016. Ses diffusions sur la TNT devront cesser à la fin février, ce qui n’empêchera pas la chaîne d’être encore disponible sur les box internet, pour les abonnés. «Dans le baba» a aussitôt ironisé le quotidien «Libération», en jouant sur le surnom de l’animateur-vedette.
Il rigole? Oui. Parce que Cyril Hanouna, habitué à dépasser toutes les lignes de la décence pour mettre ses invités en danger et faire de l’audience, est une marque aussi sulfureuse que profitable. «Baba», comme le surnomment ses «fanzouses» (ses fans) a transformé son talent incontestable d’animateur formé au Club Méditerranée en drogue cathodique.
Derrière Hanouna, Bolloré
Sa recette: mettre en difficulté tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, incarnent le pouvoir. Sauf si ce pouvoir est celui de son patron: le milliardaire Vincent Bolloré, propriétaire de C8 et de CNews, la chaîne d’information et de débat qui copie l’américaine Fox News. Le magnat breton lui a déjà, selon plusieurs sources, promis un refuge télévisuel à Canal Plus, l’historique chaîne payante – forte de 26 millions d’abonnés dans le monde pour toutes ses versions – qui pourrait lui accorder un espace en clair. Et ce, après lui avoir donné pendant les élections législatives une émission sur sa chaîne de radio Europe 1: «On marche sur la tête.»
Il rigole surtout parce qu’il connaît le poids de sa notoriété, et qu’il excelle dans les rapports de force. La jeune chanteuse Zaho de Sagazan en a fait récemment l’expérience. Pour avoir critiqué le «caïd cathodique» Hanouna, plusieurs radios du groupe Bolloré ont boycotté sa dernière chanson «La symphonie des éclairs». Mais là n’est pas l’essentiel.
L’ombre du RN
L’argument massue de Cyril Hanouna est… son public. Il prend depuis mercredi fait et cause pour l’animateur, vu comme une victime expiatoire. Le hashtag #Hanouna était encore ce jeudi sur X la seconde tendance la plus suivie et commentée. Tout y passe: les critiques virulentes contre l’ARCOM, instance dont l’indépendance vis-à-vis de l’exécutif est jugée très relative: l’inquiétude devant une police de la pensée, et la mise en question du rôle présumé de l’actuel gouvernement dans cette mise à l’écart.
Cyril Hanouna n’a jamais fait ouvertement campagne contre Emmanuel Macron. Il n’a jamais, à l’opposé, revendiqué le fait de voter pour le Rassemblement national (RN), le parti de droite national populiste de Marine Le Pen. Il est en revanche proche de Jordan Bardella, le jeune président du RN. Et il a plusieurs fois invité le polémiste de droite réactionnaire Éric Zemmour sur son plateau. Or le RN est aujourd’hui, plus que jamais, le premier parti de France après les législatives des 30 juin et 7 juillet.
La décision de l’Arcom de supprimer sa fréquence TNT à C8, plusieurs fois sanctionnée pour les outrances de Cyril Hanouna, n’est pas une totale surprise. «Il faut rappeler que la TNT repose sur l’utilisation de fréquences hertziennes limitées: seulement 31 chaînes de télévision nationales peuvent y être accueillies […] Les chaînes sont autorisées pour une durée limitée, 10 ans au maximum. Pour 15 chaînes actuelles, les autorisations arrivent à échéance en 2025. L’Arcom a donc remis en compétition leurs fréquences. 27 candidats ont déposé un dossier, 25 ont été déclarés recevables et une entreprise s’est désistée. 24 candidats ont soutenu leur projet devant l’Arcom» explique l’universitaire Camille Boryelle dans un entretien très complet au site The Conversation.
Des raisons évidentes
Les chaînes retenues vont maintenant devoir négocier une convention, mais C8 n’y participera pas: «Les raisons sont assez évidentes, poursuit l’experte. Parmi les critères de sélection qui sont énoncés dans la loi, figure pour les candidats sortants la façon dont ils ont respecté le pluralisme, l’honnêteté et l’indépendance de l’information, c’est-à-dire des principes essentiels au fonctionnement démocratique de l’État. Or au regard des mises en demeure et sanctions dont la chaîne C8 a fait l’objet, on imagine que l’Arcom a estimé ne pas pouvoir lui faire confiance. Les maigres garanties promises par C8 n’ont pas suffi, notamment la diffusion, en différé, de 'Touche pas à mon poste'.»
Une France fracturée
Parler de «garanties» dans une France fracturée, où les extrêmes (de droite et de gauche) ont recueilli les voix de près de 14 millions d’électeurs aux dernières législatives, semble presque décalé. Cyril Hanouna ne se prive pas, pour sa défense, d’exhiber le nombre de ténors politiques de tous les partis qui se sont précipités depuis dix ans sur son plateau. Sa collision en direct avec le député de La France Insoumise (gauche radicale) Louis Boyard, ancien chroniqueur de l’émission, a fait des millions de vues. L’ancienne candidate socialiste à la présidentielle de 2007, Ségolène Royal, figure parmi ses chroniqueurs.
Alors, Hanouna marginalisé, blessé, affaibli? La dure réalité est que son non-respect des règles est devenu son arme d’attraction massive. Et les amendes à répétition infligées à son émission, une sorte de label «anti-élitiste» qui correspond à l’époque et alimente le buzz sur les réseaux sociaux.