Rien ne va plus à Berlin. Ce début de semaine l’a bien montré: la puissante Allemagne, leader économique européen, est assommée par ses fractures. Dimanche, près d’un million d’Allemands ont défilé dans les rues des principales villes du pays, pour protester contre l’AFD, le parti d’extrême-droite crédité de près de 25% des intentions de vote.
Lundi, les manifestations d’agriculteurs excédés par les normes écologiques européennes se sont poursuivies, au moment même où le Chancelier Olaf Scholz rendait, avec Emmanuel Macron à ses côtés, un dernier hommage à l’ancien ministre des Finances Wolfgang Schaüble, décédé le 26 décembre. Schaüble incarnait une Allemagne résolument proeuropéenne, attachée à l’indispensable partenariat avec la France. Or aujourd’hui, plus personne ne semble capable de le remplacer.
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Réunion secrète de l'extrême droite
«L’Allemagne redécouvre ce qu’elle redoute: la folie qui peut s’emparer d’une partie de sa population», nous confie Daniel Cohn-Bendit. L’ancien député européen écologiste, franco-allemand, est désormais à la retraite. Mais il reste politiquement actif, et il suit de près les fractures de la société allemande.
L’ex-leader de la révolte étudiante de mai 1968 à paris a été, comme tant d’autres de ses compatriotes, estomaqué par les révélations sur la tenue récente, à Postdam, d’une réunion secrète de membres et de sympathisants de l’AfD durant laquelle l’expulsion de migrants, et de citoyens allemands d’origine étrangère a été évoquée.
La réaction a été rapide. Dans toutes les villes allemandes, des appels à défiler contre cette volonté d’épuration ethnique qui rappelle l’époque nazie, ont été lancés et suivis d’effet. Mais «Dany», son surnom en France, demeure inquiet: «Il ne faut pas comparer cette réunion d’un groupe d’idiots à la réunion de Wansee qui, le 20 janvier 1942, mit au point la solution finale pour exterminer les juifs. L’AFD n’est pas au pouvoir. Le pays a aussitôt réagi. Mais les Allemands sont déboussolés.»
Moscou était un allié
L’Allemagne sent qu’elle n’est plus ce pays incontesté, insubmersible, impérial sur le plan économique. La République fédérale paie cher la rupture des approvisionnements en gaz russe à bon marché. Beaucoup de ses entrepreneurs, même s’ils n’osent pas le dire publiquement, s’interrogent sur la confrontation entre l’Union européenne et la Russie.
Pour eux, Moscou était l’allié de la puissance Allemande. «L’AFD ne tire pas seulement son succès du ressentiment des 'länder' de l’est et des frustrations de la réunification. L’extrême-droite capitalise sur la peur de perdre, juge le député européen conservateur Arnaud Danjean, qui croisa plusieurs fois la route de Wolfgang Schaüble. Cette Allemagne-là voit qu’elle perd sur tous les tableaux. Elle panique à l’idée de perdre le parapluie militaire américain si Trump est réélu. Car pour Trump, la République fédérale est l’homme malade de cette Europe qu’il veut faire payer pour sa défense.»
L’idée européenne
L’hommage à Wolfgang Schäuble aurait dû, en temps normal, servir à défendre l’idée européenne à Berlin. Emmanuel Macron l’a fait dans son discours. Mais le courant ne passe pas bien avec Olaf Scholz, dont la coalition est paralysée. «Les trois partis au gouvernement (Sociaux-démocrates, Verts, Libéraux) n’ont plus rien à se dire, lâche Daniel Cohn-Bendit. Les seuls à conserver leur base électorale sont les écologistes. Le SPD de Scholz est en chute libre, comme les libéraux.»
Et l’Allemagne voit aussi l’actualité lui renvoyer l’image de son impuissance internationale. Sur le dossier du Proche-Orient, et de la guerre à Gaza, son gouvernement est tétanisé. L’histoire dicte sa loi. «Il est impossible au Chancelier Scholz d’essayer d’influencer Netanyahu poursuit Daniel Cohn-Bendit. Aussitôt, les Israéliens nous répondent: vous êtes Allemands, n’est-ce pas?»
Fractures européennes
Rien ne va plus aussi, car les lignes de fractures européennes bougent. La Pologne voisine cherche ouvertement à rassurer la France, et se voit déjà devenir un futur géant industriel, grâce à sa main-d’œuvre moins chère et à ses liens étroits avec les États-Unis. Paris croit de moins en moins dans la solidité indestructible du «couple franco-allemand» comme on le nomme sur les bords de la Seine. «Si Emmanuel Macron et Olaf Scholz perdent tous deux les élections européennes du 9 juin, ce sera encore pire pronostique un expert de la Fondation Robert Schumann. Ce sera chacun pour soi.»
La saine réaction du peuple allemand, mobilisé contre l’extrême-droite et ses fantômes, peut-elle changer la donne? «Je ne le crois pas, estime Daniel Cohn-Bendit. Le sentiment de panique est trop fort chez beaucoup de gens. Le besoin de trouver un bouc émissaire redevient urgent. Le règne douillet de «Mutti» (maman) Merkel avait endormi les Allemands. Ils se réveillent maintenant fragilisés. Encore plus frustrés. Et encore plus fâchés.»