Une défaite géopolitique ne se mesure pas toujours aux mots prononcés. Elle se lit dans les non-dits et les silences. Mais aussi dans les changements de programme et la déception visible chez ceux que l’on est supposé défendre. Emmanuel Macron a, samedi 4 mars, subi ce genre de défaite à Kinshasa, la capitale de l’immense République démocratique du Congo. Et celle-ci lui a été indirectement infligée par un absent: Paul Kagame, le président du Rwanda voisin, accusé par le gouvernement congolais de nourrir le mouvement rebelle M23 qui pille les ressources minières de la région du Kivu.
Une défaite géopolitique programmée
Cette défaite géopolitique était programmée. Avant même de quitter Paris pour le continent Africain où il vient de passer quatre jours (au Gabon, en Angola, au Congo puis en République démocratique Congo), Emmanuel Macron avait fait publiquement le deuil de la «Françafrique», lors d’une conférence de presse à l’Élysée le 27 février. Soit. Affaire classée. Plus question pour la France d’interférer dans la vie politique de ses anciennes colonies francophones et de leurs voisins. Oublié le «précarré», cette zone d’influence privilégiée. Le message présidentiel était clair: la France ne jouera plus de ses muscles militaires pour imposer des décisions qui lui sont favorables, ou qui conviennent à ses alliés. La preuve: Emmanuel Macron a même promis de reconfigurer les bases militaires tricolores en Afrique (Sénégal, Côte d'Ivoire, Niger) en bases franco-africano-européennes. Adieu, la politique du fusil et des coups bas des services secrets!
Seulement voilà: la politique en Afrique est encore rythmée par ces coups tordus. Des coups menés, au-dessus des frontières, par des groupes armés utilisés par l’une ou l’autre puissance. Impossible de dissocier la déstabilisation djihadiste au Mali (où l’armée française a été jetée dehors fin 2022 après avoir sauvé Bamako dix ans plus tôt, en janvier 2013) des ruines du conflit en Libye, et des jeux de pouvoir entre Algérie, Soudan et Tchad. La preuve de ces manières fortes est la milice russe Wagner, que le Kremlin a installée en Centrafrique, au Mali, et sur le point d’arriver au Burkina Faso (où l’armée française a aussi été jetée dehors).
Or le roi de ces manœuvres militaro-politiques est africain. Il s’agit de Paul Kagamé, le président du Rwanda. A 65 ans, cet ancien rebelle tutsi arrivé au pouvoir à Kigali après l’effroyable génocide commis par les Hutus entre avril et juillet 1994, fait régner sa loi. Il a sorti de la misère son pays de treize millions d’habitants. Il est le partenaire privilégié des États-Unis, d’Israël et des riches pays du Golfe. Son armée est engagée dans plusieurs opérations de l’ONU, notamment en Centrafrique. Kagamé est un roc Africain. Sur lequel la comète Macron vient de se fracasser.
Macron en Afrique, le pari perdu?
La raison de ce choc perdu par la France? La très riche région du Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo. Un sous-sol gavé de ressources minières et de terres rares. Un coffre-fort naturel ouvert à celui qui contrôle ces forêts tropicales et sa population, sacrifiée depuis des décennies au fil des guerres. Or le Rwanda considère le Kivu comme sa zone d’influence. Au sens strict. Il y soutient depuis des décennies des groupes rebelles qui organisent l’exploitation minière. Kagamé y agit en «parrain», avec la complicité des Occidentaux.
Comment, dès lors, répondre aux demandes du président congolais qui espérait entendre Emmanuel Macron demander des comptes au Rwanda, lors de son escale à Kinshasa? Rien n’est venu, sauf une mise en garde très formelle. «La RDC ne doit pas être un butin de guerre», a tonné le chef de l’État français, qui a tout fait pour qu’une ancienne ministre rwandaise prenne, en janvier 2019, les commandes de l’Organisation internationale de la Francophonie, dont fait partie la Suisse. «Il pourra y avoir des sanctions si le cessez-le-feu n’est pas respecté au Kivu», a poursuivi Macron. Mais qui peut y croire?
La réalité est simple. Limpide. Aussi évidente que les raisons pour lesquelles le Rwanda ne lâchera jamais son emprise sur le riche Kivu: le rapport de force ne joue plus en faveur de Paris. Les compromissions passées de la France avec les génocidaires Hutus – qu’elle a parfois protégés après la tragédie de 1994 et son million de victimes – privent Paris de toute crédibilité aux yeux de Kigali. Fin de partie. Aujourd’hui, le Rwanda est un acteur militaire inestimable, que Washington sait utiliser pour défendre ses intérêts. Des Rwandais, dit-on, pourraient demain remplacer les mercenaires Wagner dans des pays comme la République centrafricaine, afin d’évincer Moscou. Ce «grand jeu» africain dépasse les capacités actuelles de l’Élysée.
Travailler avec les sociétés civiles
Emmanuel Macron ne cesse de répéter qu’il faut travailler avec les sociétés civiles. Il a montré, au Gabon, sa volonté de défendre la forêt tropicale. Il a participé à un concert géant à Kinshasa. Il joue de sa popularité auprès d’une partie de la jeunesse africaine. Tout cela est politiquement et humainement défendable. Sa volonté de rompre avec les «rentes» des entreprises françaises dans certains pays (on pense à Total au Gabon, au groupe Bolloré qui vient de revendre ses ports africains à l’armateur marseillais CMA-CGM) est méritante. Mais les faits sont têtus.
L’Afrique en 2023 reste un champ de bataille en matière de ressources et d’influence géopolitique, et ce, encore plus à l’heure de la guerre en Ukraine et des fractures Nord-Sud. Essayer de s’y faire aimer est une chose. S’y faire respecter en est une autre. A Kinshasa, Emmanuel Macron vient, à nouveau, de l’apprendre à ses dépens.