Multiplications des armes blanches
Alerte dans les cités françaises: «Maintenant, c'est 'je plante, je veux tuer'»

La violence entre adolescents s'intensifie en Île-de-France. Des meurtres au couteau impliquant des mineurs ont eu lieu à Aulnay-sous-Bois, Sarcelles et Paris. Les autorités s'inquiètent de la banalisation du port d'armes chez les jeunes.
Publié: 22.12.2024 à 17:54 heures
La police française enquête sur les lieux où un homme a attaqué et blessé des personnes dans les rues de Paris dans le 19e arrondissement, le 9 septembre 2019. (Image d'archive)
Photo: AFP
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AFP Agence France-Presse

«Beaucoup de jeunes portent sur eux un Opinel, au cas où.» Moustache naissante, regard de môme, Abdoulaye, 15 ans, évoque un fait qui l'effraie: la banalisation du port du couteau par des adolescents de son âge, en région parisienne, qui peuvent aller jusqu'à s'entretuer pour des «embrouilles» entre quartiers.

Octobre, Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis): un garçon de 16 ans, mortellement blessé d'un coup d'Opinel par un autre de 17 ans. Novembre, Sarcelles (Val-d'Oise): un adolescent de 17 ans tué de la même manière par un Sarcellois du même âge. Décembre, Paris: un jeune de 16 ans victime d'une rixe mortelle près d'un lycée, un suspect du même âge écroué.

Ces faits glaçants, Abdoulaye (prénom d'emprunt) les suit. Une des victimes, Ali, était son ami. Il le décrit comme «généreux, toujours de bonne humeur» et «très fort à Fortnite», un jeu vidéo où l'on se bat jusqu'au dernier survivant. Dans son quartier de Sarcelles, Ali a été tué en plein après-midi, le 12 novembre, tout près de chez lui, lui qui ne sortait plus «trop dehors», selon ses amis, après avoir abandonné «les embrouilles». Mais «un jour il est sorti, ils sont descendus du bus, ils l'ont tapé. Ca a été lui, ça aurait pu être quelqu'un d'autre», assure Abdoulaye. «Ça nous a touchés, sa mort, on a pleuré, on a la haine envers l'autre quartier.»

Des histoires qui partent d'un rien

Pourquoi tant d'adolescents sortent-ils avec un couteau? Abdoulaye explique que «c'est préventif». «On ne sait jamais ce qui peut arriver quand on croise quelqu'un d'un autre quartier. Quand tu es en dehors de ton quartier, tu fais tout le temps attention à où tu vas, à qui est à côté de toi», dit-il, approuvé par un autre lycéen.

Les histoires peuvent partir d'un rien: «Les deux 'quartiers' se croisent, se regardent mal…» ou bien «un 'quartier' a voulu attraper quelqu'un de l'autre quartier…», expliquent-ils.

Abdoulaye dit ignorer d'où vient «l'embrouille» entre son quartier de Chantepie et celui des Vignes blanches. «Ca date d'il y a longtemps… Si tu dis que tu es de Chantepie, y'en a qui vont te frapper, te 'planter'. D'autres qui ne vont rien te faire. Ca dépend des gens…»

Opérations de police

«Dans un même quartier, il y en a qui marchent tranquillement et d'autres non», résume, anonymement, un autre jeune, âgé de 20 ans. En portant un couteau, «il y en a qui se protègent». «C'est soit toi, soit lui (...) Soit tu es blessé ou tué, en face, ils ne vont pas te faire de cadeau», explique ce jeune homme encapuchonné, rencontré le 1er décembre lors d'une marche en mémoire d'Ali à Sarcelles.

Cet automne, la préfecture du Val-d'Oise a médiatisé sur les réseaux des «opérations de tranquillisation» menées aux abords des lycées, des policiers fouillant les sacs des élèves à la recherche «d'armes et d'armes par destination».

A Aulnay-sous-Bois, le 11 octobre, c'est un jeune de 16 ans, Meissane, qui a été tué d'un coup de «gros opinel». Une source proche de l'enquête juge dérisoire le motif de l'homicide, «un coup de couteau dans une jambe, pour donner une leçon, sans avoir conscience de toucher la fémorale». «Au printemps, des commentaires désagréables avaient été postés sur un réseau social par des lycéens, l'affaire en était restée là, jusqu'à une rencontre dans le fast-food: certains jeunes reconnaissent alors certains» des auteurs des commentaires, «on cherche à avoir des explications puis des coups de couteau sont portés», explique une autre source proche de l'enquête.

Les médias et le buzz

Le port du couteau par des ados semble donc se répandre, et de plus en plus tôt. «Le nombre de fois où on a des signalements scolaires qui nous disent qu'ils ont surpris tel élève qui, dans son cartable, avait ramené un couteau pris dans sa cuisine parce qu'il se sentait menacé…», dit anonymement à l'AFP une source policière, depuis 30 ans en Seine-Saint-Denis.

«A une époque, celui qui avait un couteau, personne n'aurait été se frotter à lui, mais lui-même ne l'aurait pas utilisé comme ça. Maintenant, c'est 'je plante, je veux tuer' ou en tout cas, si je ne le veux pas, je ne me rends pas compte qu'en mettant deux coups de couteau dans l'abdomen, je risque de tuer», dit le policier, évoquant «une libération du geste», «sans recul». Pour lui, «cela joue» que les chaînes en continu et les réseaux sociaux «relaient jusqu'à la nausée tout ce qui se produit», «banalisant complètement» l'acte violent.

Un responsable de la police municipale d'Aulnay estime aussi que «ces jeunes vivent dans un monde parallèle, celui de la Toile, des jeux vidéo». «Ils ne conscientisent pas le risque. Et il y a une concurrence effrénée sur les réseaux, tout ce buzz pour faire parler de soi, de son quartier: sur internet, il y a des gens qui se nourrissent de la violence en permanence.»

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